L’expérience spirituelle du Carême
Le Carême, un temps de pénitence, une montée vers Pâques… autant d’expressions qui resterons des clichés si nous ne savons associer notre Carême à notre vie. Le Carême comporte un certain nombre de prescription qui peuvent être considérées comme très formalistes – ou de simples exercices.
LA SOUFFRANCE EN NOUS OU PROCHE DE NOUS
Ces conceptions sont fausses, car le Carême est en lui-même une expérience spirituelle. Les lectures, les prières, l’abstinence, l’aumône, le jeûne du Carême ne sont rien si nous ne les observons en lien avec ce que nous vivons et d’une manière plus précise avec toutes les angoisses et désespoirs que nous pouvons éprouver ou que d’autres éprouvent. Revenons à la prière du Christ au dernier repas, il dit encore à ses Apôtres : « En ce monde, vous faites l’expérience de l’adversité ; mais soyez pleins d’assurance, j’ai vaincu le monde… ». L’invitation du Christ porte justement sur la lumière et la force, que le Christ peut nous donner au moment ou nous pensons que tout, tout va sombrer. C’est cela l’expérience du Carême, « les impasses de la vie ». Qui n’a souffert à la conclusion qu’à l’évidence « il n’y a plus rien à faire ». Pensons justement à ceux qui boivent et qui se sont installés dans la boisson ; à telle famille de 8 enfants dont la maman vient de mourir jeune. À ces handicapés assis sur leur petite voiture à 4 roues comme enfermés dans un cloître ambulant de souffrances. À tous les prisonniers dont chacun porte la marque du rejet de la société et qui n’ont pour se réintégrer qu’une toute petite porte de sortie ; aux personnes âgées qui se sentent abandonnées des leurs, oubliées ; à ceux qu’un mal incurable condamne à une mort prochaine. Que tous ceux-là, et d’autres aussi malheureux, qui ne sont pas nommés, comprennent que c’est de là que part l’expérience du Carême. C’est l’expérience même du Christ qui s’est senti rejeté, condamné, oublié et a vu approcher sa passion et sa mort. Le Carême aide à vivre cela.
Certains ne connaissent pas ces grandes épreuves. N’y a-t-il pas cependant dans leur vie un coin où un peu de peine ou de souffrance entre et surtout n’y a-t-il pas un lien en eux, qui peut les rattacher à telle ou telle personne qui souffre. S’ils ne sont pas encore Jésus condamné, marchant sur le chemin du calvaire, ils peuvent être Simon de Cyrène qui aide à porter et souffre-avec. Ouvrant leur cœur aux croix de leurs frères et sœurs, ils vivront eux aussi l’expérience de Carême.
LA PASSION DU CHRIST
Croyons-nous vraiment que la souffrance nous sauve ? Saint Jean de la Croix a dit : « La plus pure des souffrances mène à la plus pure des connaissances ». La souffrance purifie et mène à la Lumière. Normalement les grandes souffrances des hommes devraient les conduire au désespoir. Finalement, il y a parmi les plus éprouvés, peu de désespérés, et parmi les plus malheureux parfois beaucoup de force et de joie ? D’où leur viennent ces grâces, sinon de cette vraie connaissance d’eux-mêmes, du monde et de la vie que leur donne la souffrance ?
Edith Stein, juive convertie, entrée au Carmel, morte à Auschwitz a laissé dans ces carnets cette pensée : « Ce n’est pas l’activité humaine qui peut nous sauver, mais seulement la passion du Christ : pouvoir y participer, voilà mon aspiration ». Elle ne dévalorise pas l’activité humaine, mais elle n’y voit pas la source du salut qui est la passion du Christ. À nous d’associer nos peines et la passion du Christ, à notre activité humaine afin qu’elle ne soit pas vaine. Sans cela c’est toute notre existence qui serait totalement inutile.
Cette expérience spirituelle s’accompagne aussi de la prière. On ne souffre pas tout le temps, mais la prière est une activité continue ou un état d’âme permanent. Le Carême nous apprend à laisser la prière envahir toute notre vie, et ne pas en faire seulement un temps court de notre journée, ou quelques formules dans la semaine. Que tous ceux et celles qui déjà accordent une grande place à la prière y apportent encore plus de soin aujourd’hui et que nombreux soient aussi ceux qui la découvrent.
CONCLUSION
Jésus a voulu associer ses disciples à sa Paix trouvée et donnée au moment de sa Passion. La liturgie du Carême nous rappelle que cette même découverte est toujours possible. Notre engagement pour la Paix passes par là mais ne finit pas là. À partir d’une paix que nous connaissons dans la Foi, et que nous éprouvons au fond de nous-même, nous pouvons avec tous les hommes construire la Paix. Comment construire la Paix sociale, politique, économique, internationale sans savoir déjà ce qu’est la Paix ? Comment construire quelque chose à partir de rien ? À partir d’une expérience personnelle, spirituelle, intérieure de la Paix, nous deviendrons des artisans de cette paix que tous les hommes voudraient bâtir.
Papeete le 14 février 1986
Mgr Michel COPPENRATH