Solidarité…
La réinsertion par le travail
L’Accueil Te Vai-ete qui accompagne depuis plus de 23 ans les personnes en grande précarité et à la rue, n’avait pas prévue dans sa mission première de s’occuper aussi de l’insertion ou la réinsertion par le travail. Son objectif initial, qui reste central, étant : « Manger, se laver, avoir une tenue propre… » pour envisager une réinsertion sereine…
De fils en aiguilles, la mission s’est élargie… englobant aussi une aide à l’insertion ou la réinsertion professionnelle d’abord indirecte puis plus active… en partenariat.
1° La réalité !
S’insérer ou se réinsérer dans la vie de la société polynésienne d’aujourd’hui, pour les personnes en grande précarité et à la rue est complexe. Il n’y a pas de profil type des personnes en grande précarité et à la rue. Chacune d’elle est unique.
Parmi les éléments essentiels pour s’insérer ou se réinsérer dans le rythme de la société, le travail a une place importante, même si celui-ci n’est pas suffisant. Bien souvent, lorsque l’on est en grande précarité et à la rue, trouver un travail, y être assidu, le garder est un vrai défi ! Le premier, et pas des moindres étant les préjugés.
Le plus commun de ces préjugés étant : « Les S.D.F. sont des paresseux ! » Et pourtant, vous seriez surpris d’apprendre que sur les quelques 250 personnes à la rue de façon permanente ou semi permanente que nous rencontrons régulièrement… plus de 50 d’entre-eux sont en C.A.E., certains depuis près d’un an, d’autres en moindre nombre ont un travail « normal »… Quelques-uns sont hébergés dans des centres d’accueil, mais plus de la moitié dorment sur les trottoirs de notre bonne ville de Papeete ou dans la Cathédrale !
2° Obstacles et réponses à la difficulté pour trouver un emploi
Les obstacles à l’insertion ou à la réinsertion professionnelle sont de deux ordres : difficultés administratives et difficultés humaines. Si la seconde catégorie de difficultés est plus difficile à appréhender parce que propre à chaque personne, la première nécessite juste un peu de bon sens et une volonté politique de prendre en compte la réalité des personnes en grande précarité.
A- Les difficultés administratives
Les premières difficultés lorsque l’on est en situation de grande précarité et à la rue, sont les difficultés administratives. Pour pouvoir prétendre à un emploi, aidé ou non, il faut être à jour de son inscription à la C.P.S., en l’occurrence au R.S.P.F. (Régime de Solidarité de la Polynésie Française). Cela suppose la constitution d’un dossier, dont chaque pièce peut être un véritable casse-tête pour l’obtenir : Attestation de résidence, C.N.I., adresse postale, compte bancaire,… Ce qui peut paraître, pour beaucoup d’entre nous, une simple formalité, voire une évidence… est bien souvent pour ces personnes un obstacle insurmontable.
C’est ainsi que rapidement, dès 1995 avec la mise en place du R.S.T., l’Accueil Te Vai-ete a été amené à développer un réseau de partenaire pour accompagner les personnes en grande précarité et à la rue sur le chemin de la réinsertion professionnelle.
a- Attestation de résidence
La première expérience fut la mise en place par le pays du Régime de solidarité appelé R.S.T devenu depuis R.S.P.F. L’inscription au R.S.P.F. nécessite la constitution d’un dossier incluant comme préalable une attestation de résidence, aujourd’hui remplacé par la copie d’une facture d’électricité ou l’attestation sur l’honneur de l’hébergeant. Il nous a fallu plusieurs mois et notamment la patience et l’obstination de feu Mr Jean-Claude RAU, en 1995, pour que nous trouvions un terrain d’entente avec la municipalité de Papeete et les Affaires sociales… ce fut la reconnaissance d’une attestation de l’Accueil Te Vai-ete attestant que la personne fréquente régulièrement la structure.
Depuis cette attestation a fait du chemin. Elle est aujourd’hui reconnue non seulement par la D.A.S. et la C.P.S. pour la constitution ou le renouvellement du dossier R.S.P.F. mais aussi par les services de l’État pour l’établissement de la C.N.I. et par l’Office de la Poste pour l’ouverture d’un compte postal.
b- C.N.I. (Carte Nationale d’Identité)
La Carte Nationale d’Identité est le second document indispensable. Mais c’est aussi celui qui est le plus difficile à conserver lorsque l’on vit dans la rue… entre les vols subit par ces personnes, les intempéries… Pour établir une C.N.I., rien de bien compliqué : un acte de naissance (100 xfp), deux photos d’identité (1 000 xfp), un timbre fiscal (1 500 xfp) sans oublier la fameuse attestation de résidence ! Soit un total de 2 600 xfp. Nous ne parlerons pas ici des difficultés supplémentaires pour les personnes nées dans les îles.
Au fur et à mesure des années, une véritable relation de partenariat a pu s’établir avec les différents services concernés.
- La reconnaissance par le service des C.N.I. de l’attestation de l’Accueil Te Vai-ete ;
- La gratuité des actes de naissances pour la commune de Papeete tout d’abord, puis de pratiquement l’ensemble des communes de Polynésie grâce notamment à l’intervention du Haut-Commissariat auprès des maires des communes via le S.P.C.P.F. (Syndicat pour la Promotion des Communes de Polynésie Française) ;
- Les 10% de réduction du prix des photos par le magasin Terii photo.
Simplement sur les 3 dernières année 2015-2018, l’Accueil Te Vai-ete a permis ainsi d’établir 182 C.N.I. pour un montant total de 382 960 xfp.
Nombre et valeur de C.N.I. par an
c- Adresse postale
Autre difficulté à laquelle les personnes en grande précarité et à la rue ont à faire face c’est une adresse postale pour recevoir leur courrier. Il nous a fallu trouver une solution pour que ces personnes puissent recevoir leur courrier. Le principe de la Poste étant qu’une boite postale est attribuée à une personne ou à une société. Toute personne supplémentaire occasionnant une augmentation de la location de la boite postale.
Nous nous sommes rapprochés de La Poste et nous avons présenté notre problème : avoir une boite postale unique pour l’Accueil Te Vai-ete et pour les personnes en grande précarité suivie… sans pouvoir donner un nombre précis d’usagé de la boite postale en raison de l’instabilité de ce public. Sans difficulté nous avons reçu un accueil favorable des services postaux. La boite postale de l’Accueil Te Vai-ete, sans frais supplémentaire que l’abonnement annuel normal, peut recevoir le courrier des personnes à la rue… sans limite de nombre.
Reconnaissons que le courrier des personnes en grande précarité et à la rue reste très rare, hormis les relevés postaux mensuels et quelques courrier officiel. Même si à ce jour, l’Accueil Te Vai-ete reste la seule structure au service des personnes en grande précarité qui mette ainsi sa boite postale à leur disposition.
d- Compte bancaire
Le dernier élément essentiel pour envisager une insertion ou réinsertion professionnelle et accessoirement la constitution du dossier R.S.P.F., c’est un compte bancaire ou postal.
Les difficultés sont de deux ordres : l’ouverture d’un compte et son fonctionnement.
- L’ouverture d’un compte : Outre les pièces habituelles (Certificat de résidence, C.N.I.), l’ouverture d’un compte a un coût, plus ou moins élevé en fonction des banques.
- Le fonctionnement du compte : Une fois le compte ouvert, les frais de tenue de compte sont mis en œuvre. Or pour la plupart des personnes à la rue, le compte n’est utilisé que très occasionnellement… et se retrouve par conséquent très souvent sans provision. Ainsi de fil en aiguille, il devient débiteur… puis est bloqué. Avec tout ce que cela implique. On s’est retrouvé un jour avec une personne à la rue qui a perçu un chèque d’indemnisation de la justice de 500 000 xfp qu’il ne pouvait déposer sur son compte avant d’avoir verser en espèces son découvert de 6 000 xfp !
C’est encore La Poste, plus précisément le C.C.P., qui par l’intermédiaire de la directrice déléguée des services bancaires nous a proposé de réfléchir ensemble en juin 2017 à une solution pour ces personnes en grande précarité. En février 2018, une convention de partenariat a été signée entre La Poste – CCP et l’Accueil Te Vai-ete qui établit la mise en place d’une « Offre solidarité ».
Ainsi, aujourd’hui, une personne en grande précarité et à la rue peut avoir accès à un compte postal sans frais, réduit au « service minimum » : dépôt de fond, d’indemnité, de salaire et retrait gratuit au guichet… sans possibilité de prélèvement automatique, carnet de chèque…
Si la convention n’a été signé que le 20 février 2018, sa mise en œuvre, d’une façon artisanale a débuté dès juin 2017. Ce sont ainsi 67 personnes qui actuellement bénéficie de cette « Offre solidarité ».
e- Conclusion
Grâce à ces partenariats multiples, l’Accueil Te Vai-ete a pu accompagner 134 personnes en grande précarité et à la rue dans la constitution de leur dossier R.S.P.F. et 126 pour le renouvellement de l’admission en 2017. Reste à pérenniser ces partenariats qui pour certains dépendent essentiellement d’une ou deux personnes en fonction des services et des administrations plus ou moins sensible à l’accueil de ces personnes.
B- Les difficultés humaines
L’autre grande partie des difficultés rencontré par les personnes en grande précarité et à la rue pour entamer une démarche d’insertion ou de réinsertion est la capacité relationnelle.
Ces personnes ayant souvent été mise en situation d’échec dans leurs expériences relationnelles (école, administration, employeurs,…) sont souvent paralysé à l’idée d’aller à la rencontre d’inconnus.
Les personnes qui accueillent ne peuvent pas toujours deviner qui elles ont en face d’eux : personne illettrée, maitrisant mal aussi bien le tahitien que le français, ayant un trouble psychologique plus ou moins grave…
Pour pallier à ces difficultés, une méthode artisanale mais efficace, est d’accompagner ces personnes en grande précarité dans leur démarche. Cette démarche ne consiste pas nécessairement d’aller avec eux, mais simplement de donner le prénom de la personne à rencontrer.
Une autre difficulté est la réticence des employeurs à s’engager avec des personnes dans cette situation. Réticence fondée : un investissement de temps pour former la personne, une précarité de logement qui ne garantit pas la durée et la performance… Le rôle de l’Accueil Te Vai-ete est d’assuré un lien entre l’employeur et la personne en grande précarité embauchée. Ainsi nous essayons, dans les premiers temps d’aller régulièrement sur le lieu de travail… et éventuellement, dans la mesure du possible, d’envisager un aménagement horaire pour que la personne puisse venir prendre son repas à l’Accueil Te Vai-ete avant de se rendre sur son lieu de travail.
Les difficultés relationnelles se dépassent essentiellement dans la prise en compte du nécessaire apprivoisement des uns et des autres, du dépassement des appréhension et des aprioris.
3° Petites expériences de remise au travail
Pour les personnes qui n’ont pas actuellement de perspective de travail… une petite « expérience » est en œuvre grâce à une bénévole : « Les confiturières de Te Vai-ete ».
Une petite équipe de trois personnes autour d’Odile apprend à faire des confitures et les mets en vente. Elles se réunissent deux à trois fois par semaine en fonction des fruits disponibles.
Une première expérience a eu lieu en octobre-décembre 2017. Deux ventes ont été organisées, l’une à la sortie des messes dominicales de la Cathédrale et l’autre à l’occasion du « Salon des artiz’ de l’espoir ». Deux opérations qui ont remporté un franc succès puisque chacune des « confiturières » – elles étaient trois – a perçue 60 726 xfp.
L’expérience a repris en février, avec une équipe quelque peu renouveler, certaines de la première équipe ayant entamée une formation.
C’est une expérience à la fois de travail puisqu’il s’agit de matinées bien pleines et d’un travail en équipe qui va de la confection à la vente.
Nous avons d’autre projet en perspectives… mais il nous faut d’abord trouver un local plus adapté que celui que nous occupons aujourd’hui ! À la grâce de Dieu !
4° Partenariat avec les structures du pays et les employeurs
D’autres perspectives s’ouvrent aujourd’hui pour l’insertion ou la réinsertion professionnelle des personnes en grande précarité et à la rue.
L’un des partenaires privilégiés et incontournables est sans aucun doute le SEFI, notamment avec les stages de formation proposés et les C.A.E. (Contrat d’Aide à l’Emploi) ouvert aussi aux personnes en grande précarité et à la rue en tant que demandeur d’emploi : 48 actuellement en C.A.E. et 9 dossiers en attente. Les C.A.E. sont une occasion en or pour cette population d’accéder à une expérience en entreprise, à une reprise de confiance en eux et aussi pour changer le regard des employeurs.
Depuis quelques mois, l’Accueil Te Vai-ete compte dans son équipe de bénévole un agent du S.E.F.I qui vient une fois par semaine, en dehors de ses heures de travail, participer à la vie de l’Accueil : préparation des repas, service à table… Parallèlement, il rencontre chacun des accueillis pour faire avec eux un bilan de leur situation professionnelle, des orientations possible… Cette présence et cette écoute sont un vrai « dynamiseur »… Une simple présence… ils se sentent exister et espèrent à nouveau… sans qu’aucune promesse ne leur ait été faite, bien au contraire. Notre bénévole leur rappelle sans cessse : « Pas de mystère, il faut vous bouger, chercher un employeur… après on pourra vous accompagner dans les démarches… » Les résultats sont là ! Beaucoup d’entre eux se bougent !
Le travail de l’Accueil Te Vai-ete est alors de les accompagner et orienter dans les démarches administratives… et d’être-là sans cesse pour les encourager, les secouer un peu parfois…
Un véritable partenariat… Chacun faisant ce qui est de sa compétence… Il ne nous appartient pas de faire de la formation, des organismes sont là pour cela et le SEFI assure l’orientation des personnes vers ces organisme… Le rôle de l’Accueil Te Vai-ete est d’être un « facilitateur » ! Malheureusement certaines structures d’accueil n’ont pas encore compris cela !
5° Conclusion
C’est une conclusion pleine d’espérance que nous voulons faire ici… Pas béatement… mais avec réalisme… le chemin est long, très long… rien n’est jamais acquis… chaque jour est un nouveau défi, d’abord pour les personnes en grande précarité et à la rue… puis pour nous qui nous proposons de faire un bout de chemin avec eux… Il n’ y a pas de mystère la réponse est :
Croire en eux… pour qu’ils croient en nous !