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1932 - Annales des SS.CC. (1)
Annales des Sacrés-Cœurs n°369 de juin 1932 pp.316-320
MONSEIGNEUR ATHANASE HERMEL
André-Étienne Hermel - le futur évêque-missionnaire de Tahiti dont nous avons déjà annoncé la mort - naquit à Fécamp (Seine-Inférieure) le 26 avril 1873. C'était lecinquième enfant d'une famille profondément chrétienne où nous voyons se ranger auprès de lui : un prêtre séculier, un dominicain (le R.P. Vincent Hermel, actuellement Prieur du couvent de Dijon, à qui nous devons les renseignements sur l'enfance et la jeunesse de notre prélat), un lieutenant devenu trappiste, un capitaine au long cours, et deux filles.
Mgr Hermel, comme ses frères et sœurs, avait de qui tenir. Le père, alors armateur à Fécamp, avait autrefois commandé un aviso dans l'escadre du Pacifique sous les ordres de l'amiral du Petit Thouars : il était passé à Tahiti au temps de la reine Pomaré, et avait eu l'honneur de transporter à son bord Mgr Maigret, vicaire apostolique des Iles Sandwich.
Bon marin, bon chrétien, ami des missionnaires, il devait souhaiter naturellement de voir éclore à son foyer des âmes d'apôtres et de navigateurs. Quant à la mère, Marie Leclercq-Dupire, issue d'une de ces religieuses familles du Nord, où la vocation sacerdotale est encore aujourd'hui ambitionnée comme la plus grande bénédiction, elle éleva ses enfants dans un tel amour de Dieu qu'elle a eu la gloire de compter parmi eux un Évêque, un prêtre séculier, un prêtre dominicain et un trappiste. La bénédiction, on le voit, a été abondante ! Nulle peut-être n'a été un plus grand sujet de joie pour toute la famille que la vocation du futur évêque de Tahiti.
Vocation et premières années de vie religieuse.
De bonne heure, nous dit-on, il manifesta un goût marqué pour le recueillement, l'éloignement du monde, les cérémonies de l'Église. Après avoir fréquenté l'école des Frères de sa paroisse (Saint-Étienne) à Fécamp, c'est-à-dire après sa première communion en 1884, il entra au petit séminaire du Mont-aux-Malades {Rouen), et s'y distingua par sa piété comme par son travail et ses succès. II y fit toutes ses études secondaires y compris la philosophie ; les deux dernières années, il eut même l'honneur d'être choisi comme maître des cérémonies, fonction dont il s'acquitta à l'édification générale. Il ressentit à cette époque de violents maux de tête qui l'obligèrent à interrompre ses études et à rentrer pour quelque temps dans sa famille ; mais sa vocation sacerdotale n'en souffrit aucun dommage, et dès qu'il le put, il se hâta vers le grand séminaire de Rouen où il se classa immédiatement parmi les élèves les meilleurs.
L'ensemble de ses qualités lui gagna rapidement l'estime et l'affection de ses condisciples et de ses maîtres, la preuve en fut dans son élection à la charge de « Prieur de la Fraternité de Saint-Thomas d'Aquin ». Il ne s'en prévalut que pour être encore plus recueilli, plus studieux et plus zélé pour tout ce qui intéressait le service de Dieu et la beauté de son culte. On disait qu'il nourrissait en son âme une vocation de religieux, et parce qu'il aimait beaucoup la liturgie, certains s'imaginaient qu'il porterait ses pas vers quelque monastère de l'ordre de Saint-Benoît. Peut-être y songea-t-il un peu, mais la vie édifiante de nos Pères qui dirigeaient alors le grand séminaire, fut le moyen providentiel dont Dieu se servit pour l'attirer dans notre institut. La mémoire des Pères Prosper Malige, Jacques Bund et Basile Prevel, supérieur et directeurs au séminaire de Rouen, est restée à tout jamais en bénédiction dans son âme : ils furent les Pères de sa vocation, et il leur voua une reconnaissance éternelle. Grâce à eux, son archevêque, Mgr Sourrieu, ne mit pas obstacle à son entrée à notre noviciat alors transféré en Espagne, à Milanda-de-Ebro. C'est là qu'il prit l'habit avec le nom de « Frère Athanase » le 28 juillet 1895. Il y fit profession le 25 décembre 1896, et y acheva ses études cléricales l'année suivante, sous la direction du R.P. Marie-Bernard Garric, qui avait été lui-même professeur au grand séminaire de Rouen. Le 25 juillet 1897 il était ordonné prêtre à Burgos et deux mois plus tard nous le trouvons à Louvain en Belgique, suivant les cours du futur cardinal Mercier tout en enseignant la philosophie à nos jeunes profès. II n'y resta qu'un an. Le 1er octobre 1898 il était professeur de philosophie au séminaire de Rouen. Tout faisait prévoir pour lui une brillante carrière de professeur et de directeur de séminaire, quand tout à coup la persécution vint l'arracher à cette belle perspective.
Au mois de juillet 1900, par ordre de Waldeck-Rousseau, qui inaugurait ainsi ses hostilités contre les congrégations religieuses, nous dûmes renoncer à la direction des grands séminaires de Rouen et de Versailles. Le R.P. Athanase fut envoyé à la petite résidence que nous avions alors au Havre ; il y resta huit mois, au bout desquels le T.R.P. Bousquet l'appela à Paris en vue de la prédication. Il avait un beau talent pour la chaire ; il réussissait, et il se croyait définitivement dans sa voie, quand une fois encore la Providence l'arrêta soudain pour le transporter sur un autre champ d'apostolat, à Tahiti.
Il en avait été question vaguement à son arrivée à Picpus ; mais tout semblait oublié. Or, un jour qu'il rentrait d'un sermon où il avait été particulièrement heureux, le Supérieur général, le rencontrant dans les escaliers, lui annonça sans autre préambule, qu'il avait décidé de l'envoyer en Océanie et que le départ aurait lieu incessamment, Le Père répondit, comme fera tout bon religieux en pareille circonstance : me voici, envoyez-moi ! Néanmoins la surprise avait été grande, il l'avoua sans détour à l'un de ses confrères à qui il fit part sur le champ des sentiments divers qui étreignaient son cœur. Il était heureux et fier d'être destiné aux missions lointaines, n'est-ce pas la vocation la plus sublime ? D'autre part, il s'y attendait si peu, il y avait tant de sacrifices à faire, qu'il en tremblait !… La lutte ne fut pas longue en cette âme généreuse et le fiat fut vite proféré. Son sacrifice devait être fécond pour lui et pour les âmes vers lesquelles il était envoyé.
Il s'embarqua au Havre, à bord de la Lorraine, le 27 décembre 19021. Quatre autres Pères et un Frère y montaient avec lui, les RR.PP. Caprais Cavaignac, Félix-Joseph Alazard et le Frère Marie-François Augée destinés comme lui à Tahiti, et les RR.PP. Éloi Serres et Victorin Sahel, qui devaient se rendre aux iles Marquises. Ils arrivèrent tous à Papeete, chef-lieu des Établissements français de l'Océanie, le 23 janvier 1903.
À la Cathédrale de Papeete un Prédicateur qui fait sensation.
A peine débarqué, le P. Athanase se mit à la disposition du vénérable Mgr Verdier, vicaire apostolique.
- Prêchez immédiatement, lui dit l'évêque. Ici, à Papeete, nombreux sont les gens - français, indigènes ou étrangers - qui comprennent notre langue.
Le Père obéit. La curiosité attira une assez belle assistance, et celle-ci fut émerveillée. Désormais, chaque fois que le jeune missionnaire prêchera, la cathédrale se remplira, et lui qui, en quittant la France, avait cru renoncer aux triomphes de la chaire, remporte déjà des victoires inespérées. Il prêche le Carême. L'église est comble : officiers, soldats, matelots, colons, indigènes, catholiques, protestants, t'écoutent sans se lasser, et quand ils sortent, ils répètent entre eux ce qu'il leur a exposé ; dans les cercles on en parle jusqu'à minuit, on discute avec les protestants, avec les impies, c'est un mouvement comme on n'en avait jamais vu. A la fin du Carême, le prince lnoï, protestant, parlant devant une nombreuse élite réunie à sa table, exprima sa pleine satisfaction des lumineuses conférences du jeune prédicateur ; et, ce qui est mieux, plusieurs parents protestants amenèrent leurs enfants au zélé missionnaire pour qu'il les baptisât, déclarant qu'ils voulaient les élever dans la religion catholique.
Ce mouvement, on le devine, ne faisait pas l'affaire des protestants qui, à cette époque, étaient tout puissants à Tahiti. C'était l'heure où, en France, le gouvernement nous chassait de nos demeures et ce vent de persécution souillait jusque dans nos colonies océaniennes. Les hérétiques trouvaient donc que ce petit Picpucien, chassé du séminaire de Rouen, réfugié à Tahiti, avait réellement trop d'audace, et ils résolurent de le mettre à la raison.
Ils organisèrent tout d'abord des conférences pour le réfuter. Elles échouèrent. Alors, pour le perdre, ils lui tendirent un piège, celui d'une conférence publique contradictoire. Heureusement le vénérable Mgr Verdier était là. Marchant sur les traces de saint François de Sales : « Il n'y a rien à faire avec des hérétiques de mauvaise foi, dit-il au Père. Si vous acceptez et que vous réfutiez leurs objections, ils provoqueront un tumulte qui demandera l'intervention de la police, et alors on réclamera votre départ. » L'évêque répondit lui-même, par une lettre pleine de dignité, qu'il n'acceptait pas le défi ! On imagine le beau tapage qui accueillit ce refus. « Le Papisme est mort ! » criaient les sectaires. Ce triomphe fut de courte durée.
Il y eut quelques semaines plus tard une magnifique fête en l'honneur de Jeanne d'Arc. Le P. Athanase y fit le panégyrique de la sainte, et il en profita pour venger l'Église catholique et en particulier le Souverain Pontife des calomnies soulevées à cette occasion par les protestants de Tahiti. Le succès dépassa toutes les prévisions. Jamais la cathédrale n'avait eu un concours de monde aussi extraordinaire, jamais auditoire n'avait vibré plus à l'unisson du prédicateur : c'était sur tous les visages une joie évidente de voir dissiper l'erreur et le mensonge. Une fois de plus, le Père s'imposait à la population tahitienne, les protestants pouvaient en faire leur deuil : la persécution contre notre institut en France leur valait un adversaire puissant en paroles et en œuvres. Oui, en œuvres aussi, car le Père Athanase ne limitait pas son zèle à la parole publique. Vicaire, puis bientôt curé de la cathédrale (décembre 1903), son activité embrasse tout ce qui est de nature à maintenir l'esprit chrétien dans la grande famille paroissiale.
« La paroisse ne marche pas trop mal, écrit-il le 27 septembre 1904. Il y a bien des curés en France qui sont plus à plaindre que moi. Nos communions du premier vendredi se maintiennent, ainsi que l'assistance à la messe. L'œuvre des Mères chrétiennes et celle des Enfants de Marie marchent aussi. J'ai maintenant 51 Mères chrétiennes. Leur caisse m'a permis de faire plus de 400 francs d'aumônes dans l'année. Quelques unes deviennent apôtres, c'est-à-dire zélées pour les malades, les malheureux, dévouées aux prêtres et aux œuvres. Le patronage (des garçons) ne donne pas encore précisément de résultats. Cependant je noterai un point. Les jeunes gens jusqu'ici se tenaient sous la tour de l'église, tout au bas, par respect humain ; maintenant ils s'asseyent aux premiers bancs, tout au haut de la nef Saint-Joseph. C'est un premier résultat. »
C'est au Supérieur général qu'il donne ces renseignements. Il ajoute : « Il me manque bien des choses pour la situation que j'occupe, mais, avant tout, la maturité de l'expérience, qu'aucun livre, sinon celui du temps, ne sait donner. Toutefois, puisque l'obéissance m'a voulu là, votre souvenir me suffit, môn Très Révérend Père, aux heures où le découragement voudrait me prendre, pour me redonner vaillance et patience. Seulement, comme je prie chaque jour pour vous, je vous en supplie, mon Très Révérend Père, ayez un petit souvenir pour votre enfant, qui voudrait mettre un peu de baume sur les plaies du cœur de son cher Père... »
À l'heure où il écrivait ces lignes, son Supérieur Général, en effet, avait l'âme meurtrie par toutes les injustices dont lui et sa congrégation venaient d'être victimes en France : tous nos établissements spoliés, toutes nos communautés exilées, lui seul restait encore à Picpus avec trois Pères dans une pénible incertitude, voulant pousser jusqu'à la dernière limite sa résistance passive contre les lois iniques et antireligieuses que nous subissions. Cette lettre fut certainement un baume pour son cœur, et elle le confirma dans la conviction que ce jeune missionnaire était l'élu du Seigneur pour prendre un jour la succession de Mgr Verdier à la tête du Vicariat apostolique de Tahiti. Seulement il était si jeune ! Si encore Mgr Verdier avait voulu patienter quelque temps ! Mais le vénérable évêque réclamait d'urgence un coadjuteur. Rome lui avait répondu en nommant pour ce poste le R.P. Joseph (Georges) Eich, déjà provicaire et provincial (27 mai 1904).
Cet intrépide et zélé missionnaire, justement apprécié de ses confrères et des habitants, avait toutes les qualités voulues pour remplir cette charge ; malheureusement les travaux et les fatigues d'un laborieux apostolat l'avaient épuisé, et quand il reçut les brefs pontificaux qui l'élevaient à l'épiscopat avec le titre d'évêque de Sétif, il se préparait au grand passage de l'éternité : il devait mourir le 27 mars 1905. Entre temps il disait au Père Athanase qui le visitait souvent et lui demandait conseil : « C'est vous, mon cher Père, qui allez être sacré à ma place : vous êtes tout désigné. »
Évêque titulaire de Casium et Coadjuteur de Mgr Verdier.
Le jeune missionnaire voulait se faire illusion, il aimait à penser que sa grande jeunesse pourrait lui épargner un pareil fardeau. II n'en fut rien. Le 15 mai 1905 le Saint-Siège le nomma évêque titulaire de Casium et coadjuteur avec future succession de Mgr Verdier. II avait tout juste trente-deux ans : il était le plus jeune évêque de toute la chrétienté. Son sacre eut lieu à Tahiti, dans l'élégante cathédrale de Papeete, le 27 août 1905. Le prélat consécrateur fut Mgr Verdier lui-même, assisté de Mgr Martin, vicaire apostolique des îles Marquises. Ce fut, comme on le devine, une cérémonie incomparable. Douze missionnaires étaient accourus des postes les plus lointains pour la rehausser de leur présence. La cathédrale était merveilleusement parée, mais sa plus belle parure était assurément l'assistance pieuse et recueillie qui débordait de toutes parts, et où de nombreux protestants s'étaient mêlés aux catholiques. Nos Annales (décembre 1905, pp. 365-378) ont donné d'amples détails sur cet événement qui fait date dans l'histoire de nos missions ; elles font allusion à la lettre, pleine de piété filiale, que le nouvel évêque écrivit à cette occasion à son Supérieur général. La voici en partie.
Papeete, 26 septembre 1905.
« Mon Très Révérend Père,
C'est avec émotion que je réponds à vos instances en envoyant à mon vénéré et bien-aimé Père, pour lui et pour toute notre chère famille religieuse, la bénédiction du plus jeune comme du plus indigne et du plus petit évêque de la catholicité entière. Inutile de vous dire, mon Très Révérend Père, combien votre souvenir m'était présent, avec celui de la Congrégation que vous personnifiez au jour à jamais mémorable de ma consécration épiscopale. Fête splendide, aussi grandiose qu'elle pouvait l'être dans notre petit pays, mais par contre plus intime que partout ailleurs : nous étions vraiment en famille. Mgr Verdier a bien et grandement fait les choses. Tout a été pour le mieux, et pour la population ce fut un véritable enthousiasme. Beau jour, plein de grâces, espérons-le, pour ce pauvre pays !
Merci tout spécialement, mon T.R. Père, des prières que vous avez ordonnées pour moi dans la Congrégation. C'est une de ces délicates attentions dont votre cœur est coutumier : j'y ai été très sensible. De mon côté, j'ai bien prié le Très Pur Cœur de Marie (c'était sa fête le 27 août) pour la Congrégation et son chef vénérable. J'avais inscrit ces noms sur un papier que j'ai porté sur mon cœur pendant toute la cérémonie. »
Parlant des armes dont il avait fait choix, il ajoute :
« Je suis heureux que vous ayez eu mon blason pour agréable. Vous me félicitez de sa conception. Elle est toute du vénéré et encore si regretté Père Joseph Georges Eich, évêque nommé de Sétif. Peu de temps avant de mourir, il me dit : “Vous allez sûrement me succéder. Il faut mettre dans vos armes : les Sacrés- Cœurs pour rappeler la Congrégation ; le cocotier, Tahiti ; le bateau, votre papa. Ce sera donc pour moi comme un souvenir du Père Joseph.” »
(L'Étoile, retenue du blason de Mgr Jaussen, le premier vicaire apostolique de Tahiti, rappelle assez éloquemment la piété filiale du jeune évêque pour Marie, l'Étoile de la Mer, et la patronne de la cathédrale de Papeete).
La vaste et difficile mission confiée au zèle du nouvel Évêque missionnaire.
Coadjuteur de Mgr Verdier - en attendant de prendre effectivement la direction du Vicariat, ce qui arrivera le 26 février 1908 - le nouvel évêque se met peu à peu au courant de l'administration générale, et il n'a pas de peine à constater que, suivant la parole du premier vicaire apostolique de Tahiti, Mgr Jaussen, cette mission est une des plus vastes et des plus pénibles du monde. En effet, à cette époque, elle comprenait, en allant de l'ouest à l'est, une demi-douzaine d'archipels - les Iles Cook-Manihiki, les IIes-sous-le-Vent, les Iles Tahiti-Mooréa, les Iles Tubuaï, les Iles Tuamotu, les Iles Gambier, à quoi il fallait ajouter lesîlots Rapa et PitcaIrn, et même, pratiquement, l 'Ile-de-Pâques perdue dans l'immensité de l'Océan à 4 500 kilomètres de Tahiti. Des Iles Cook à l'Ile de Pâques, il y a quelque 50 degrés de distance, près de 6 000 kilomètres, comme de Brest aux Etats-Unis !
Et sur cette vaste étendue de mer, une poussière d'îles : les unes, hautes et fertiles comme Tahiti, Mooréa, Raiatéa, Rarotonga, Mangaréva, etc., les autres, basses, sablonneuses, coralliennes, comme les Tuamotu, Manihiki, et celles-ci, beaucoup plus nombreuses, ne produisant que le cocotier, par conséquent, d'une pauvreté extrême. Quant à la population disséminée sur ces minuscules terres, sur ces récifs, elle atteignait à peine 40 000 âmes, que l'hérésie protestante, mormone, adventiste et le paganisme disputaient à la vraie foi. Leur évangélisation n'était pas facile. Pour cette centaine de petites peuplades éparpillées aux quatre vents, le chef du vicariat n'avait qu'une vingtaine de prêtres ; plusieurs d'entre eux avaient à desservir une dizaine d'iles, et se trouvaient de ce fait continuellement en route pour aller de l'une à l'autre. Or, les communications entre ces îles étaient et sont encore, extrêmement rares. Par suite de leur pauvreté, elles n'attirent pas les navires marchands, et pour y aller, le missionnaire n'a souvent d'autre ressource que de se confier aux frêles esquifs des naturels, ce qui n'est pas sans danger. Nulle part peut-être la navigation n'est plus périlleuse que dans ces parages, semés d'écueils et fertiles en cyclones : aussi Bougainville a-t-il donné le nom d'Archipel Dangereux aux 80 îles des Tuamotu, qui s'échelonnent de Tahiti aux Gambier sur une longueur de 1 500 kilomètres et une largeur de 600 kilomètres.
Matériellement et spirituellement, il y avait beaucoup à faire pour maintenir d'abord les positions acquises et en établir de nouvelles. Plusieurs de ces archipels, au point de vue temporel, avaient été cruellement éprouvés par un cyclone qui avait éclaté à l'heure même où notre futur évêque cinglait de San Francisco sur Tahiti (14-15 janvier 1903). Le sinistre s'était fait sentir particulièrement aux Tuamotu où il avait ruiné pour longtemps les plantations de cocotiers et enlevé un dixième de la population : plus de 500 victimes. Le jeune Père Athanase avait eu pour ses débuts à Tahiti le triste spectacle de centaines de sinistrés, péniblement arrachés à la fureur des vents et des flots et ayant tout perdu dans la catastrophe. On devine ce que la mission elle-même avait perdu d'églises, de presbytères et autres bâtiments.
Or, pour son début dans l'épiscopat, une épreuve semblable - mais plus cruelle encore - vient s'abattre sur Tahiti et les Tuamotu. Dans la nuit du 7 au 8 février 1906, une effroyable tempête se déchaîna dans ces parages : la moitié de la ville de Papeete fut renversée : 24 églises, 19 presbytères, 6 écoles croulèrent ; quant aux victimes, combien étaient-elles ? Le chiffre n'était pas précis, mais il en était une qui, pour ces populations comme pour les missionnaires, dépassait en valeur toutes celles qu'on pouvait dénombrer, c'était le R.P. Vincent-de-Paul Terlyn, l'apôtre des îles basses, enlevé par la vague à l'île Faaité. Malgré les grondements de l'orage, il avait dit la messe, il avait confessé tout son monde, « comme pour mourir », et puis, après avoir exhorté les insulaires à se tenir prêts à paraître devant Dieu, il s'était attaché à un cocotier pour n'être pas emporté par les flots. La précaution était bonne. Malheureusement les liens se rompirent et il disparut dans l'immensité de la mer : son corps rejeté par les vagues fut retrouvé quatre jours plus tard, à 15 kilomètres de là. Il fut pleuré par tous ses néophytes et profondément regretté de tous ses confrères, qui l'aimaient et admiraient sa vaillance et sa bonté.
La première visite pastorale de Mgr Hermel aux Iles sinistrées.
À la nouvelle de ce désastre, les deux évêques se concertèrent. Le vénérable Mgr Verdier, comptant pour rien son âge et ses infirmités, partit pour San Francisco aux États-Unis, afin d'y tendre la main pour ses ouailles et pour ses œuvres ruinées. Hélas ! quand il débarqua à San Francisco, l'opulente cité américaine n'était elle-même qu'un monceau de ruines : un tremblement de terre avait tout abattu. Mgr Verdier rentra à Tahiti, désolé.
Son coadjuteur, durant son absence, n'avait pas perdu son temps. Accompagné du R.P. Goulven Tournellec, il était parti le 17 mai pour aller visiter les îles sinistrées, les consoler, leur porter quelques secours, surtout celui de sa bénédiction, et l'espoir que bientôt d'abondantes aumônes allaient arriver d'Amérique. Espoir vite déçu : il avait à peine visité la grande île Rairoa, qu'on lui annonçait le désastre de San Francisco ! Pour comble de malheur, la goélette qui le transportait, le Toerau, se mit à faire eau d'une façon inquiétante. Le capitaine, peu rassuré, ne voulut pas aller plus loin, et force fut à Mgr Hermel et à son compagnon de rentrer à Papeete pour y chercher un autre moyen de transport. Ce fait se reproduira en 1921, presque dans les mêmes circonstances : la carène du bateau chargé de conduire l'évêque à travers les Tuamotu, n'aura pas moins de trois énormes blessures par où l'eau entrait à gros bouillons. Ce qui montre combien ces voyages étaient périlleux.
Mais à quelque chose malheur est bon. En remontant sur un autre bateau, Monseigneur y entassa les secours abondants qui, entre temps, étaient arrivés de France et d'ailleurs, Aussi est-ce avec grande joie qu'il reprit la mer le 26 juillet. à bord de la Papeete. La première île qu'il rencontra sur son chemin fut Anaa. Il y trouva le R.P. Adrien Perray qui devait l'accompagner jusqu'au bout de sa longue et pénible pérégrination. Du 16 juillet au 27 octobre, il visita vingt-six îles. S'il y trouva souvent des sujets de joie, il y trouva davantage encore des motifs de tristesse, comme le montre la seule visite d'Anaa. Voici ce qu'en raconte le R.P. Adrien.
« Là où nous avions le beau village de Tuuhora, Sa Grandeur n'a plus trouvé qu'un récif complètement dénudé. Des crânes, des ossements humains, des cercueils retenus par les racines des cocotiers, trois citernes cimentées, voilà tout ce qui nous reste de ce beau village. Il comptait 120 habitants. La mer les a tous emportés, 34 ont péri ; les autres, privés de tout, n'ayant pas même de quoi se couvrir, se sont abrités sous de misérables abatis de branchages.
De la magnifique église de Tématahoa, il ne reste que les quatre murs ; quant au village, ce n'est plus qu'un amas de décombres.
À Tékahora, ce fut la grande hécatombe, 45 indigènes ont disparu, 26 seulement ont échappé à la mort.
Le village de Témarié, autrefois le plus beau, le plus riche, est aujourd'hui le plus affreux : 10 indigènes ont péri. Pour la seule île d'Anaa, cela fait donc 89 victimes. »
D'Anaa, Monseigneur passe à l'ile Faaité, théâtre du sacrifice du P. Vincent-de-Paul. Le village est anéanti, et c'est à peine si on finit par retrouver l'emplacement de l'église ! Il ne reste que quelques indigènes déguenillés, blottis comme des animaux sous des feuilles de cocotier. Le jeune prélat mêle ses larmes à celles de ces pauvres néophytes, plus touchés, semble-t-il, de la perte de leur missionnaire bien-aimé, le P. Vincent-de-Paul, que de leur propre misère.
Après Faaité, Monseigneur visite Fakarava, Kauehi, Takaroa, Takapoto, Katiu, Makemo, Napuka, Takumé, Amanu, Vahitahi, Nukutavaké, Turëia, Mangaréva, Akamaru, Taravai, Réao, Pukarua, Takoto, Fangatau, Hao, Hikuëru, Toau, Apataki, Kaukura , Raroia. Partout, à peu près même désolation, mêmes larmes à sécher, mêmes détresses à soulager. La seule île de Hao, autrefois fière de ses 500 habitants, n'en compte plus que 200 : tous les autres ont été emportés par les vagues. Partout Monseigneur distribue des vivres, des vêtements, mais ses provisions s'épuisent, les gens n'ont plus d'abri ; alors, dans la mesure du possible, il embarque les familles les plus misérables, et c'est ainsi que le 27 octobre, trois mois après son départ, il rentre à Tahiti avec 80 indigènes recueillis en route. Il était brisé de fatigues, son cœur était navré de douleur, car s'il avait réconforté bien des âmes par sa parole, par les sacrements et par ses aumônes, il en restait encore beaucoup qu'il n'avait pu atteindre.
Durant ce long voyage, il s'était rendu compte par expérience de la dure vie que mènent les missionnaires de cet archipel dangereux. Il avait dû, à leur exemple, franchir des passes et des récifs sur de frêles embarcations, se voir parfois à deux doigts d'un naufrage, souffrir cruellement du mal de mer et endurer toute sorte d'incommodités résultant d'installations par trop primitives ou même souvent totalement absentes. Et il se répétait au fond du cœur le refrain bien connu : Oh ! que les âmes sont donc précieuses, puisqu'elles coûtent si cher à gagner au Cœur de Jésus !
Il reverra plusieurs fois ces îles basses durant ses vingt-sept ans d'épiscopat, il les verra de nouveau éprouvées, quoique moins cruellement, par les raz de marées et les cyclones.
À la conquête de nouveaux archipels.
Mais les Tuamotu ne sont qu'une partie du vaste champ confié à son zèle apostolique, De Tahiti, son regard anxieux se porte fréquemment à l'ouest et au sud. À l'ouest, s'étendent les Iles-sous-le-Vent, les Iles Cook, les îles Manihiki ; au sud, ce sont les Iles Tubuaï et dépendances : c'est à peine si le catholicisme y est implanté ou même seulement connu. Les protestants, qui en ont pris possession depuis longtemps, veillent jalousement à en écarter le missionnaire catholique ; des lois spéciales ont été portées contre lui, et on l'a dépeint sous de telles couleurs que les insulaires, prévenus, le redoutent comme un être malfaisant. Toutefois au fur et à mesure que ces terres passent – annexées ou simplement protégées - sous la domination de la France ou de l'Angleterre, les barrières tombent et nos Pères peuvent risquer une visite. Ainsi en avait-il été en 1894 aux Iles Cook, où le R.P. Bernardin Castanié avait inauguré une petite station qui, de l'îlot Mauke, rayonnera dans toutes ces îles soumises à l'Angleterre. Restaient les îles devenues françaises. À peine arrivé à Tahiti, même avant d'en avoir la responsabilité comme évêque, Mgr Hermel, s'était préoccupé de leur faire porter immédiatement la lumière de la vraie foi. Il est touchant de le voir s'adresser, dès 1904, au T.R.P. Bousquet, pour lui demander dans ce but de nouveaux ouvriers apostoliques. Le 1er avril 1904, en lui offrant ses vœux pour la Saint-Marcellin, il écrit :
« Si j'étais près de vous, le jour de votre fête, mon T.R. Père, je me mettrais à deux genoux devant vous, et je vous supplierais avec l'éloquence du cœur, de nous envoyer de suite quelques bons sujets pour commencer les Iles-sous-le-Vent. Le R.P. Provincial vous fait une exacte et intéressante narration de son voyage (d'exploration). Ah ! Bien-aimé Père, Levate oculos vestres et videte regiones, quia albae sunt jam ad messem ! Oui, c'est le moment : profitons-en. Time Deum transeuntem et non revertentem. Oui, les missions, les missions, c'est notre premier devoir. Le bon Dieu nous multipliera comme les grains de sable du rivage, le jour où nos forces principales seront dirigées vers l'Océan pacifique, Pater, miserere nobis ! - Dic illis ut nos adjuvent !
Que ce soit là, mon T.R. Père, votre cadeau de fête !...
Mais... pardon !… En relisant ma lettre, je m'aperçois que j'ai été bien hardi dans mon langage, vis-à-vis de mon Supérieur général. Pardon, mon T.R. Père, c'est mon cœur qui a entraîné ma plume ! »
Le T.R.P. Bousquet, qui aimait les missions, eut certainement pour agréable l'expression d'un vœu qui répondait à ses propres aspirations. Aussi envoya-t-il du renfort, et dès 1906, le R.P. Célestin Maurel, Provincial, fondait le premier poste des Iles-sous-le-Vent, à l'île Huahinë, d'où notre apostolat s'étendra peu à peu à Raiatéa, chef-lieu de l'Archipel.
Le vénérable Mgr Verdier, toujours vicaire apostolique de la vaste mission, se réjouissait plus que personne de voir se réaliser au soir de sa longue carrière, les plans tant de fois élaborés de l'extension du règne de Dieu dans les îles confiées. à sa sollicitude pastorale. Aussi, en 1907, envoya-t-il son cher coadjuteur visiter ces nouveaux postes et porter aux missionnaires et néophytes ses encouragements et ses bénédictions. Ce fut avec bonheur que Mgr Hermel fit sa première tournée de l'Ouest, durant laquelle il visita Raiatéa, mais sans pouvoir, hélas ! descendre à Huahiné. II continua son voyage jusqu'aux Iles Cook, où il visita les iles Aïtutaki, Mauke, Atiu, Manuaï et Rarotonaga : il y trouva 4 missionnaires, 5 chapelles, 2 écoles, 5 religieuses de Saint-Joseph de Cluny, et une naissante chrétienté qui l'édifia profondément. S'étant trouvé à Rarotonga le premier vendredi du mois, il vit la petite église se garnir d'une nombreuse assistance pour la messe et compta vingt communions. Pensant que sa présence était peut-être cause de cette affluence, il demanda des explications, et il ne put s'empêcher de louer hautement le missionnaire et les néophytes, en apprenant qu'il en était ainsi tous les premiers vendredis du mois, et que ces nouveaux chrétiens célébraient ce jour du Sacré-Cœur presque à l'égal du dimanche…
L'ouest du Vicariat était donc sérieusement entamé : des Iles Cook, les missionnaires montèrent aux îles Manihiki et Rakahanga, également anglaises, et y fondèrent des stations qui se sont très heureusement développées (1909- 1926).
Tout en poussant activement cette avance à l'ouest, le jeune évêque missionnaire soupirait après l'évangélisation des iles du sud, dites « Iles Australes », dont le chef-lieu est l'île Tubuaï. II choisit pour y implanter la mission un de ses compagnons de voyage du Havre à Papeete lors de sa venue en Océanie en 1902-1903, le R.P. Caprais Cavaignac - un brave, qui en 1922 donnera sa vie pour la fondation de ce poste. Le 8 janvier 1909, il lui adjoignit le R.P. Arsène Prat, qui, lui aussi, devait mourir victime de son dévouement auprès des pestiférés en 1918, et il les envoya dans le sud. Ils s'installèrent à Tubuaï, y établirent deux postes, d'où la mission, quinze ans plus tard, s'implantera à l'île Rurutu (1929), tandis qu'un missionnaire des Gambier, le R.P. Vincent-Ferrier Janeau ira faire un séjour de six mois à l'ile Rapa, d'un difficile accès (1922).
Ces fondations ne se faisaient pas sans de lourdes dépenses ni de grands sacrifices ; mais, dominé par la responsabilité d'âmes si délaissées, le généreux prélat allait jusqu'à l'extrême limite de ses possibilités, et il était heureux de se voir admirablement secondé par une poignée de missionnaires - peu nombreux il est vrai - mais pleins d'initiative et de vaillance. Aussi, bien que depuis longtemps il fût officiellement déchargé de l'évangélisation de l'Ile-dePâques ; apprenant en 1927 que les habitants de cette île lointaine se plaignent de la misère spirituelle où on semblait les abandonner, il n'hésita pas à leur dépêcher un de ses prêtres - le R.P. Régis Abgrall - qui fit parmi eux une courte mais bienfaisante apparition. Coût du voyage : six mille francs ! C'est beaucoup assurément : mais quand on songe que les âmes ont coûté à Notre-Seigneur tout le sang de ses veines, on se tait, et on admire la générosité et l'esprit de foi de ce pauvre évêque-missionnaire. De tels actes nous rappellent que toutes les âmes sont également chères au Cœur de Jésus et que les plus éloignées, les plus isolées - comme la brebis perdue - doivent stimuler, parfois jusqu'à l'héroïsme, le zèle des vrais pasteurs.
Travail en profondeur : écoles, presse, Bible en tahitien. Vocations. Léproserie.
Parfois le zèle de l'extension d'une œuvre fait perdre de vue la culture en profondeur. Il n'en fut pas ainsi chez Mgr Hermel. À l'heure même où il travaillait de toutes ses forces à étendre les limites de son apostolat effectif, il s'occupait avec non moins d'ardeur à intensifier la vie chrétienne dans toutes les âmes confiées à sa sollicitude. Les Écoles furent à juste titre une de ses plus constantes préoccupations.
Heureux d'avoir à Papeete deux magnifiques établissements dirigés par les Frères de Ploërmel et les Sœurs de Saint-Joseph de Cluny, il fit tout ce qui était enson pouvoir, d'abord pour sauver leur existence à l'heure critique de la persécution combiste, ensuite pour les doter de locaux dignes de leur réputation toujours grandissante. Ces deux écoles sont de plus en plus prospères et ont mérité naguère encore les plus flatteuses appréciations des jurys officiels et du Gouverneur de la colonie. Ce bienfait des écoles congréganistes, s'il l'avait pu, il l'aurait prodigué à chacun de ses archipels. Une de ses plus grandes joies d'évêque fut, en 1925, de doter les lIes-sous-le-Vent d'une école confiée aux Sœurs de Saint-Joseph de Cluny : il alla lui-même la bénir à Raiatéa, et il eut la satisfaction de voir l'Administrateur civil prendre également part à cette fête qui eut un grand succès.
Dans l'impossibilité de procurer des Frères et des Sœurs à tous ses postes, du moins exhortait-il ses missionnaires à se faire eux-mêmes « instituteurs » là où les agents du gouvernement voulaient bien ne pas les incriminer pour cet acte de dévouement et de patriotisme. S'il y eut des sectaires pour s'en offusquer, il y eut aussi des hommes de cœur pour apprécier les services rendus par ce moyen à la colonie et à la France. N'est-ce pas pour reconnaître ces services que Mgr Hermel reçut la croix de la Légion d'honneur en 1925 et le R.P. Amédée Nouailles le ruban d'Officier de l'Instruction publique en 1928 ? Un des grands mérites de Mgr Hermel et de ses missionnaires aura été d'avoir pu maintenir - sinon toutes les écoles de la mission - du moins les principales malgré l'ouragan de la persécution, et cela a été un immense bienfait.
Instruire est la principale mission des ouvriers de l'évangile. Nul n'était plus profondément pénétré de ce devoir que Mgr Hermel. Personnellement il s'est dépensé tant qu'il a pu à rompre à ses fidèles le pain de la Parole. Son exemple entretenait le zèle de ses prêtres et de ses nombreux catéchistes. À la prédication des lèvres se joignait celle de la plume : ses lettres pastorales, sa correspondance et bientôt le journal. Le 24 août 1909 parut à Tahiti le premier numéro du Semeur, bulletin mensuel de la mission pour les lecteurs de langue française, puis, pour les indigènes, le premier numéro du bulletin tahitien Vea Katorika. L'un et l'autre ont fidèlement poursuivi leur apostolat jusqu'à ce jour.
Ce qu'il avait fait à Tahiti, Mgr Hermel souhaita qu'on le réalisât aux Iles Cook. Marchant sur ses traces, les missionnaires de Rarotonga devinrent à leur tour journalistes et imprimeurs. À partir du 1er février 1914, leur Torea Katorika n'a pas cessé un seul mois de porter la bonne semence de la vraie foi jusqu'aux plus lointains villages de leurs îles, même dans celles où ils n'ont pas encore établi de station. Un bon journal, a-t-on dit, c'est une mission permanente. Voilà pourquoi l'initiative de Mgr Hermel fut hautement louée et encouragée par le Cardinal Gotti, alors Préfet de la Propagande, et spécialement bénie par le Souverain Pontife Pie X.
À côté de ces publications périodiques, se place, en 1914, la réalisation d'une œuvre que nous qualifierions volontiers de « gigantesque ». Il s'agit de la Bible tout entière traduite en tahitien. Un énorme volume de 1 560 pages grand in-octavo à double colonne, contenant 36 000 versets et des centaines de notes. Tout l'honneur sans doute n'en revient pas à Mgr Hermel, puisque plusieurs missionnaires y ont travaillé pendant plus d'un quart de siècle, et que ses prédécesseurs, Mgr Jaussen et Mgr Verdier, en ont dirigé les travaux comme lui. Néanmoins c'est bien lui qui a couronné ce grand œuvre, qui en a fait la mise au point, et qui a décidé enfin de livrer à l'impression l'énorme manuscrit, Là encore, il a eu la satisfaction d'être béni par le Saint-Père, et cette Bibiria moa figure avec honneur à la Bibliothèque missionnaire du Latran comme une des belles preuves des efforts apostoliques et linguistiques de nos confrères d'Océanie.
D'autres publications, comme le catéchisme tahitien en images, le guide des catéchistes tahitiens, le grand catéchisme tahitien, etc. montrent que Mgr Hermel avait l'œil ouvert aux nécessités doctrinales de ses fidèles, et qu'il profitait de toutes les occasions pour leur départir en abondance la nourriture de l'âme.
Pour assurer davantage encore à ses ouailles le bienfait de la prédication évangélique, il aurait voulu augmenter le nombre de ses collaborateurs en suscitant parmi ses fidèles des vocations sacerdotales et religieuses. Il y a travaillé personnellement, se faisant professeur de latin et stimulant le zèle de ses missionnaires pour discerner d'abord et cultiver ensuite les sujets aptes à gravir un jour les degrés du sacerdoce. Si malgré des initiatives diverses il n'a pas eu la joie d'assister au succès d'une aussi sainte entreprise, du moins a-t-il le mérite d'avoir essayé plusieurs fois et d'être entré ainsi pleinement dans les directions du Saint-Siège relativement au clergé indigène. La preuve qu'il ne se décourageait pas, c'est qu'à son dernier voyage, nous l'avons entendu affirmer sa quasi-certitude de pouvoir enfin conduire un jeune homme jusqu'à la prêtrise. Nous aimons à penser que Dieu, qui couronne les moindres travaux entrepris pour sa gloire et le salut du monde, donnera une divine fécondité à toutes ces semences apostoliques. Nous avons d'autant plus le droit de l'espérer que si Tahiti n'a pas donné de vocations sacerdotales, elle a déjà donné plusieurs vocations religieuses, dont on a bénéficié chez nos Sœurs et chez les religieuses de Saint-Joseph de Cluny.
Des Sœurs - en particulier des Sœurs Infirmières - il en aurait voulu en 1922, lorsque l'Administration forma une léproserie en règle à Orofara, à une quinzaine de kilomètres de Papeete. Il aurait voulu que les premiers lépreux réunis dans ce village de « ségrégation » y trouvassent dès leur entrée quelques bonnes religieuses pour les accueillir et les soigner : que ce lazaret de Tahiti fût comme une petite copie de la célèbre léproserie de Molokaï, où des religieuses franciscaines se dévouent avec tant de succès et d'édification au soulagement des misères physiques et morales de leurs nombreux malades. Si les circonstances ne lui permirent pas de réaliser ce beau rêve de son cœur de pontife et de père compatissant, du moins s'empressa-t-il de confier ces pauvres séquestrés au charitable dévouement d'un de ses missionnaires spécialement choisi et agréé par le Service de santé. Pour lui, personnellement, c'était toujours une fête d'aller rendre visite à ces membres souffrants de Jésus-Christ. Il était ravi de leur dire la messe, de leur adresser la parole, de les confirmer et de Ieur procurer mille petits cadeaux, que son commissionnaire, le Frère Marie-François Augée, s'empressait de leur distribuer. Et sans retard il leur fit bâtir une chapelle qu'il alla bénir lui-même et dédier à Saint-Lazare, l'ami de Jésus , le ressuscité de Béthanie.
Érection des îles Cook en préfecture apostolique.
Le plus grand bien des âmes, telle a été durant tout son épiscopat la constante préoccupation de ce pasteur désintéressé et clairvoyant. C'est ce qui le porta en 1922 à solliciter du Saint-Siège le démembrement de sa vaste mission. L'extrémité occidentale de son vicariat était occupée par l'archipel anglais des Iles Cook, celles-ci embrassant dans leur orbite plusieurs autres îles comme Manihiki, Rakahanga, Penrhyn, etc. Ces îles qu'il avait visitées et dont il avait généreusement soutenu l'évangélisation, il estimait qu'elles prospéreraient davantage en formant une mission indépendante. Il en fit la proposition au Saint-Siège, et le Saint-Siège, rendant justice à la sagesse de ses vues, détacha cet archipel de la juridiction de Tahiti pour en faire la « Préfecture .apostolique des Iles Cook » (27 nov, 1922). Effectivement, comme l'espérait Mgr Hermel, elle s'est heureusement développée sous le gouvernement de son zélé fondateur, le R.P. Bernardin Castanié : on a vu dans le numéro de mai de nos Annales (p. 412) l'intéressante statistique de cette Préfecture, spécialement consacrée à sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus.
La guerre. Mort de Mgr Verdier. Noces d'argent d'épiscopat.
Parmi les événements qui ont marqué les vingt-sept ans d'épiscopat de Mgr Hermel, il y en a trois qui méritent une mention spéciale. Le premier est la grande épreuve de la guerre mondiale qui retentit sur le champ au centre même de sa mission. Monseigneur fut personnellement mobilisé avec plusieurs de ses missionnaires, dont deux durent quitter les îles pour aller rejoindre leurs compagnons d'armes sur les champs de bataille de l'Europe. Pour être resté sur place, l'évêque n'en fut pas moins exposé aux éclats d'obus de l'artillerie allemande. Des navires de guerre allemands se présentèrent un jour devant le port de Papeete, et le bombardèrent. Mgr Hermel, en se portant là où l'on pouvait avoir besoin de son ministère, vit tomber à ses côtés des débris de mitraille et de rocher ; son sang-froid, son dévouement non moins que sa bonne humeur furent un réconfort pour plusieurs et le souvenir de sa belle conduite en cette circonstance ne fut pas étranger sans doute aux motifs qui déterminèrent plus tard le gouvernement français à lui décerner la décoration de chevalier de la Légion d'honneur.
Le deuxième événement fut la mort du vénérable Mgr Verdier arrivée le 17 janvier 1922. En recevant de ses mains l'onction pontificale le 27 août 1905, Mgr Hermel avait le sentiment profond de sa jeunesse et, comme il l'avait écrit au T.R.P. Bousquet - de son inexpérience, surtout dans le domaine des missions océaniennes.
Dieu qui l'avait choisi le savait encore mieux que lui, et il savait de plus qu'il ne le laisserait pas au début sans le ferme appui du sage et saint évêque dont il devait continuer à tracer le sillon dans le vaste champ de l'apostolat insulaire. Mgr Verdier avait soixante-dix ans lorsqu'il sacra son jeune coadjuteur, il gouvernait la mission depuis vingt et un ans, il aurait pu se promettre de la gouverner encore aisément une dizaine d'années ; mais un asthme, de plus en plus tenace, lui faisait craindre de n'être plus à même de visiter les innombrables îles qui attendaient le bienfait de sa tournée pastorale. Avec une respectueuse insistance il avait demandé un coadjuteur, et quand il l'eut obtenu et qu'il l'eut mis au courant de l'administration du vicariat, il s'effaça discrètement, complètement, irrévocablement, donnant un des plus touchants exemples d'abdication réelle et totale, d'autant plus remarquable qu'elle est plus difficile et plus rare.
Ce fut en 1908 qu'il passa le gouvernail à Mgr Hermel. Il vécut encore quatorze ans à ses côtés, et si durant ces quatorze ans, il ne lui refusa jamais ses conseils ni aucun des services qui étaient en son pouvoir, jamais non plus il ne laissa échapper ni un mot ni un geste qui pût laisser entrevoir la moindre critique à l'égard de son gouvernement. Tout entier à ses prières et à ses pénitences, il ne vivait et ne travaillait que pour attirer les bénédictions du Ciel sur son successeur. Il est hors de doute qu'il mettait en pratique la devise de Jean-Baptiste à l'égard du Sauveur : « Oportet illum crescere , me autem minui ! Il faut que lui croisse et que moi je diminue ! »
On conçoit dès lors quelle tendre vénération le jeune évêque professait pour ce prédécesseur à la fois si bienveillant, si humble et si pieux : c'était Moïse perpétuellement occupé à lever les mains vers le Ciel pour ses frères qui luttaient dans la plaine ; c'était le saint, dont toute la vie se consumait en holocauste à Dieu. Aussi, quand il mourut, Mgr Hermel ne se contenta pas de manifester la vivacité de ses regrets, mais dans une magnifique lettre pastorale du 5 janvier 1923, il fit un éloquent éloge des vertus sacerdotales et religieuses de ce saint prélat qui avait, déclarait-il, pratiqué les vertus chrétiennes à un degré héroïque, et dont la cause de béatification, lui semblait- il, pourrait être un jour présentée à Rome. Il grava sur sa tombe ces six mots qui résument une si sainte vie : Virturibus et meritis cumulatus obdormivit in Domino : Plein de vertus et de mérites, il s'est endormi dans le Seigneur.
Cette vénération pour son prédécesseur immédiat, Mgr Hermel la conçut aussi, de plus en plus vive et profonde, pour le fondateur même du Vicariat, Mgr Jaussen. Apprenant qu'à la Maison-Mère, le R.P. Venance Prat, parent de Mgr Jaussen, avait réuni les éléments d'une biographie de ce premier Vicaire apostolique de Tahiti, il s'offrit à les mettre en œuvre, et il le fit rapidement et con amore pouvons-nous dire. Son premier travail terminé, il vint en Europe, en 1924, espérant séjourner quelques semaines à Braine-le-Comte pour y compléter son œuvre en la compagnie d'archivistes avertis ; malheureusement des affaires imprévues ne lui donnèrent pas ces quelques bonnes semaines de répit qu'il avait escomptées, et il rentra dans sa mission sans avoir eu la satisfaction de parfaire sa tâche d'historien, Néanmoins son volumineux manuscrit demeure, et nous avons le plus ferme espoir que sous peu nous le trouverons utilisé dans la Vie de Mgr Jaussen, premier Vicaire apostolique de Tahiti, dont nous souhaitons ardemment la publication.
Le troisième événement qui a marqué dans la vie de Mgr Hermel fut son jubilé épiscopal célébré le 22 juin 1930. Dans son humilité, il aurait souhaité l'effacement complet de sa propre personne C'est ce qu'il écrivit à ses missionnaires et à ses chrétiens, réclamant de leur part simplement des prières ; mais l'occasion étant on ne peut plus opportune pour provoquer chez tous un redoublement de ferveur, il leur proposa de traduire leurs sentiments de piété filiale par une grande manifestation de foi et d'amour envers le seul Pontife qui soit digne de tout honneur et de toute louange : Jésus-Eucharistie. Son appel fut entendu, et le dimanche 22 juin 1930, la ville de Papeete fut le théâtre d'une fête religieuse comme jamais elle n'en avait vue. Ce fut un triomphe inouï dans cette petite capitale où de mémoire d'homme on n'avait jamais vu défiler une procession en dehors des enclos des missionnaires. Plus de 4 000 personnes y prenaient l'art. Le cortège se déroula paisiblement sur un parcours de plus d'un kilomètre, sous les regards sympathiques d'une foule énorme accourue de tous les points de l'ile et même des îles voisines.
Les autorités civiles se montrèrent d'une bienveillance marquée. Les protestants, par respect pour Monseigneur ou charmés par la beauté et la sainteté du spectacle, s'abstinrent de tout geste dédaigneux ou de toute parole offensante ; en sorte que la fête, favorisée par un temps idéal, réalisa au delà de toute espérance les vœux du pieux jubilaire. Elle montra, par un fait d'une éloquence facile à comprendre, combien notre sainte religion avait pris de l'avance dans les îles qui lui étaient autrefois hostiles et fermées et combien aussi Mgr Hermel avait su gagner l'estime et l'affection générale d'un peuple où, lors de ses débuts en 1903, de pauvres hérétiques le maudissaient et ne parlaient de rien moins que de le chasser à coups de bâton.
Cette manifestation de sympathie a eu son pendant aux obsèques du regretté prélat. Mais avant de relater ses funérailles, disons un mot de sa maladie et de sa mort.
La maladie et la mort.
Sa maladie, hélas ! on n'en connut le caractère que lorsqu'il n'y avait plus moyen d'y porter remède. Pour lui, par énergie et par vertu, il en avait longtemps maîtrisé les douloureuses manifestations. Cette impression de lutte se dessina peu à peu sur son visage, naguère uniquement empreint de sérénité et de douceur, et maintenant légèrement crispé par l'effort. Son entourage s'en rendait compte, mais pas plus que lui ne savait à quoi en attribuer la cause. Ces souffrances, parfois très aiguës, influaient sur son état d'esprit et l'inclinaient à l'affaissement. Mais, fils de capitaine de navire, lui qui commandait aux autres, commençait par se commander à lui-même, et la vaillance et l'énergie reprenaient vite leur place au poste d'honneur. Ces simples indications nous révèlent ce que durent avoir de pénible les dernières années de sa vie.
En effet, malgré les assauts de ce mal intérieur, il ne voulait négliger aucune des obligations de sa charge, pas même les fatigantes et périlleuses navigations qu'il avait bien quelque raison de redouter. Trois fois depuis la guerre il vint en Europe pour les intérêts de sa mission. L'année dernière, le 26 avril, il faisait une ordination à notre scolasticat de Châteaudun ; il y parut plein de bonté, de douceur, de sérénité : tout le monde fut ravi et lui-même ne cachait pas son bonheur de se trouver au milieu d'une jeunesse qui s'intéressait vivement à sa chère mission. On le croyait bien portant : il avait su dissimuler !...
Il se rendit à Rome. Rentré en France, il devait assister à différentes cérémonies, notamment à celles du Ve centenaire de Jeanne d'Arc à Rouen ; mais tout à coup, brusquant son départ, il s'embarque au Havre le 22 mai pour être à Tahiti au commencement de juillet.
Pourquoi cette hâte ? Nous le comprenons aujourd'hui. Se sentant de plus en plus harcelé par le mal mystérieux qui le rongeait, il voulait, comme un bon pasteur, consommer son holocauste au milieu de son troupeau ; après lui avoir déjà donné tant de preuves de son dévouement, il tenait à lui donner cette dernière preuve de sa fidélité et de sa tendresse.
À peine de retour à Tahiti, il reprend son labeur comme si de rien n'était. Le 23 août, il est au district de Taravao pour la célébration de la fête du Saint Cœur de Marie : il tient à encourager deux nouveaux missionnaires qui se dépensent là au défrichement d'une terre qui promet d'être féconde ; il veut témoigner sa paternelle sympathie à des néophytes désireux d'élever au Saint Cœur de Marie une église plus digne d'un si auguste patronage. La fête du Saint Cœur de Marie lui est chère entre toutes : n'est-ce pas en cette solennité qu'il a reçu la consécration épiscopale ? N'est-il pas l'enfant de cette Vierge Immaculée ? Aussi, avec quelle ferveur il officie pontificalement sous les yeux émerveillés et attendris des fidèles ! En le voyant si calme, si pieusement attentif à tous les détails de la cérémonie, qui s'imaginerait qu'il est mortellement atteint et que dans six mois il sera couché dans un cercueil ?
Cependant il a beau faire, les tortures deviennent intolérables. Elles sont localisées dans l'estomac où les docteurs soupçonnent un ulcère. Ils l'engagent à se soumettre à un examen de radiographie. Il y consent, mais, comme fait exprès, l'appareil de l'hôpital ne fonctionne pas. Alors, disent les médecins, une opération s'impose. Elle eut lieu le 19 octobre. Le seul résultat fut la constatation, non pas d'un simple ulcère, mais d'un cancer et d'un cancer tellement développé que, pour l'extirper, il aurait fallu enlever l'estomac lui-même tout entier ! qui sait depuis combien de temps ce chancre faisait son œuvre dévastatrice et crucifiante ?
Les chirurgiens refermèrent la large plaie qu'ils venaient d'ouvrir inutilement et laissèrent croire au patient, à son réveil, que l'opération avait parfaitement réussi. L'illusion fut de courte durée. Le vénéré malade ne tarda pas à comprendre que c'en était fait de lui ici-bas. Les témoignages même d'affectueuse vénération qu'on lui prodiguait étaient une indication très nette que, du côté des hommes, tout était fini. Des prières ardentes se faisaient dans les chapelles, dans les familles, pour obtenir le miracle de sa guérison. Des âmes généreuses - il y en a dans ces chrétientés océaniennes et c'est une belle preuve de l'intensité de leur vie surnaturelle - des âmes généreuses offrirent à Dieu le sacrifice de leur vie pour qu'il épargnât celle du bon Pasteur. Le bon Pasteur, profondément ému, ne voulut pas rester en arrière. À son tour, il offrit ses souffrances - et elles étaient grandes - pour son peuple bien-aimé, en attendant de donner son dernier soupir.
Le 6 décembre, il se rendit à la cathédrale et y confirma 70 enfants. C'était en quelque sorte son Nunc dimittis et comme le suprême témoignage de sa particulière sollicitude pour les petits.
À l'occasion du 1er janvier, il convoqua auprès de lui les missionnaires des environs de Papeete, et dans une scène tout intime, mais très émouvante, après avoir rappelé des souvenirs chers à son cœur de religieux, d'évêque, d'apôtre, il déclara qu'il avait écrit au Saint-Siège pour lui faire part de son état et lui demander un successeur.
Les crises douloureuses se multipliant de plus en plus, il reçut l'Extrême-Onction le 25 janvier en présence des Pères Amédée et Ferréol, mais, à cause des vomissements, il n'eut pas le bonheur de recevoir le saint Viatique. Avec une grande générosité il se mit à la disposition de Dieu pour mourir quand et comme il voudrait, acceptant de supporter aussi longtemps qu'il lui plairait le rigoureux martyre qui le torturait dans les parties les plus intimes de son pauvre corps. Il édifiait tous ceux qui l'approchaient par la manifestation de son grand esprit de foi, de piété, de charité, répétant sans cesse : « Mon Dieu, je crois en vous, j'espère en vous, je vous aime et je m'abandonne à vous ! »
C'est dans ces sentiments que le samedi 20 février, il s'éteignit vers 2 heures du matin en baisant avec amour son crucifix. Il avait cinquante-neuf ans, dont vingt-sept d'épiscopat et vingt-neuf de séjour à Tahiti.
Grande manifestation de sympathie.
Le Semeur de Tahiti écrit :
« À l'aube, le glas égrenant ses notes de deuil annonça à toute la ville la triste nouvelle. Ce fut de la consternation dans tous les cœurs. De tous côtés, parvinrent à la Mission catholique les marques de sympathie les plus touchantes.
La dépouille mortelle du regretté défunt fut exposée dans le grand salon de l'évêché. Jusqu'aux dernières heures, une foule émue et recueillie vint rendre hommage au pontife défunt, éloquent témoignage de l'affection et de la vénération de ses diocésains.
Le soir, à la veillée funèbre, les exhortations du R. P. Célestin alternaient avec la récitation du chapelet et les chants tahitiens. Longtemps dans la nuit étoilée, retentit leur traînante et pieuse mélopée si aimée du vénéré défunt. Toute la journée du dimanche, les indigènes des districts vinrent saluer leur évêque et lui donner un dernier adieu, traduisant leur douleur par des prières, des chants et des larmes.
Les obsèques avaient été fixées à 16 heures (c'était un dimanche). Elles furent grandioses. Devant la dépouille mortelle du défunt se sont rencontrés, unanimes, les témoignages d'affection, de vénération, d'admiration et de respect. C'était bien mieux que des couronnes et des fleurs. Les autorités de la Colonie (le Gouverneur, le Maire) et une foule énorme s'étaient joints aux missionnaires pour lui faire d'imposantes funérailles. Un piquet de soldats en armes rendait les honneurs à l'Évêque, chevalier de la Légion d'honneur. Tous communiaient dans la même émotion. Le même deuil pesait sur toutes les âmes.
Le R. P. Henri Le Guerrannic, provicaire, présidait les obsèques. À la cathédrale, drapée de noir, il monta en chaire avant l'absoute, et prononça l'oraison funèbre du défunt. Il développa ce beau texte du prophète Daniel : “Qui ad justitiam erudiunt multos, fulgebunt quasi stellæ in perpetuas æternitates : Ceux qui enseignent aux foules la science du salut, brilleront comme des étoiles pendant toute l'éternité”. Il remercia l'immense assistance, en particulier le Gouverneur, le Maire et toutes les personnalités de la Colonie qui étaient venus s'incliner devant le cercueil de l'Évêque et du patriote. “Les générations futures, s'écria-t-il, diront comme nous : Honorez le, car il fut toujours l'Apôtre de Dieu et l'Apôtre de la France, l'homme de la saine doctrine et du devoir ; il mérite une gloire éternelle !” »
Le cortège se reforma et se dirigea vers le petit cimetière de la Mission, tout près de l'évêché, là où reposent ses deux prédécesseurs, Mgr Jaussen et Mgr Verdier, à côté du Père Laval qui, le premier de nos Pères, avait débarqué à Tahiti en 1836, à côté du R.P. Georges Eich, évêque nommé de Sétif, et d'une élite de Pères et de Frères qui ont consumé leurs forces, comme lui, à l'établissement de notre sainte religion dans cette partie de l'Océanie.
Cette manifestation générale de sympathie mérite d'être mise en relief à cause de sa haute signification, tant à l'égard de la personne même du vénéré défunt, qu'à l'égard du catholicisme dont il était le représentant officiel. De différentes lettres écrites par des missionnaires ou des laïques on peut conclure que ces funérailles ont été « un véritable triomphe ».
« Nous ne croyons pas pouvoir dire, écrit l'un d'eux, que Son Excellence eût des ennemis, même dans le camp adverse, je veux dire parmi ceux qui combattaient son enseignement. D'autre part, elle était excessivement aimée des siens... Rares furent - si toutefois il s'en trouva - les Français qui n'assistaient pas à la cérémonie. Et les indigènes ? Nous les avons vu louer les plus grands autos-camions et accourir en foule des districts les plus éloignés de la presqu'ile. Mooréa elle-même fut bien représentée. Ah ! que nos chrétiens des Tuamotu ne pouvaient-ils deviner ce dénouement si rapide, et ils eussent accouru, comme ils l'ont fait il y a un an et demi pour les fêtes du jubilé... Dès l'instant où la nouvelle commença à se répandre en ville, le salon où était exposé le corps de Monseigneur ne désemplit plus jusqu'au lendemain à la levée du corps. Les cœurs les plus insensibles auraient été émus en voyant alors le redoublement de sanglots au milieu de cette foule recueillie. Les protestants eux-mêmes se pressaient en masse sur les chemins et dans la cour de la cathédrale... »
Ces détails sont confirmés par une lettre d'une dame tahitienne : « Ses funérailles ont été belles, plus de 2 000 personnes étaient là. Notre Monseigneur était aimé de tous, catholiques et protestants. On le pleure et on le regrette. Des trois évêques que nous avons eus ici, c'est le plus aimé et le plus regretté ! »
Profonde fut également la douleur ressentie dans toute notre congrégation, spécialement à la Maison-Mère et dans la province de France. Et que dire de sa famille éplorée, qui l'avait à peine entrevu lors de son dernier voyage en France, et de ses amis, condisciples ou même élèves du diocèse de Rouen, qui lui avaient voué une estime et une affection qui grandissait avec le temps ? Ils ont mêlé leurs regrets et leurs prières aux nôtres. Des services solennels ont eu lieu au pays natal : à Saint-Etienne de Fécamp, où le célébrant était le frère même de l'illustrissime défunt, le R.P. Vincent Hermel, Prieur des Dominicains de Dijon ; à Rouen, dans la chapelle de la Compassion, où l'archevêque, Son Excellence Mgr Du Bois de la Villerabel prononça son oraison funèbre le 11 mars. Avec un heureux à-propos l'illustre orateur puisa son texte dans l'office même du jour : ln mari viæ tuæ... La mer fut ton chemin... Transvexisti per aquam nimiam : Tu l'as traversée dans son immensité. Il montra comment Mgr Hermel, né d'une famille de grands marins, a passé plus de la moitié de sa vie sur l'Océan Pacifique et fut, pour son apostolat missionnaire comme aussi pour l'honneur de la France, un intrépide et infatigable navigateur. Il termina par ces paroles que nous aimons à tracer comme clôture de cette bien imparfaite quoique longue notice :
« Son corps repose là-bas, auprès de sa cathédrale, au milieu de l'Océan Pacifique, et ses diocésains gardent ses restes avec vénération. Quant à son âme de bon serviteur de l'Église, elle vit là-haut dans le sein de Dieu qu'il a tant aimé et pour lequel il a vaillamment travaillé jusqu'au bout de son sillon. Etiamsi mortuus fuerit, vivet ! Saluez-le. Il vit dans la gloire. Ainsi soit-il ! »2
P. IIdefonse ALAZARD, ss.cc.
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1 Introuvable sur la liste des passagers !
2 Oraison funèbre de S.. Ex. Mgr Athanase Hermel, évêque titulaire de Casium, Vicaire apostolique de Tahiti, prononcée par S. Ex. Mgr l'Archevêque de Rouen dans la chapelle de la Compassion à Rouen, le 11 mars 1932. Rouen, Imprimerie de la Vicomté, 16 pages in-8°.
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