Carmel de Lisieux : Lettre de Marie de la Trinité à Sr Germaine du 29 août 1912
J'ai honte de vous faire attendre si longtemps ma lettre promise et pourtant c'est notre petite Thérèse qui en est cause, elle occupe tous mes moments. Elle fait partager ses célestes travaux à ses bien- aimées sœurs du Carmel de Lisieux et nous sommes comme forcées d'entrer dans son activité débordante. De tous les confins de la terre on vient à elle, mais en passant par le Carmel de Lisieux. En ce moment c'est le temps des pèlerinages. Nos Sœurs Tourières étaient tellement débordées par l'affluence de pèlerins qu'il nous a fallu établir une « Procure » ou magasin d'objets de pèlerinage en face le Carmel, car personne ne veut quitter Lisieux sans emporter un souvenir de Thérèse. Nous avons une gérante, mais c'est nous qui devons alimenter cette Procure, aussi jugez du tracas qui m'incombe pour faire les commandes aux différents éditeurs, vérifier les colis à leur arrivée et faire passer à la Procure tout ce qui est nécessaire, puis le grand registre de comptes qu'il me faut tenir, etc. etc.
Le mois dernier les évêques du Congo, du Zanzibar, de la Côte d'ivoire, de Tahiti et celui du Dahomey sont venus faire leur pèlerinage à la tombe, à des jours différents sauf deux qui s'y sont rencontrés le même jour. L'évêque du Dahomey est venu avec un petit esclave noir qui lui a répondu la messe. Ces saints évêques missionnaires ont remporté de leur pèlerinage, disaient-ils, un souvenir qui les embaumera toute leur vie et un réconfort pour continuer leur laborieux dévouement dans les Missions. Si toutes ces réceptions d'Évêques sont consolantes, vous comprenez qu'elles nous prennent du temps.
[Visites sensationnelles à l’époque ! La chronique du monastère signale : le 5 juillet, pèlerinage et entrée de Mgr Augouard, Congo ; le 15, Mgr Steinmetz, vicaire apostolique du Dahomey, accompagné de Mgr Maury, vicaire apostolique de la Côte d'Ivoire, le 21 juillet, Mgr Allgeyen, évêque de Zanzibar (entrée en clôture), le 23, Mgr Hermel, vicaire apostolique de Tahiti. Il faut lire la lettre de sœur Geneviève à Léonie, les 23-24 juillet].
Le 16 Juillet un directeur de grand séminaire en Italie est venu faire un pèlerinage à la tombe, il avait pris tous ses arrangements pour rester plusieurs jours à Lisieux pour contenter sa dévotion. Mais, dès son arrivée Sr Thérèse l'a tellement comblé de grâces intimes en lui faisant sentir sa présence sensible à ses côtés qu'il ne put maîtriser son émotion, ses larmes coulèrent abondamment pendant sa Messe ; à genoux à la tombe pendant 3 heures durant, il ne cessa de pleurer.
Enfin, il prit le parti de reprendre le train le soir même, avouant à Notre Mère qu'il lui était impossible de supporter plus longtemps une si forte émotion sans tomber malade. C'est à lui que nous avons confié les 4 colis de lettres postulatoires de Sr Thérèse pour les porter à Rome. Il nous a écrit que lorsqu'il s'était agi de les faire passer à la douane, les employés se sont inclinés au nom de Sr Thérèse et n'ont pas voulu les taxer d'impôts. Il paraît que c'est chose inouïe ! Rappelant ses vives émotions à Lisieux, il ajoute : « Mon pèlerinage a été un baptême de larmes... j'entendais toujours bien nette la voix de Thérèse qui me parlait au fond de mon âme de foi, d'espérance, d'amour, d'enfance spirituelle, d'actions de grâces, d'oblations, d'immolations ! »
Mais je m'étends trop longuement sans calculer mon temps; quand je me mets à vous écrire, petite sœur chérie, je ne sais tarir... puis je sens que tous ces détails vous font plaisir ainsi qu'à votre si bonne Mère et à vos chères Sœurs et cela m'encourage.
Mgr le Cardinal Amette est venu avant-hier nous rendre visite, nous l'avons reçu comme un Père toujours aimé. Après nous avoir dit sa Messe, nous l'avons reçu à la Salle de Récréation que nous avions bien décorée et là les Novices lui ont joué « La Petite Voie », [Poème mystique, composé par sœur Isabelle du Sacré-Cœur] ce qui l'a vivement intéressé et charmé. Il nous a quittées pour se rendre au Cimetière avec notre Évêque visiter notre illustre « Petite Reine ».
Dès maintenant je prie de toute mon âme pour vos prochaines élections. C'est une bien grande épreuve quand il faut changer une Mère aimée comme la vôtre. Mais Jésus et Thérèse vous adouciront l'épreuve, j'en suis bien persuadée ; déjà ils y travaillent dans l'âme de ma petite Germaine en la faisant pénétrer si profondément dans la petite voie d'abandon et de confiance. J'y pénètre avec vous chaque jour de plus en plus, petite sœur de mon âme. Ah ! qu'on y est heureux dans cette voie ! on ne sait plus rien appréhender ni redouter, on s'endort confiants dans les bras de Jésus et on n'aime que ce qu’Il fait ou permet... (---)
Notre chère Mère sous-prieure va toujours un peu mieux, sans être bien vaillante. Elle vient de composer une nouvelle édition de la Vie de Mère Geneviève notre Fondatrice, elle est à l'impression en ce moment, je vous l'enverrai aussitôt prête. [il s'agit de la brochure La Fondation du Carmel de Lisieux et sa Fondatrice : La Révérende Mère Geneviève de Sainte Thérèse - imprimatur du 26 juin 1912 - qui constitue un résumé de la circulaire de Mère Geneviève et de son récit de la fondation du monastère.]