Annales des Sacrés-Cœurs – Année 1899 pp.528-531
Necrologie
Le R.P. Gilles Collette, missionnaire à Tahiti, ancien provincial.
Le journal de Tahiti « les Guêpes », organe des intérêts français en Océanie, publie, dans son numéro du 12 septembre 1899, l’article suivant à la mémoire du R.P. Collette, dont nous avons précédemment annoncé la mort.
« Une notabilité, le R.P. Collette (Juste-François), prêtre missionnaire des Sacrés-Cœurs et ancien curé de Papeete, est décédé, le 4 août, à la suite d’une longue et douloureuse maladie.
Né le 15 mars 1829 à Lengronne (Manche) et orphelin de bonne heure, il fut élevé par un oncle et fit ses premières études à l’abbaye de Mortain. Il n’était que minoré lorsqu’il arriva à Tahiti, le 18 décembre 1854, sur la corvette l’Aventure, commandée par M. du Bouzet, capitaine de vaisseau ; il était ordonné prêtre le 2 juin suivant.
Plein de zèle et de charité, cet ouvrier de la première heure sut gagner au catholicisme la plupart des fidèles que cette religion compte parmi la population indigène, tout en sachant se concilier l’estime des cultes adverses. Qui ne se souvient, parmi les vétérans de la colonisation tahitienne, des oeuvres que le vénéré défunt a créés : entre autres celle de Saint-Vincent-de-Paul, celle des apprentis, destinée à doter la colonie d’une pépinière d’ouvriers indigènes ! La vie du R. Père est intimement liée à l’histoire de ce pays. Nul n’ignore les services que ce patriote a rendus à la cause française, celle de la civilisation. Nul n’a aimé les soldats, les marins plus que lui ; il n’était heureux qu’au milieu d’eux ; tous, il faut le dire, lui rendaient son affection. C’est lui qui avait fondé ici la fête de la sainte Barbe, patronne des canonniers. On se rappelle avec quelle joie il procédait, avec le concours des autorités, à l’ouverture du banquet habituel ! Les artilleurs - c’était de tradition -, lui envoyaient une députation qu’il accueillait à bras ouverts, et, malgré son âge, ses nombreuses infirmités, il se rendait au milieu d’eux. Lors de l’expédition des Iles-sous-le-vent, à 72 ans, il sollicita de Mgr de Mégare la faveur d’accompagner les troupes, en qualité d’aumônier ; malheureusement, à ce moment, la maladie le clouait déjà sur son lit. Cependant quand le commandant supérieur, Bayle, le réclama, il se fit porter sur un côtre et rejoignit à Raiatea, le corps de débarquement. Malade, exténué, il remplit jusqu’à la fin de la campagne son devoir de prêtre, son devoir de père. Ses enfants - comme il appelait les marins et les soldats - lui firent une ovation et s’il n’avait dépendu que d’eux, c’est une autre récompense qu’une médaille d’argent que la France eût décernée au Père Collette.
Il est mort, cet homme de bien, de tout ce que Papeete et ses environs comptaient de valide : hommes, femmes, enfants, sans distinction de rang, de culte, d’opinion, avait tenu à l’accompagner à sa dernière demeure.
«Aucune allocution n’a été prononcée à la cérémonie funèbre pour obéir - ainsi que l’a déclaré Sa Grandeur Mgr de Mégare qui présidait - aux dernières volontés du défunt.
C’est lui qui avait témoigné le désir d’être inhumé au milieu de ses anciens paroissiens que, pendant de longue années, il a soutenus, encouragés, consolés et ce dernier souhait a été respecté comme les autres.
C’est du R.P. Collette qu’on peut dire : Transiit benefaciendo. Il a passé en faisant du bien.
Le R.P. Gilles Collette avait fait profession le 11 avril 1851.
Arrivé à Tahiti en 1854, écrit le R.P. Georges, provincial, il se fait bien vite remarquer par le don spécial qu’il avait reçu de Dieu, d’attirer les indigènes à notre religion. Il travailla longtemps de concert avec le R.P. Clair Fouquet, de sainte mémoire ; et lorsque, celui-ci devenu lépreux en soignant les lépreux, fut contraint de repartir pour la France, ce fut le R.P. Collette qui lui succéda dans la charge de Supérieur de l’île de Tahiti (1868).
Il a évangélisé, avec un grand zèle et succès, les districts de Papeuriri, Tautira, Faaone, Atiue, Faaa, Haapape, et Papaoa.
Nommé provincial, un peu avant 1874, il en a exercé les fonctions jusqu’en 1882.
Depuis 1889, il était à la retraite, souffrant déjà des infirmités qui devaient le conduire au tombeau. Il est mort le 4 août, fête de Saint-Dominique et premier vendredi du mois, assisté par le R.P. Célestin Maurel, et muni des derniers sacrements qu’il avait reçus quelques jours auparavant.
Le commandant des troupes, M. Bourgoin, a aussitôt rédigé un ordre du jour en l’honneur du défunt, dont le dévouement à l’égard des marins et des soldats ne s’était jamais démenti. Aux funérailles qui ont été magnifiques par l’immense concours de monde, six artilleurs médaillés ont réclamé le privilège de porter sur leurs épaules le cercueil de leur père et ami, dont le nom vivra longtemps dans leurs cœurs. Le R.P. Collette avait été décoré comme eux, de la médaille militaire, pour sa campagne de Raiatea (1897).