Vous êtes administrateur apostolique du diocèse de Papeete, comment concevez-vous votre charge ?
« Elle est exigeante. Je dois à la fois gérer le côté matériel et financier, le côté spirituel, en rencontrant les gens et les associations, je dois répondre à la sollicitation des médias, aux questions de société. Au quotidien, je dois passer sans cesse du coq à l'âne et maîtriser chaque situation dans chaque domaine. Je suis en train de découvrir tout cela, heureusement je suis aidé et bien entouré dans ma fonction par des collaborateurs. »
Quels messages voulez-vous transmettre ?
« Lorsque j'ai été ordonné évêque coadjuteur, j'ai dû choisir un blason, une devise,… ce que j'ai découvert le jour venu. Ma devise est la suivante : “Pour faire la volonté de Dieu”. C'est elle qui me guide à présent. Pour elle, je souhaite que la justice et la vérité viennent au jour, car elles amènent la sérénité et la joie. En tant que catholique, je considère que nous sommes appelés à la vie par Dieu qui veut que l'homme soit heureux. J'aspire à ce que nous vivions dans la transparence et la droiture car quand tout est clair et vrai, on se sent en sécurité. »
Vous parliez de questions de société à gérer, comment y répondez-vous ?
« J'apporte des réponses au quotidien, en rencontrant les gens individuellement ou via les messes, les formations, les prédications et retraites mais aussi lors des réunions du Conseil économique, social et culturel auxquels nous sommes invités. Je suis entouré de collaborateurs qui m'aident dans cette démarche. »
Quelles réponses apportez-vous au mariage pour tous par exemple ?
« D'après moi, et au-delà de l'Église, c'est contre l'ordre de la création, c'est contre nature. Si je fais intervenir Dieu dans cette réflexion, alors là je dirais que ça ne tient pas debout. Je ne suis pas contre les homosexuels, c'est un fait, cela existe et je n'ai rien contre eux. Je comprends que ce sont des souffrances mais présenter ce genre d'union comme quelque chose de normal, c'est gros. On devrait plutôt avoir tendance à être discret. Ça choque de voir deux hommes se tenir la main ou deux femmes s'embrasser. Et en plus on parle d'autoriser l'adoption pour ces couples, je me demande comment des personnes raisonnables qui doivent prendre des décisions pour notre société peuvent accepter ça. En tant qu'homme ça me choque, en tant qu'homme d'Église, je trouve ça ahurissant. L'homme et la femme unis donnent la vie, qu'est-ce que vont apporter des couples homosexuels ? Je suis bouche bée devant cette situation. J'ai l'impression qu'on ne sait pas où on va. D'un côté il y a un grand nombre d'avortements, de l'autre l'arrivée d'enfants qui ne sont pas issus de manière naturelle. Je ne veux pas jeter de pierre sur notre société mais sur tout ce qu'elle met en œuvre contre la raison et la nature. L'union de deux hommes ou de deux femmes déstabilise le noyau familial qui est lui-même à la base de notre société. En le détruisant on détruit notre société. »
La loi du mariage pour tous ne peut-elle pas être considérée comme une preuve d'ouverture de la société, de plus grande tolérance ?
« La liberté ce n'est pas faire ce que l'on a envie. L'homme doit rester au cœur des préoccupations. Le plus important ce n'est pas l'argent, le pouvoir, le sexe. La société doit se mettre au service de l'humanité. »
Comment réagissez-vous au projet de casino ?
« La position de l'Église reste la même. Nous sommes contre car ce genre de projet engendre des souffrances, en particulier chez les petites gens. Les conséquences, d'abord familiales, touchent indirectement la société. »
Vous avez été nommé le 13 mars, à la veille des élections territoriales, vous avez pu voir le nouveau gouvernement s'installer qu'en pensez-vous ?
« C'est un nouveau changement depuis 2004. J'espère qu'il apportera la stabilité pour que les gens puissent être rassurés et que l'économie se redresse, que les entreprises puissent reprendre confiance. Elles ne savent plus sur quel pied danser actuellement et ne s'engagent donc pas. Nous avons élu un président, Gaston Flosse, il faut maintenant que nous le soutenions dans sa fonction. Certains pourront le regarder en s'attardant sur les casseroles qu'il traîne, mais qui n'en a pas ? Il faut mettre tout ça de côté, je sais que ce n'est pas toujours facile. Mais si on n'essaie pas de collaborer, si on se tire dans les pattes, comment faire pour avancer ? »
Quel regard portez-vous sur le dernier déplacement du président du Pays à Paris ?
« Je pense que Gaston Flosse a fait de son mieux pour trouver des partenaires, pour établir de solides partenariats et pour nous aider. »
Que pensez-vous de la réinscription de la Polynésie sur la liste des pays à décoloniser ?
« Je me demande si nous sommes prêts à prendre ces responsabilités. Il me semble plus sage de réfléchir et montrer nos preuves avant. Ensuite, si nous devons engager un tel processus et aller vers l'autonomie pourquoi pas. On aspire à ça et dans le même temps on veut que la France ouvre ses robinets ? Je sais que les choses sont difficilement comparables puisque ce ne sont pas les mêmes gouvernements, mais demander de l'argent n'est-ce pas la preuve que nous ne sommes pas encore prêts ? Je n'ai pas la réponse, nous n'avons pas à faire de politique, je ne fais que m'interroger. »
Quels sont vos espoirs ?
« Que la société puisse évoluer normalement, qu'elle avance dans des conditions sereines, que les aspirations de chacun soient comblées en termes de travail, de logement... »
Êtes-vous optimiste ?
« Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir, il faut continuer à croire car cela nous procure de l'énergie. C'est en raisonnant de cette façon que nous pouvons espérer trouver quelque chose qui va apporter de la joie. »
Vous gardez ce raisonnement malgré les crises économique, climatique... que nous connaissons ?
« Il faut que chacun balaye devant sa porte. Ce n'est pas en nous lamentant que nous irons de l'avant. Malgré tout ce que le monde a déjà vécu, la vie continue. De tels événements suscitent la solidarité, les gens se rassemblent, se viennent en aide. Il y a beaucoup de personnes qui portent l'espoir et le bon en eux. »
Delphine Barrais
Zoom
Qu'est-ce que l'administrateur apostolique ?
Lorsqu'un diocèse est rendu vacant par la mort de l'évêque ou qu'il est empêché d'exercer sa charge en raison de circonstances exceptionnelles, les prêtres désignés pour faire partie du conseil des consulteurs se réunissent et élisent un administrateur diocésain qui gouvernera le diocèse jusqu'à la nomination d'un évêque. Parfois, surtout si le siège est vacant parce que la démission de l'évêque a été acceptée, le Saint-Siège désigne un administrateur apostolique (qui peut-être un évêque ou un prêtre) qui gouvernera le diocèse jusqu'à la nomination d'un nouvel évêque. Il s'agit d'une situation provisoire et l'administrateur doit se rappeler l'adage « Sede vacante, nil innovetur » autrement dit : « Quand le siège est vacant, il ne faut rien bouleverser. »
Un parcours de vie semé d'épreuves
Les parents de son excellence Monseigneur Pascal Chang-Soi sont originaires de Raiatea et de confession protestante. Son père est demi tahitien-chinois et sa mère tahitienne. Il est le septième enfant d'une famille de huit, dont six garçons et deux filles. Il est né à Papeete en 1966 mais pour des raisons professionnelles sa famille a déménagé en Nouvelle-Calédonie au début des années 1970. Son père travaille dans les mines de nickel en journée et au restaurant le soir, sa mère au restaurant, tandis que lui va à l'école des sœurs à Nouméa. C'est là qu'il découvre les prières catholiques.
En 1975, la famille rentre à Tahiti. Pascal Chang-Soi va à l'école élémentaire de Piafau, au collège à Faa'a, puis il termine ses études au lycée de Taaone. Il obtient un brevet d'études professionnelles (BEP) de monteur, dépanneur en froid et climatisation. Il trouve une place dans une entreprise privée dans laquelle il restera cinq ans. Il fait l'expérience de Dieu à 18 ans lors de la fête d'anniversaire de la paroisse de Notre-Dame-de-Grâce à Puurai. Il y découvre des jeunes, simplement réunis autour d'une table et visiblement heureux. Ce qui aurait « bouleversé » Pascal Chang-Soi. Pour lui, tout ce qui se passe sur terre est éphémère, mais ce qu'il découvre grâce au Christ est une sorte de joie éternelle. Il commence ainsi son cheminement dans l'Église. Il écoute l'homélie du prêtre avec attention, il a l'impression d'entendre ce dernier parler de sa propre vie. Ses parents ne sont pas au courant de l'intérêt grandissant de Pascal Chang-Soi pour le catholicisme mais finissent par le découvrir. Son père s'emporte et lui interdit l'accès à l'église. Une épreuve pour le jeune homme. « Mais ma mère qui préférait voir ses enfants heureux a fini par me laisser partir », se rappelle-t-il.
Durant son temps de cheminement il sent que quelque chose l'appelle il aller plus loin. Pascal Chang-Soi fait ses premiers vœux religieux le 23 août 1992, dans la congrégation des Pères des Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie, où il fera profession religieuse le 9 novembre 1997. Il se prépare à la prêtrise au séminaire Notre-Dame de Pentecôte à Tahiti entre 1992 et 1999. Il est d'abord ordonné diacre le 17 avril 1999 à Notre-Dame-de-Grâce, puis ordonné prêtre le 4 février 2000 en l'église Maria no te Hau de Papeete, De 2000 à 2002, il a été vicaire à la paroisse d'Atuona à Hiva Oa, aux Marquises. Puis il se rend à Paris pour suivre une formation et de venir maître des novices. En rentrant en Polynésie, il est affecté à Moorea où avait été transférée la maison des noviciats, tout en assurant la mission de curé.
En 2010, lorsqu'il est nommé évêque coadjuteur du diocèse de Taiohae aux Marquises, c'est la surprise. « Je ne m'y attendais pas. Je pensais être à l'abri de ça, je voulais rester simple frère. Ma première réaction a été de refuser. Je suis tombé malade et me suis retrouvé à l'hôpital pendant sept jours, sept journées à réfléchir. J'ai fini par accepter, me disant que c'était un appel du Seigneur. J'ai retrouvé la paix et ma joie, petit il petit. » Le 13 mars 2013, nouvelle épreuve pour Monseigneur Pascal ChangSoi qui en perd l'appétit : suite à la démission de son prédécesseur, Bruno Mai, il est nommé administrateur apostolique de l'archidiocèse de Papeete. Un poste d'intérim. Il a pris ses fonctions le 22 mars en attendant qu'un archevêque soit nommé. Il aspire à retrouver le calme et la nature des Marquises où il doit prendre la relève de l'évêque Guy Chevalier.