Qu'est-ce que Noël signifie pour vous ?
C'est la rencontre avec Jésus. Dieu a toujours cherché son peuple, l'a conduit, l’a protégé, lui a promis d'être toujours à ses côtés. Dans le livre du Deutéronome, nous lisons que Dieu marche avec nous, nous conduit par la main comme un père avec son fils. C'est beau. Noël est la rencontre de Dieu avec son peuple. C'est aussi une consolation, un mystère de consolation. Plusieurs fois, après la messe de minuit, j'ai passé quelques heures, seul dans la chapelle, avant de célébrer la messe de l'aurore. Avec ce sentiment de paix profonde et de consolation. Je me souviens une fois, ici à Rome, je pense que c'était la Noël de 1974, une nuit de prière après la messe dans la résidence du « Centro Astalli ». Pour moi Noël a toujours été : contempler la visite de Dieu à son peuple.
Que veut dire Noël pour les hommes d'aujourd'hui ?
Il parle de la tendresse et de l’espérance. En venant à notre rencontre, Dieu nous dit deux choses. La première est : ayez de l’espoir. Dieu ouvre toujours les portes et ne les referme jamais. C’est comme un papa qui nous ouvre les portes. Et la deuxième : n’ayez pas peur de la tendresse. Lorsque les chrétiens oublient l’espoir et la tendresse, ils deviennent une Église froide, qui ne sait quelle direction emprunter et sombre dans les idéologies, dans les comportements mondains. Tandis que la simplicité de Dieu vous dit : « Allez de l’avant, je suis un père qui vous caresse ». J’ai peur quand les chrétiens perdent l’espérance et la capacité d’embrasser et de caresser. Peut-être pour cette raison, en regardant vers l'avenir, je parle souvent des enfants et des personnes âgées, c’est-à-dire des plus vulnérables. Dans ma vie de prêtre, allant en paroisse, j’ai toujours cherché à transmettre cette tendresse avant tout aux enfants et aux personnes âgées. Cela me fait du bien et me fait à la tendresse que Dieu a pour nous.
Comment peut-on croire que Dieu, considéré par les religions comme infini et tout-puissant, se fasse si petit ?
Les Pères grecs appelaient cela « synkatabasis » la « condescendance divine ». Dieu est descendu et a demeuré avec nous. C’est l'un des mystères de Dieu. À Bethléem, en l’an 2000, Jean-Paul II a dit que Dieu est devenu un enfant totalement dépendant des soins d'un papa et d’une maman. C’est pour cela que Noël nous donne tant de joie. Nous ne nous sentons plus seuls, Dieu est venu pour être avec nous. Jésus est devenu l'un de nous et a souffert pour nous sur la croix, le fin la plus brutale, celle d'un criminel.
Noël est souvent présentée comme un conte doucereux. Mais Dieu est né dans un monde où il y a beaucoup de souffrances et de misère.
Ce que nous lisons dans les Évangiles est une annonce de joie. Les évangélistes ont décrit une joie. Ils ne font pas de commentaires sur le monde injuste, sur le pourquoi Dieu est né dans un tel monde. Tout cela est le fruit de notre contemplation : le pauvre, l'enfant à naître dans la précarité. Noël n’est pas la dénonciation de l’injustice sociale, de la pauvreté mais une annonce de joie. Tout le reste sont des conséquences dont nous héritons. Certaines sont justes, d’autres le sont moins, et d’autres encore sont idéologisées. Noël est joie, joie religieuse, joie de Dieu, intérieure, de lumière, de paix. Quand nous n’avons pas la capacité ou que nous sommes dans une situation humaine qui ne nous permet pas de comprendre cette joie, nous vivons la fête avec l’enthousiasme mondain. Mais il y a une différence entre la joie profonde et l’enthousiasme mondain
Et son premier Noël, dans un monde où il y a des conflits et des guerres...
Dieu ne fait jamais de don à celui qui n’est pas capable de le recevoir. Tous, du plus saint au plus pécheur, du plus juste au plus corrompu. Même le corrompu a cette capacité : le pauvre est sans doute un peu rouillé mais il l’a. Noël, en ces temps de conflits, constitue un appel de Dieu, qui nous fait ce don. Voulons-nous le recevoir. Ce Noël dans un monde traversé par les guerres me fait penser à la patience de Dieu. La principale vertu de Dieu explicité dans la Bible qu'Il est amour. Il nous attend, mais il ne se lasse jamais de nous attendre. Il se donne et puis il attend. Cela arrive aussi dans notre vie personnelle. Il y a ceux qui l'ignorent. Mais Dieu est patience et paix, la sérénité de la nuit de la Nativité est une réflexion sur la patience de Dieu avec nous.
En janvier ce sera le cinquantième anniversaire du voyage historique du Pape Paul VI en Terre Sainte. Comptez-vous y aller ?
Noël nous fait toujours penser à Bethléem et que Bethléem se trouve à un endroit précis, la Terre Sainte, où a vécu Jésus. Durant la nuit de Noel, je pense surtout aux chrétiens qui vivent là, à ceux qui sont dans la difficulté, à tous ceux qui ont été contraints pour divers problèmes à quitter cette terre. Mais Bethléem continue d’être Bethléem : Dieu est venu à un endroit précis, sur une terre précise ; c’est là qu’est apparue la tendresse de Dieu, la grâce de Dieu. Nous ne pouvons penser à Noël sans penser à la Terre sainte. Il y a cinquante ans, Paul VI a eu le courage de sortir pour aller là-bas et ainsi a commencé l’époque des voyages papaux. Moi aussi je désire y aller pour rencontrer mon frère Bartholomeos, patriarche de Constantinople, et avec lui commémorer le cinquantenaire de la rencontre entre le pape Montini (Paul VI) et Athénagoras (alors patriarche œcuménique de Constantinople) à Jérusalem en 1964. Nous nous préparons.
Vous avez rencontré à plusieurs reprises des enfants gravement malades. Que pouvez-vous dire devant cette souffrance innocente ?
Dostoiewski a été pour moi un professeur de la vie, et sa question, explicite et implicite, m’a toujours habité mon cœur : pourquoi les enfants souffrent ? Il n'y a pas d'explication. Il me vient cette image : À un certain moment de sa vie, l’enfant se « réveille », il y a plein de choses qu’il ne comprend pas, il se sent menacé, il commence à poser des questions à son papa ou à sa maman. C’est l’âge des « pourquoi ». Mais lorsque l’enfant pose la question, il n’écoute pas tout ce qu’on lui répond, il lance immédiatement de nouveaux « pourquoi ? ». Ce qu’il cherche, au-delà d’une explication, c’est le regard du papa qui rassure. Face à enfant souffrant, l’unique prière qui me vient à l’esprit est la prière du pourquoi. Pourquoi Seigneur ? Lui ne m’explique rien. Mais je sens qu’Il me regarde. Et ainsi je peux dire : Toi, Tu sais pourquoi, moi je ne le sais pas et Tu ne me le dis pas, mais tu me regardes et j’ai confiance en Toi, Seigneur, j’ai confiance en ton regard.
En parlant de la souffrance des enfants on ne peut pas oublier la tragédie de ceux qui souffre de la faim.
Avec la nourriture que nous gaspillons et jetons nous pourrions nourrir beaucoup de monde. Si nous réussissions à ne pas perdre mais à recycler la nourriture, la faim dans le monde diminuerait de façon significative. J'ai été impressionné de lire une statistique qui parle de 10 milles enfants qui meurent de faim chaque jour dans le monde. Il y a beaucoup d'enfants qui pleurent parce qu'ils ont faim. L'autre jour, à l'audience du mercredi, derrière une clôture, il y avait une jeune mère avec son bébé de quelques mois. Quand je suis passé, l'enfant pleurait beaucoup. La mère le caressait. Je lui dit : « Madame, je pense que le petit à faim ». Elle a répondu : « Oui, c’est l’heure... » Je lui ai répliqué : « Mais donnez-lui à manger, s'il vous plaît ! » Elle avait de la pudeur et ne voulait pas l’allaiter en public, au moment ou le pape passait. Eh bien, je dirais la même chose à l'humanité : « Donnez-leur à manger ! » Cette femme avait du lait pour son bébé, dans le monde, nous avons assez de nourriture pour nourrir tout le monde. Si nous travaillons avec les organisations humanitaires et réussissons à être tous d’accord pour ne pas gaspiller la nourriture, la faisant parvenir à qui en a besoin, nous apporterons une grande contribution pour résoudre la tragédie de la faim dans le monde. Je voudrais répéter à l’humanité ce que j’ai dit à une maman (qui n’osait pas allaiter son enfant durant une audience publique du pape place Saint-Pierre : donnez à manger à qui a faim ! L’espérance et la tendresse de la Nativité du Seigneur bousculent notre indifférence.
Quelques passages d’« Evangelii Gaudium » ont provoque des accusations d’Américains ultra-conservateurs. Quel effet cela fait-il à un Pape de se sentir défini comme « marxiste » ?
L'idéologie marxiste est erronée. Dans ma vie, j’ai connu tant de marxistes bons comme personnes, c’est pourquoi je ne me sens pas offensé. Les mots qui ont le plus frappé sont celles sur l'économie qui « tue ». Dans l’exhortation (Evangelii gaudium, du 24 novembre dernier), il n’y a rien qui ne se retrouve déjà dans la doctrine sociale de l’Église. Je n’ai pas parlé d’un point de vue technique, j’ai cherché de présenter une photographie de ce qui arrive. mais d’après la doctrine sociale de la foi. La seule citation spécifique concerne les théories de la ‘retombée favorable’, selon lesquelles tout croissance économique favorisée par le libre marché réussit à produire de par elle-même une plus grande équité et moins d’exclusion sociale dans le monde. Il y avait la promesse que lorsque le verre serait à moitié plein, il aurait débordé et les pauvres en aurait bénéficié. Malheureusement, quand le verre est plein, comme par enchantement il s’agrandit et de la sorte il n’en sort jamais rien pour les pauvres. Je le répète : je n’ai pas parlé en expert, mais selon la doctrine sociale de l’Église. Et cela ne signifie pas être un marxiste.
Vous avez annoncé une « conversion de la papauté ». Les rencontres avec les patriarches orthodoxes ont-elles suggéré quelques chemins concrets ?
Jean-Paul II avait parlé de façon encore plus explicite de la façon d'exercer la primauté qui s’ouvre à une situation nouvelle. Mais pas seulement du point de vue des relations œcuméniques, mais aussi dans les relations avec la Curie et avec les Églises locales. Au cours de ces premiers neuf mois, j’ai eu la visite de tant de frères orthodoxes. Bartolomeo, Hilarion, le théologien Zizioulas, le copte Tawadros : celui-ci est un mystique, il est entré dans la chapelle, il a oté ses chaussures et est allé prier. Je me sens leurs frères. Ils ont la succession apostolique, je les ai reçus comme frères évêques. C’est une douleur de ne pas pouvoir célébrer encore l’eucharistie ensemble mais l’amitié est là. Je crois que c’est la voie : amitié, travail en commun et prière pour l’unité. Nous nous sommes béni l’un l’autre avons la chance de l'autre, un frère en bénit un autres, un frère qui s’appelle Pierre, et l'autre qui s’appelle André, Marc, Thomas...
L'unité des chrétiens est-elle une priorité pour vous ?
Oui, pour moi, l’œcuménisme est prioritaire. Aujourd’hui, il existe un œcuménisme de sang. Dans les pays où l’on tue des chrétiens parce qu’ils portent une croix ou ont une Bible, les tueurs ne leur demandent pas s’ils sont anglicans, luthériens, catholiques ou orthodoxes. Leur sang est mélangé. Pour ceux qui tuent, ils sont chrétiens. Unis dans le sang, même si, entre nous, nous ne réussissons pas encore faire le pas nécessaire en vue de l'unité et peut-être que le moment n'est pas encore venu. L'unité est une grâce, que nous devons demander. J'ai connu un pasteur de Hambourg qui a suivi la cause de béatification d'un prêtre catholique guillotiné par les nazis parce qu'il enseignait le catéchisme aux enfants. Après lui dans les rangs des condamnés, il y avait un pasteur luthérien qui a été tué pour la même raison. Leur sang est mélangé. Ce pasteur m'a dit qu'il est allé rencontrer l'évêque et lui a dit : «Je continue à suivre la cause, mais pour nous deux, et pas seulement pour l'Église catholique. » Ceci est l’œcuménisme du sang. Il existe aujourd’hui, il suffit de lire les journaux. Ceux qui tuent les chrétiens ne vous demande pas la carte d'identité pour savoir à quelle Église tu as été baptisés. Nous devons prendre en compte cette réalité.
L’Exhortation a appelé à des décisions pastorales audacieuses et prudentes concernant les sacrements. À quoi fait-elle allusion ?
Quand je parle de prudence ce ne doit pas être une attitude paralysante, mais une vertu qui gouverne. La prudence est une vertu pour gouverner. L’audace aussi. L’on doit gouverner avec audace et prudence. J’ai parlé du baptême et de la communion comme nourriture spirituelle pour aller de l’avant, à considérer comme un remède et non pas comme une récompense. Certains ont aussitôt pensé aux sacrements pour les divorcés remariés, mais moi je ne descends pas jusqu’aux cas particuliers : je voulais seulement indiquer un principe. Nous devons chercher de faciliter la foi des personnes et non pas la contrôler. L’année passée en Argentine, j’avais dénoncé l’attitude de certains prêtres qui ne baptisaient pas les enfants de filles mères. C’est une mentalité malade.
Et au sujet des divorcés remariés ?
L’exclusion de la communion pour les divorcés qui vivent une seconde union n’est pas une sanction. Il faut le rappeler. Je n’ai pas parlé de ce sujet dans l’Exhortation.
Cela sera traité lors du prochain Synode des évêques ?
La synodalité (ou collégialité) dans l’Église est importante : nous discuterons lors des réunions du consistoire en février du mariage dans son ensemble. Ensuite le thème sera abordé durant le Synode extraordinaire d’octobre 2014, et encore durant le Synode ordinaire de l’année suivante. Dans ces instances, de nombreux thèmes seront approfondis et éclaircis.
Comment se passe le travail de ces huit « conseillers » pour la réforme de la Curie ?
Le travail est long. Qui voulait avancer des propositions ou envoyer des idées l’a fait. Le Cardinal Bertello a recueilli les avis de tous les dicastères du Vatican. Nous avons reçu des suggestions des évêques du monde entier. Lors de la dernière réunion les huit cardinaux ont dit que nous sommes arrivés au moment où il nous faut faire des propositions concrètes, et lors de la prochaine rencontre, en février, ils me remettront les premières suggestions. Je suis toujours présent aux rencontres, sauf le mercredi matin à cause de l’audience générale. Mais je ne parle pas, j’écoute seulement, et cela me fait du bien.
Il y a quelques mois un cardinal âgé m’a déclaré : « La réforme de la Curie vous l’avez déjà commencée avec la messe quotidienne à Sainte Marthe ». Et cela m’a fait penser que toute réforme commence toujours par des initiatives spirituelles et pastorales avant tout changement structurel.
Quelle est la relation appropriée entre l'Église et la politique ?
Parallèle, parce que chacun a son propre chemin et ses devoirs. Convergeant, seulement pour aider le peuple. Quand les rapports convergent avant, sans le peuple, ou en se moquant du peuple, c’est alors que commence cette connivence avec le pouvoir politique qui finit par contaminer l’Église : les affaires, les compromis… Il faut établir des parallèles, avec pour chacun une méthode, des devoirs et une vocation propres. La convergence ne se fait que dans le bien commun. La politique est noble, elle est l'une des plus hautes formes de charité, comme le disait Paul VI. La politique est noble, que c’est l’une des formes plus hautes de la charité. Nous la salissons quand nous l’utilisons pour faire des affaires. Et la relation entre l’Eglise et le pouvoir politique peut être corrompue, si elle ne converge pas seulement dans le bien commun.
Puis-je vous demander si nous aurons des femmes Cardinal ?
Je ne sais pas d’où est sortie cette blague. Les femmes dans l’Église doivent être valorisées mais non « cléricalisées ». Qui pense aux femmes cardinaux souffre un peu de cléricalisme.
Comment se passe le travail de réforme de l'IOR ?
Les commissions référentes effectuent un bon travail. Moneyval nous a remis un bon rapport, nous sommes sur la bonne voie. Concernant le futur du I.O.R., nous verrons. Par exemple, la ‘banque centrale’ du Vatican serait l’Apsa. Le I.O.R. a été institué pour aider les œuvres religieuses, les missions, les églises les plus pauvres. Puis il est devenu ce qu’il est aujourd’hui.
Il y a un an, pouviez-vous imaginer que vous célèbreriez Noël 2013 à Saint-Pierre ?
Absolument pas.
Pensiez-vous être élu ?
Je ne m'y attendais pas. Je n'ai pas perdu la paix lorsque le nombre de voix a monté. J'étais calme. Et cette paix est encore-là aujourd'hui, je considère que c'est un don du Seigneur. Le dernier scrutin terminé, ils m'ont emmené au centre de la chapelle Sixtine et on m'a demandé si je l’acceptais. J'ai dit oui, j'ai dit que je m’appellerai François. C’est seulement là que je me suis éloigné. Ils m'ont conduit dans la chambre d'à-côté pour changer mes vêtements. Puis, juste avant que me montrer, je me suis agenouillé pour prier pendant quelques minutes avec les cardinaux Vallini et Hummes dans la Chapelle Pauline.
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