Au-delà du handicap au quotidien
Intervention de Nathalie SALMON-HUDRY
Samedi 24 janvier 2015, Nathalie SALMON-HUDRY, auteur de « Je suis née morte » a fait une intervention remarquable et pleine d’émotion à l’occasion de la seconde édition de TEDx Papeete. Nous vous offrons le contenu de cette intervention pleine d’émotion et d ‘espérance.
Bonjour TEDx Papeete 2015. Vous allez bien ?
Je vais parler de mon parcours atypique pour une vie normale. Et comment les MOTS peuvent guérir les MAUX.
À notre naissance, on n'a pas de chèque en blanc comme quoi la vie sera simple. Non, on reçoit bien plus, on reçoit cette envie folle de vivre, vivre malgré tout. Au fil des années et avec un peu de maturité, je pense, on se cherchera une place. On voudra faire, réaliser, apporter notre pierre à l'édifice. C'est notre cycle de la vie. Mais l'histoire se complique un peu lorsqu'on ne peut rien faire.
Je suis née morte. Une erreur médicale et vingt minutes pour me réanimer. Après quoi, le médecin a dit à ma mère que j'avais eu un petit problème. Entre nous, heureusement qu'il était petit le problème, vous imaginez sinon ?
Concrètement, je ne marche pas et je peux pas contrôler mes mains. J'ai des mouvements involontaires. Bref, mon corps n'en fait qu'à sa tête mais il oublie que la tête c'est moi. J’ai une raideur au niveau des mâchoires ce qui entraîne une difficulté « technique » pour parler, rassurez-vous le débit est bon, très bon même D'ailleurs bon courage à celui qui voudra me couper la parole ces 15 prochaines minutes.
Je ne peux rien faire par moi-même, je suis totalement dépendante d'une tierce personne. Les médecins ont donc conseillé à ma mère de me placer en institution tant le quotidien serait lourd à porter. Lourd dans tous les sens du terme d'ailleurs.
Mais ma mère m'a gardée car aussi tordue que je sois, je reste sa fille. Elle va faire un gros travail d'éveil pour aiguiser ma curiosité, elle a bien vu que ma déficience n'était que physique. Elle m'a appris les couleurs, les formes. Avec moi, elle n'a jamais baissé le niveau, je veux dire par là qu'elle faisait toujours des phrases de 3 kilomètres et bien complexes, et je devais la suivre. Mais je la remercie car elle m'a donné l'envie d'apprendre. Ce qui m'a sauvée, vu que ma carrière professionnelle de coiffeuse ou d'esthéticienne était fichue ! On se comprend !
Alors, j'ai étudié. Enfin, un domaine où je réussissais, où j'étais normale. Et donc je me disais que c'était la seule façon de montrer aux autres que j'étais normale. C'était sans compter sur les établissements scolaires qui m'ont toujours refusée. Ça ne m'a pas découragée. Je suis entrée dans un centre d'handicapés et j'ai fait ma scolarité seule, tantôt aidée par de bonnes âmes, tantôt par correspondance. Et j'ai passé tous les examens comme tout le monde, et ce jusqu'au baccalauréat. Là, le choix de métiers s'impose avec la grande question : qu'est-ce que je peux faire. Je n'avais pas mille et une possibilités. J'ai suivi une formation de journaliste. Rédiger un article, ça je peux le faire sur ordinateur. Vous aurez compris que vu la grande délicatesse de mes mains, je ne les utilise pas. Je tape à l'ordinateur avec ça. C'est une licorne, ça se fixe autour de ma tête comme ça. Bon, je ne remporterai pas un concours de beauté avec ça mais j'ai pu écrire mes dictées du primaire, mes dissertations du secondaire et quelques stupides poèmes d'adolescente. Et, quand le réseau s'y prête bien, je surfe deux, trois vagues du web et depuis peu facebook est mon QG. Tout ça grâce à cette petite chose mais tout aussi magique que l'animal dont elle a le nom.
C'est ainsi que j'ai découvert le monde des mots. Les premiers qui ont compté dans ma vie sont ceux de mes lectures. Avec eux, je pouvais laisser mon fauteuil roulant et partir en vadrouille avec le héros de l'histoire. Au quotidien, mes journées se passent au fil de mes incapacités. Je ne peux pas faire ci, je ne peux pas faire ça. Mais dans un livre, je peux tout faire : escalader des montagnes, traverser des océans à la nage. Pour la première fois de ma vie, je pouvais percevoir la "liberté". Quand le livre se refermait, il me déposait doucement dans mon fauteuil.
Mais, les histoires ne rémunèrent pas, il me fallait trouver un travail. J'étais diplômée, j'étais motivée et surtout j'avais un beau sourire, ok, ça compte pas. Je suis allée à plusieurs entretiens et je sentais bien qu'il y avait un mur. Je n'ai eu que des refus. Même avec les milliards d'aides et la loi d'obligation à l'embauche des personnes handicapées. Impossible ! Comme si ce que je pouvais faire ne valait rien à côté de mon handicap.
Alors, je me suis retrouvé chez moi, complètement isolée de la société. À ce moment-là, j'ai cherché le sens de tout ça, le sens de ma vie. J'ai regardé autour de moi, j'avais une famille qui m'aimait, j'avais de bons amis dévoués, pas nombreux car ils se limitaient bien souvent aux amis de ma mère et aux employés de mon centre, j'avais mon fidèle ordinateur et facebook. Mais on ne peut pas vivre que de ça. J'avais besoin d'être un peu plus active. Je voulais trouver la pierre que je pouvais apporter à l'édifice. C'était important pour moi.
La lecture ne pouvait plus m'aider. Alors, j'ai écrit. Je vous disais que je cherchais un sens à tout ça, la page blanche est devenue mon laboratoire.
Page après page, cette expérience a fini en livre où je me suis appliquée à écrire vrai et simple. Écrire vrai pour pouvoir être moi-même, loin des idées préconçues ou des préjugés. Vous savez, certains croient savoir comment un handicapé devrait vivre. Mais, moi, je préfère être moi-même avant d'être handicapée. Et écrire simple pour dédramatiser et finalement reléguer au second plan mon handicap. Montrer aux gens la femme que je suis, avec toutes mes qualités et aucun défaut. Je sais là on tombe dans la science fiction !
C'est là que j'ai pu sonder toute la magie de l'écriture. Voilà une action égoïste, j'ai écrit d'abord pour moi, pour fuir l'ennui et tenter de changer ma vie, cette action égoïste a réussi à créer un pont entre moi et les autres. Oui, dans ma vie, ce sont les mots qui m'ont donné une place. Moi, qui souffrait de solitude !!!
C'est là que j'ai pris conscience qu'avec les mots je pouvais tout faire : consoler, encourager, guider, construire. Mais aussi nuire, casser et détruire. Chaque mot est important et peut faire la différence. Donc lorsqu'on dit « Ce ne sont que des mots », sait-on vraiment de quoi on parle ? Les mots sont le miroir de nos pensées. Il faut faire attention à ce que l'on dit.
J'ai appris ça à 29 ans. Comme une deuxième naissance que je dois à un éditeur. Il y a beaucoup de livres écrits par ou parlant des personnes handicapées. Mais en éditer un à Tahiti, c'est osé, vu le mythe qui circule. Franchement, lorsque vous entendez Tahiti, vous pensez à la vahine, sur une plage, vêtue d'un petit pareu. Vous ne pensez jamais à une vahine assise dans un fauteuil, les roues complètement enfoncées dans le sable, qui met 3h à traverser une plage pour arriver au bord de l'eau, qui se rend compte que le soleil est déjà sur le point de se coucher et que donc c'est l'heure des requins.
Je ne vous raconte pas tout ça pour être admirée. Non, je ne suis pas un modèle. S'il a y un héros à mon histoire, ce sont toutes ces personnes qui m'aiment et qui font que je puisse me tenir là devant vous sans peu, avec un petit trac mais sans peur. Certes ma vie est différente mais je n'ai pas l'exclusivité d'une vie difficile. Handicapé ou normal, grand ou petit, personne n'a une vie facile. Un jour, devant un échec ou une difficulté, on a tous dit : Pourquoi ? Pourquoi moi ?
Une chose est sûre, on ne pourra jamais avoir une vie sans épreuves. Ça serait comme un ciel sans nuages, ça serait ennuyant ! Certes les nuages sont synonymes de pluie mais qui ne s'est jamais émerveillé devant un nuage à la forme bizarre ou superbement coloré de rose, d'orange, ou de rouge. Pourtant le nuage reste nuage, seuls l'éclairage et notre perception changent !!!! Mais nous devons apprendre à toujours nous émerveiller devant un nuage pour mieux supporter les temps de pluie.
Pourquoi ne pas faire pareil avec les coups durs de la vie. Utiliser les mots pour donner des nuances à notre ciel gris. Comme un arc-en-ciel après chaque orage. C'est le miracle des mots. C'est le miracle que je veux pour ma vie et c'est le miracle que je souhaite à tous.
Merci à vous, Merci Ted
© Nathalie SALMON-HUDRY