Les cloches
C'était minuit. À peine les douze coups avaient sonné au début de cette étape nouvelle dans le temps, que peu à peu, de village en village, de la cathédrale à la plus simple église, les cloches se mirent à briser l'espace et l'obscurité de leur tintement timide ou majestueux.
C'était d'abord la vibration de chaque cloche qui montait, droite et pure, encore isolée des autres dans le ciel obscur. Puis, l'une après l'autre, dans les clochers des églises, elles rentraient en branle. Et puis, à grande volée, là où le clocher les supportait dans leur différence, la grande cloche prenait son élan et son battant semblable à un grand pilon broyait les sons de manière si appuyée que la tour elle-même donnait l'impression de trembler.
Lorsque ainsi, grandes ou petites, les cloches se mettent à sonner, que ce soit à minuit pour annoncer l'espoir d'un temps nouveau, que ce soit le jour pour appeler à la prière, pour accompagner les joies des mariages ou pour se rendre solidaire avec le mystère de la mort, elles réveillent l'univers et les étoiles. Les cloches qui sonnent c'est tout l'espace qui s'ouvre et nous reçoit. Il nous traverse et nous relie à l'infini. Les cloches nettoient en nous nos petitesses et nous obligent à abandonner pour un moment la rumeur du monde. Aux mirages de ce que nous sommes, elles laissent affleurer en nous la source cachée qui ouvre à la mise à nu de la quête qui nous habite, expérience d'une autre langue à l'intérieur de nos langages.
C'est comme un mouvement aérien et vertical, profond, dans l'inconscient de l'être, qui résume le frémissement d'un monde toujours en genèse. C'est l'appel à une légèreté vive et plus clémente que les lois de la pesanteur. Le son des cloches dépasse et transcende les frontières des modes et du sensible. Elles relient les hommes entre eux, franchissent les murs et les cloisons. Unité entre les hommes et la totalité du cosmos, rassemblant éperdument les chemins multiples de la condition humaine vers la grande unité d'or de l'universel...
Les carillons parlent et une eau vive se met à chanter dans le plus profond du cœur humain, touchant ainsi à l'archéologie intérieure de chacun, tout en l'ouvrant à l'essentiel. Les cloches font ainsi reconnaître à l'homme que son histoire se fonde sur le grand appel créateur et que celui qui le conduit est aussi le berger des étoiles.
À toute volée, au moment de l'Angélus ou pour le glas, pour la joie ou le deuil, les cloches résonnent dans nos cœurs comme une présence réconfortante qui nous fait communier au Créateur et nous relie à l'infini, Par elles, la parole du mystère s'accueille au bout du chemin.
Dans leur carillon, elles disent la fin des commencements, le sentiment que la force et la tendresse de Dieu dort au fond des cœurs. Enfouies parfois sous des couches accumulées, Elles ouvrent le chemin qui nous tire hors de la nuit des détresses et nous conduisent au seuil de la lumière. Alors, dans nos peurs jamais vaincues, reste présente, comme la flamme qui veille, la parole créatrice de Celui qui a fait toutes choses nouvelles.
René Xavier Naegert
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