Les évènements du mardi 22 Septembre sont présents à la mémoire de tous nos lecteurs : arrivée de deux croiseurs allemands, énergiques décision du Commandant des troupes qui sauve la situation : feu mis au dépôt de charbon ; sommation faite par notre artillerie aux bateaux ennemis leur pavillon ; en réponse, bombardement des batteries, de la cannonière la « ZÉLÉE » et de la ville par les Allemands, incendie d’un quartier tout entier, par leurs obus ; enfin la ville sauvée ; aucun de nos soldats ni tué ni même blessé.
Sur la demande d’un bon nombre de notables de la ville, nous reproduisons la première partie du discours prononcé par S. G. MGR. Le Vicaire Apostolique le Dimanche suivant, à cette occasion.
Mes Frères,
De l’événement de mardi dernier, 22 Septembre, je voudrais tirer pour vous deux leçons :
1°. Une leçon de discipline, qui vous apprenne à respecter les décisions des autorités.
2°. Une leçon de foi chrétienne qui vous dispose à bien mourir.
I. Leçon de discipline.
Au matin de ce jour à jamais mémorable, - comme une traînée de poudre – se répand la nouvelle : deux croiseurs, - dont la nationalité ne peut encore se reconnaître – sont en vue. Bientôt, on en est sûr : hélas ! c’est l’ennemi… Une douloureuse et bien légitime anxiété s’empare des cœurs ; l’alarme se répand dans toutes les maisons ; femmes et enfants s’enfuient, cherchant un refuge sûr ; pendant que les autorités civiles et militaires, ne se perdant pas, elles, en inutiles lamentations et en stériles peurs, prennent les mesures commandées par les circonstances pour sauver, si possible, le pays ; - sinon, - du moins : l’honneur, en organisant une courageuse résistance.
Notre petite mais vaillante troupe, quoique bien inférieure en nombre à l’ennemi, frémit sous les armes, impatiente de montrer ce qu’est un soldat français devant le danger.
- Mais hélas ! on entend dire par de trop prudents : Qu’allez-vous faire ? Le pillage, l’incendie, la mort sont à nos portes ; laissez donc rançonner sans mot dire ; toute défense, de notre part, serait folie.
Les autorités civiles et militaires ont de plus nobles sentiments, M.F. et pensent, avec tous les gens de cœur ; que ce que certains appellent folie, est proche parent de l’héroïsme, et pareillement que ce qu’ils nomment prudence est fille de la lâcheté.
Du reste, l’expérience a donné raison à nos chefs et Dieu a béni leur bravoure, car notre résistance a évidemment contrarié les plans de l’ennemi.
- Mais, objectait-on après l’événement, cet incendie dont le soir encore la rougeur sinistre reflétait dans le ciel ! tant de maisons et de commerce et de particuliers dévorées par les flammes et qui ne sont plus que des décombres fumants ! tant de ruines matérielles, en un mot, n’est-ce rien ? Non, m.f. – c’est beaucoup, et nous compatissons, tous, du fond du cœur, aux malheurs de ceux que nous appelons les nobles victimes du patriotisme.
Toutefois ces contradicteurs oublient de considérer que si l’ennemi eût pénétré dans la ville, ce n’est pas seulement un quartier qui eût été ruiné, mais la ville entière subissant un lourd impôt de guerre, bien supérieur aux pertes dues à l’incendie ; la ville devant livrer tous ses vivres pour ravitailler des adversaires nombreux, et par conséquent : toute notre population promptement affamée ; la ville devant en plus fournir des prisonniers de guerre parmi les notables – et probablement d’autres hontes encore que ma bouche se refuse à nommer, mais que l’histoire de 1870 nous a apprises ; - que dis-je ! – des hontes que des nouvelles de la guerre actuelle nous remettent sous les yeux et qui nous montrent jusqu’à l’évidence que cet ennemi ne veut plus connaître, dans ses excès, ni la tendresse de la pitié et du respect par ce qui est faible et pur, ni les délicatesses de l’honneur ; qu’il n’existe plus pour lui de droit des gens ; qu’il ne connaît que le droit de la force ; que tous les moyens lui sont bon pour arriver à ses fins ; qu’il peut déchirer et fouler au pieds un traité, hier signé par lui ; que ce Méphistophélès est en outre doublé d’un Attila : qu’il n’a soif que de vengeance sans même avoir été provoqué ; qu’il s’y met d’une manière atroce, digne des plus mauvais jours de la barbarie : incendiant les maisons et même les monuments publics, - objets d’art et de l’admiration des siècles, - profanant admirablement jusqu’aux églises, les maisons de Dieu ; - privant de leurs dernières ressources des pauvres qui n’ont pris aucune part à la défense ; faisant périr des vieillards, des infirmes, des femmes, des enfants ; en un mot, pillant, violant, assassinant, et couronnant le tout, par l’orgie.
Voilà ce à quoi nous eussions été exposés sans l’énergie et la décision de nos chefs.
Disons donc courageusement, m.f. – car c’est la vérité : si le 22 septembre 1914 est une date lugubre, c’est aussi une date glorieuse dans l’histoire de Papeete : en effet, l’honneur et les intérêts ont été sauvés.
Mais je dis plus – m.f. – le 22 septembre a été encore une glorieuse journée, parce qu’il y a été donné par beaucoup, un grand exemple de dévouement.
Or jamais, le dévouement n’est inutile –
Quoiqu’il arrive, il est beau pour une ville d’accomplir un devoir sacré, de laisser à l’avenir une noble et salutaire leçon et d’avoir dans son histoire une page comme celle écrite désormais ici.
Gloire donc à nos chefs et à tous les patriotes qui ont décidés à tout souffrir pour le pays et l’honneur !