Jaussen - Saby 2007

Un Ardéchois linguiste et ethnologue en Polynésie : Monseigneur Tépano Jaussen

Jean-Claude SABY

 

tirée de la Revue de l’association « Mémoire d’Ardèche et temps Présent » du 15 novembre 2007 pp. 77-78

Pour les habitants de Tahiti, « Tepano » Jaussen est un homme historiquement important puisqu'ils ont souhaité donner son nom à la principale avenue de Papeete, celle où se trouve le gouvernement local. Les habitants sont capables de parler de lui. En Ardèche, cet enfant du pays est depuis longtemps tombé dans l'oubli.

Florentin Jaussen est né aux Périers, commune de Rocles dans les Cévennes ardéchoises le 12 avril 1815 dans une famille profondément catholique (trois oncles prêtres et deux tantes religieuses) du diocèse de Mende-Viviers. IIfait ses études à Mende sous la direction de son oncle, le révérend père Jaussen, et obtient son brevet d'instituteur. Cherchant sa voie, il semble tout d'abord s'orienter vers l'enseignement et est reçu bachelier ès lettres à Montpellier à une époque où les diplômes étaient rares. Le diocèse de Périgueux manquant de prêtres, il entre au grand séminaire local et est ordonné en 1840. Rapidement, il rejoint la congrégation des Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie (Pères de Picpus) dont le noviciat est à Vaugirard où sont déjà engagés ses oncles, son frère aîné et dans la branche féminine ses tantes et deux de ses sœurs.

Dés 1845, il est envoyé à l'antenne chilienne de la congrégation à Valparaiso pour devenir professeur et maître des novices. Trois ans plus tard, en 1848, il est nommé évêque in partibus d'Axiéri et premier vicaire apostolique de Tahiti. La situation sur place n'est pas simple, l'île est sous la coupe du consul britannique, par ailleurs pasteur, qui n'a pas hésité à renvoyer pieds et poings liés les premiers missionnaires de la congrégation des Sacrés Cœurs et à faire passer les catholiques pour des anthropophages.

À son arrivée, monseigneur Jaussen décide de faire la conquête des enfants en leur enseignant le français. Pour cela, il se met à étudier le langage local et en devient le spécialiste incontesté. Les débuts furent laborieux et il fallut attendre 1860 pour que des résultats probants se fassent jour (50% de la population convertie au catholicisme). Aumônier de la flotte française de l'Océan Pacifique, il en profite pour installer des missions aux Tuamotu, aux Gambier et aux Iles sous le Vent où ceux-ci font reculer le paganisme local et les sacrifices humains. De 1855 à 1860, son projet de cathédrale lui vaut l'opposition des protestants puis du gouverneur local qui ramènera le projet à des dimensions plus modestes. Il convient de noter deux retours en France, en Ardèche et à Rocles en 1853 et 1861.

 

DES ESSAIS DE DEVELOPPEMENT AGRICOLE

Les Tuamotu sont alors de simples récifs de corail sans aucune végétation, terres stériles impropres à toute culture. Pour développer une économie vivrière et tenter de stimuler des échanges commerciaux, celui que les îliens appellent affectueusement « Tepano », essaye d'apporter de la terre végétale et des cocotiers depuis Tahiti. Le succès est rapide, les feuilles desséchées forment sur le sol un humus abondant qui fertilise celui-ci. La noix de coco sèche (coprah) devient rapidement un produit d'exportation pour la transformation en huile et savon. Devant ce succès, le gouverneur étend le système aux autres archipels polynésiens.

Autre essai moins fructueux, faire de Tahiti une colonie d'élevage et d'exportation de bestiaux. Pour cela, il fallait débrousser et ensemencer d'herbes venues d'Amérique et importer des bovins et des ovins inconnus dans la contrée.

UN IMPORTANT TRAVAIL AU PROFIT DES LANGUES MAORIES

Monseigneur Jaussen a continué son recueil des langues régionales et notamment de celle de Tahiti. Il a très rapidement publié un certain nombre de documents : une grammaire et un dictionnaire franco-tahitien, un catéchisme, un livre de prières, un résumé d’histoire sainte, un Nouveau Testament et une partie de l’Ancien Testament. Il travailla également sur la langue des îles Gilbert.

Mais son travail le plus connu et le plus érudit est sans conteste celui sur la langue de l’île de Pâques où il fut à la fois linguiste et ethnologue. Les habitants de l’île de Pâques, décimés par les maladies et les luttes intestines s’étaient en effet expatriés vers Tahiti. Monseigneur Jaussen pu rencontrer les quelques anciens survivants et grâce à ses contacts traduire le texte figurant sur des bois gravés (ou bois parlant) dont la signification aurait été perdue sans son travail (bois « La Rame, L’Échancrée, La Vermoulue, Le Miro »).

En 1884, monseigneur Jaussen demande et obtient d’être déchargé de ses responsabilités épiscopales ce qui lui permet de se consacrer à ses recherches ethnographiques et à son élevage.

Il s’éteint le 9 septembre 1891 laissant un souvenir durable à la population de l’ensemble des archipels polynésiens.

Publications de Monseigneur Jaussen

- Grammaire et dictionnaire de la langue maorie, dialecte tahitien, Saint-Cloud, 1861.

- « L'île de Pâques, historique, écriture, répertoire des signes des tablettes en bois d'hibiscus intelligents », Bulletin de Géographie n°2, 1893.

Sources : Archives Pères de Picpus, Diocèse de Papeete. 

Notes

Notons que l’Ardèche et plus particulièrement la région de Largentière et le village de Chauzon ont fourni un certain nombre de vocations à la Congrégation des Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie (Pères de Picpus) sans qu'aucune école ne soit recensée. Certains furent missionnaires, en voici la liste :

- Père Abraham Armand (1776-1844), Hawaï (1826-1835)

- Frère Basile André, né à Chauzon (1815-1888), Tahiti (1857-1863)

- Frère Anicet Tastevin, né à Chauzon (1816-1903), Chili

- Frère Victor Thoulouze, né à Chauzon (1817-1854), Chili

- Frère Alexandre André, né à Chauzon (1824-1872), Tahiti

- Frère Théophile Guilhermier, né à Chauzon (1819-1897), Tahiti

- Père Clément Tourvieille, né à Rocles (?-1941), Tahiti

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