« Souvenez-vous de vos dirigeants qui vous ont annoncé la parole de Dieu; considérez comment leur vie s'est terminée et imitez leur foi. » (Heb. 13/7)
Frères et Sœurs,
Si, parmi les missionnaires qui ont évangélisé notre diocèse, il y a quelqu'un dont nous devons garder le souvenir, c'est bien Mgr Tepano Jaussen qui a été le premier vicaire apostolique de cette circonscription, et qu'il a gouvernée pendant 36 ans, de 1848 à 1884.
Il a hérité d'une situation difficile. Le Vicaire Apostolique de Polynésie orientale, Mgr Rouchouze, qui avait la charge de l'actuelle Polynésie Française et des Iles Hawaï, avait disparu en mer en 1844 avec 24 missionnaires et les P. Caret et Laval avaient été expulsés de Tahiti en 1836. Les missionnaires catholiques étaient bien revenus à Tahiti suite à l'intervention de l'amiral Dupetit-Thouars, mais, à son arrivée à Papeete, le chef de la colonie, le Commandant Lavaud, signifie à Mgr Tepano une décision du ministre : lui et ses missionnaires n'ont pas le droit d'évangéliser les autochtones, ils doivent se cantonner dans leurs fonctions d'aumôniers des troupes stationnées à Tahiti.
Mais Mgr Tepano Jaussen est un jeune évêque, il n'a pas encore 35 ans, c'est un homme tenace et persévérant, il va faire face aux difficultés.
Puisqu'il n'est pas possible d'évangéliser Tahiti, Mgr Tepano décide de se tourner vers les Tuamotu. L'ouest de cet archipel a commencé à être évangélisé par des prêcheurs protestants et par des marins mormons, mais il y a encore beaucoup de Païens et l'Est est entièrement païen. L'évêque décide donc d'envoyer le P. Laval à Faite dès 1849. Il sera bientôt rejoint par d'autres missionnaires et il y aura des conversions massives à Fakarava puis à Anaa. Cette décision s'avère judicieuse car en 1870 les Tuamotu seront catholiques à 80%, alors qu'à Tahiti et Moorea qui se dépeuplent, les catholiques autochtones resteront longtemps peu nombreux. Pendant longtemps les Paumotu vont constituer le gros des troupes catholiques.
Le jeune évêque ne se contente pas d'évangéliser, il se soucie aussi de la vie matérielle des habitants. Il fait transporter et planter des milliers de noix de coco dans les îles car il y a encore des îles où les cocotiers sont rares.
Cette évangélisation des Tuamotu a une autre conséquence : pour s'occuper de tant d'îles qu'il faut visiter avec de simples baleinières avec tous les aléas du vent et de la mer, les missionnaires sont amenés à former des catéchistes à qui on confie bientôt les petites communautés insulaires, puis qui sont envoyés comme missionnaires dans l'Est. Le plus célèbre de ces évangélisateurs laïcs est Athanase Tuamea qui convertira Tatakoto après avoir manqué d'être massacré à plusieurs reprises. Nous bénéficions encore de cette pratique car la tradition de donner à des fidèles laïcs des responsabilités dans l'Église s'est maintenue et même développée et notre Église locale est caractérisée par cette conscience des laïcs d'être l'Église et leur volonté de prendre une part active à la vie de l'Église.
Mais si Mgr Tepano Jaussen a encouragé la formation d'auxiliaires laïcs, ses ambitions étaient plus vastes : il voulait un clergé autochtone. Il fait construire à Aukena un petit collège où des jeunes enfants sont instruits et commencent l'apprentissage du latin. Par la suite, ce collège sera transféré à Papeete sur le domaine de la Mission puis à Pamatai. Ce projet rencontre bien des déboires, mais Mgr Tepano persévère et enfin, le 24 décembre 1873, il ordonne le premier prêtre polynésien, Tiripone Mama Putairi. Malheureusement il n'y en aura pas d'autres jusqu'à 1954 où Michel Coppenrath est ordonné prêtre et le P. Tiripone décède prématurément le 27 décembre 1881, au cours d'un séjour à Valparaiso.
Sous l'influence de maladies venues de l'extérieur la population de Tahiti a malheureusement subi une baisse drastique. Des zones importantes ne sont plus habitées et les terrains à vendre sont faciles à trouver. Prévoyant, Mgr Tepano Jaussen achète dans chaque district un terrain pour y construire une église et des bâtiments annexes. Il a aussi des projets agricoles et il achète le domaine de la Mission à Papeete, deux vallées à Moorea et la propriété Faucompré à Pamatai. Grâce à lui, nous disposons de terrains pour nos projets pastoraux.
Un projet qui lui tenait à cœur était la construction d'une cathédrale. Celle qu'il avait vue à Mangareva l'inspire. Il commence donc en 1856, la construction d'une immense cathédrale : 50m de long et 20m de large. La construction commence en 1856, les murs s'élèveront jusqu'à trois mètres de haut. Mais le gouvernement s'offre à continuer le travail. Cependant avant de poursuivre le travail une expertise est nécessaire, elle révèle que les fondations ne sont pas assez fiables. Le gouvernement démolit l'ouvrage et construisit l'actuelle cathédrale. Faut-il le regretter ? Mgr Tepano reconnaîtra plus tard que le projet était trop ambitieux et il aurait ruiné la Mission. Du reste avec les matériaux récupérés, Mgr Tepano construisit l'actuel évêché pour accueillir les prêtres des îles et des districts lorsqu'ils venaient à Papeete, bâtiment qui maintenant nous est bien utile.
Les missionnaires avaient besoin d'instruments de travail en langue tahitienne. Mgr Jaussen, qui avait appris rapidement le tahitien, s'emploie à leur en fournir. Deux ans après son arrivée il fait imprimer un catéchisme en langue tahitienne, lointain ancêtre de notre « Ui nainai ». En 1861, il fait paraître sa grammaire et son dictionnaire. Pour le dictionnaire Tahitien-Français il a utilisé largement le Tahitian Dictionary publié par la London Missionary Society, mais pour le Français-Tahitien, il a été un innovateur et en attendant que le Fare Vanaa ait achevé son Faatoro parau Farani -Tahiti, ce petit dictionnaire reste l'outil de référence.
En 1872 paraît le « Raanuu na te Varua », livre de prières et de méditations qui eut et a toujours un immense succès puisque en 2011 a paru la 8ème édition.
L'épiscopat de Mgr Tepano Jaussen n'a pas été un parcours tranquille et sans histoires, il a aussi rencontré de grosses difficultés. Les relations entre catholiques et protestants étaient souvent tendues car, on le comprend, les responsables protestants craignaient qu'une partie de leurs fidèles ne rejoignent l'Église Catholique. Mais c'est surtout avec l'administration coloniale que les relations ont été difficiles. Il faut pardonner les offenses et oublier les affronts. Mais l'acharnement à détruire l'œuvre de la Mission Catholique aux Gambier ou encore ce qui s'est passé à Anaa après l'assassinat du brigadier Viry nous rappelle que Mgr Tepano a dû porter la croix bien souvent.
Il y aurait encore beaucoup de choses à dire des 36 ans d'épiscopat de Mgr Tepano Jaussen, j'ai surtout voulu rappeler toutes les actions dont nous recueillons encore les bénéfices 130 ans après sa mort. Incontestablement, il a été un bâtisseur, le bâtisseur de notre Église locale. Méditons ses œuvres, qu'elles nous encouragent à travailler comme lui au règne de Dieu avec foi, courage, intelligence et persévérance.