Jaussen - Contemporain 1900

Mgr JAUSSEN, premier évêque de Tahiti (1815-1891)

Revue « Les contemporains » - 11 mars 1900

Mgr jaussen louze

 

Dans l’attente de la publication, en principe pour la fin de l’année, de la biographie de Mgr Tepano JAUSSEN par son neveu, le R.P. Venance PRAT, voici une brève biographie parut en 1900 dans la revue « Les Contemporains » écrite sous le pseudo de Terito.

 

 

 

I. Ses études - Sa vocation

Florentin-Étienne Jaussen naquit le 12 avril 1815, au Perier, paroisse de Rocles, dans ce coin de l'Ardèche, terre généreuse et féconde où les vocations aux grandes œuvres comme aux grands sacrifices germent avec une telle spontanéité et une telle abondance qu'il n'est presque pas de foyer qui n'ait donné à l'Église un religieux, une religieuse ou un prêtre.

Étienne était le second fils de André-Toussaint Jaussen, cultivateur aisé, et de Marie Allègre. Son frère ainé, André-François, fut, comme lui, un religieux du même Ordre, le P. Frumence, qui mourut, il y a quelques années, à Laval, aumônier des Dames des Sacrés-Cœurs.

Cette famille des Jaussen, qui avait couru de grands dangers sous la Terreur en donnant abri à des prêtres menacés de l'échafaud, comptait encore deux filles, sœurs de notre héros. C'étaient Félicité et Sophie qui, elles aussi, entrèrent en religion et moururent dans un couvent d'Alençon.

Le jeune Jaussen sentit de bonne heure ce vif attrait des âmes qui, dans l'adolescent, fait pressentir un apôtre.

Toutefois, ses aspirations n'ont point encore la netteté que leur donneront plus tard l'expérience, la réflexion et ce dernier jet de lumière, cette suprême illumination de l'âme, qui est le coup décisif de la grâce.

C'est en ces termes que s'exprimait Mgr l'évêque de Viviers, le 17 novembre 1891, dans une lettre adressée au clergé et aux fidèles de son diocèse, en leur annonçant la mort du premier vicaire apostolique de Tahiti.

Il fit ses premières études à Mende, sous la direction de son oncle, le R.P. Jaussen, et conquit d'abord son brevet d'instituteur.

Et de fait, le jeune Étienne Jaussen chercha quelque temps sa voie.

Ami du travail, doué d'une grande force de volonté et d'une rare persistance dans la poursuite d'un but entrepris, le jeune Étienne voulut achever ses études et se fit recevoir bachelier ès lettres à Montpellier, à une époque où les diplômes avaient encore une valeur en raison de leur rareté.

L'enseignement le séduit alors parce qu'iI est, selon lui, une forme de l'apostolat : mais l’enceinte d'une école est trop étroite pour sa dévorante activité ; il lui faut un champ plus vaste et plus libre, il songe à devenir prêtre, car si l'on est chrétien pour soi, on est prêtre pour les autres.

Sans tenir compte de ses goûts naturels, des liens si doux de la famille et de l'amour si obstiné du pays natal, c'est aux âmes les plus délaissées qu'il croit devoir porter les efforts de son zèle et les fruits de son futur sacerdoce.

Le diocèse de Périgueux manquait alors de prêtres ; il l’apprend, accourt auprès du vénérable évêque qui occupait le siège de saint Front, sollicite et obtient son admission au Grand Séminaire.

Mais bientôt, attiré par son désir de l'apostolat, il entre dans la Congrégation des Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie, dont le Noviciat se trouvait alors à Vaugirard, (octobre I843). Il est profès le 7 mars 1845. Son goût pour les missions lointaines apparut si manifeste à ses supérieurs que, presque au lendemain de sa profession religieuse, il fut envoyé par ceux-ci à leur résidence de Valparaiso.

Étienne Jaussen s'embarque le 20 juillet 1845 et arrive au Chili le 10 décembre suivant. - Les navires, à cette époque déjà lointaine, étaient dans la nécessité, partant de Bordeaux, d'aller doubler le cap Horn, pour remonter ensuite la côte occidentale de l'Amérique du Sud, ce qui explique ce voyage de près de cinq mois.

Il nous faut passer rapidement sur son séjour à l'importante maison de Valparaiso pour arriver à l'œuvre qui a illustré sa vie, c'est-à-dire sa mission en Océanie.

Professeur au collège des Sacrés-Cœurs de la capitale du Chili en 1846, il est nommé maître des novices en 1846, et, l'année suivante, après trois ans seulement de profession religieuse, il est élevé à la dignité d'évêque.

Mgr Jaussen fut donc sacré à Santiago du Chili évêque d'Axiéri et nommé premier vicaire apostolique de Tahiti. En janvier 1849, il s'embarque avec deux Pères de son Ordre et fait voile vers l'ile qui doit être, pendant quarante-deux ans, le théâtre de son zèle courageux, de son angélique piété et de ses laborieuses conquêtes.

II. Les premiers missionnaires à Tahiti

Leur expulsion - L'affaire Pritchard au point de vue de l'établissement de la Mission

Afin de saisir l'importance des difficultés auxquelles devait se buter le premier vicaire apostolique de Tahiti, il est indispensable de dire quelques mots de l'arrivée à Tahiti des missionnaires qui avaient précédé Mgr Jaussen dans cette terre lointaine.

C'est en 1777 que les premiers ministres protestants débarquèrent dans ces iles. On pense qu'avant eux des missionnaires catholiques venus du Pérou avaient dû séjourner à Taiarapu, aux Tuamotus et à Rapa, mais leur séjour aurait été de peu de durée, et il ne restait aucune trace de leur passage à l'époque dont nous ayons à parler.

C'est à la fin de 1836 que deux Pères des Sacrés-Cœurs, les PP. Laval et Carel, après avoir évangélisé les îles Gambier, qui sont aujourd'hui absolument et entièrement catholiques, furent envoyés à Tahiti par l'évêque de Nilopolis, vicaire apostolique de l'Océanie orientale.

Ils débarquèrent sur un point de la presqu'ile, dont le chef leur fit immédiatement savoir que des instructions formelles étaient données par Pritchard pour empêcher d'aborder n'importe quel papiste.

Se souciant assez peu des prohibitions de Pritchard, les deux missionnaires répondirent que l'île appartenait à la reine Pomaré et non aux Anglais, (Pritchard était à la fois consul d'Angleterre, missionnaire et négociant), et qu'ils ne quitteraient l'ile qu'expulsés par la Reine. Puis ils partirent pour le chef-lieu où se trouvait la résidence de la souveraine1.

La surprise était grande partout sur leur passage, car on savait que des ordres formels avaient été donnés pour empêcher leur entrée dans l'ile, et aussi on croyait que les papistes étaient des mangeurs d'hommes, comme l'avait loyalement affirmé la mission du Synode.

À peine arrivés à Papeete, les deux Pères reçurent la visite de deux chefs leur intimant, au nom de Pritchard, l'ordre de partir. - Nouveau refus de leur part et visite à la Reine. - À celle-ci, ils offrirent le tribut de 30 piastres, exigé des étrangers pour avoir le droit de séjourner dans l'ile. Elle accepta, et tout paraissait s'arranger, lorsque Pritchard arriva, essoufflé, descendant de cheval, et sommant la Reine d'avoir à rendre l'argent, déclarant qu'il jugerait l'affaire devant son tribunal.

Quelques heures après, un envoyé de Pritchard rapportait l'argent aux PP. Caret et Laval. Ceux-ci s'empressèrent de le retourner à la reine qui le reçut à nouveau et autorisa les deux missionnaires à demeurer dans son ile, puisqu'ils acquittaient le droit de séjour.

Ces deux religieux étaient donc absolument en règle. C'est sans doute pour cela qu'à propos de la déplorable affaire Pritchard au point de vue politique, lorsque le gouvernement de Louis-Philippe jeta pardessus bord, avec une ingratitude et une inconscience incroyables, l'amiral du Petit-Thouars, Guizot n'hésita pas à déclarer à la tribune que si les missionnaires avaient été expulsés, c'est qu'ils avaient agi contre la loi du pays2.

Mais n'anticipons pas.

Au jour fixé, l'audience eut lieu dans le temple, Pritchard, juge, siégeant dans la chaire. Le P. Caret déclara que le droit des gens est le même partout ; qu'il ne permet pas qu'on chasse d'un pays des personnes inoffensives. qui en observent les lois.

Pritchard répondit en donnant lecture d'un texte qui disait : « Personne ne peut rester à Tahiti si la Reine ne le permet pas. » - Mais elle le permet, répliqua le P. Caret, puisqu'elle a accepté notre argent. Demandez-lui si ce n'est pas vrai.2

Mais, à ce moment, M. Mœrenhout, consul américain, qui assistait à cette scène, se leva, et déclara à M. Pritchard qu'il trouvait étrange qu'il y eût à Tahiti un texte de loi dont il ne lui avait pas été donné connaissance, à lui, consul étranger, et qu'il le priait de vouloir bien lui remettre sur le champ l'imprimé qu'il tenait à la main.

M. Mœrenhout, en prenant la feuille, s'aperçoit qu'elle est tout humide ; il passe la main dessus ; l'encre, encore fraîche, s'étend sur le papier.

- La pièce vient d'être imprimée pour les besoins de la cause ! s'écrie le consul américain, qui proteste avec la plus grande énergie contre l'étrange violation du droit des gens que commettait le consul anglais, missionnaire protestant.

L'affaire fut remise au lendemain.

Mais le lendemain l'audience n'eut pas lieu. Un individu conduisant quatre mutoi (agents de police canaques) vint sommer le PP. Caret et Laval de quitter l'île sur l'heure, sans autre forme de procès.

Sur leur refus, ces deux religieux, prêtres et Européens, furent enlevés, par ordre de Pritchard, par la police indigène, et porté jusqu'à la mer dans une pirogue. De là, ils furent rossés à bord d'une goélette qui reçut l'ordre de les reconduire aux îles Gambier.

En quittant Tahiti, le P. Caret avait dit aux insulaires : « Nous reviendrons ! »

Et, de fait, le 31 décembre 1841, il revint accompagné du P. Saturnin Fournier. Les PP. Chausson et Murphy les y avaient précédés de quelques mois, et bientôt le P. Baudichon, puis le P. Duboize vinrent les rejoindre.

On signale également une courte apparition qu'y fit Mgr Nilopolis.

Mais, à cette époque, la mission qui se fondait eut des fortunes diverses et les résultats qu'elle obtenait étaient absolument nuls, par suite de la prépondérance des protestants et de la protection que leur accordait la reine Pomaré.

Cependant, lors de l'établissement du protectorat, en 1842, le gouvernement français demanda à celle-ci une indemnité à raison de l'expulsion arbitraire des PP. Caret et Laval, et Pomaré fut condamnée à payer 10 000 francs et à donner un terrain qui est aujourd'hui le cimetière de Papeete, désigné sous le nom de camp de l’Uranie.

Après la fin du P. Caret, mort épuisé en 1844, le P. Maigret fut nommé à sa place. Puis, en 1847, Ie P. Heurtel étant pro-vicaire, M. Lavaud, gouverneur, toujours extrêmement courtois et affable, le pria à diner, et, au dessert. lui signifia, entre la poire et le fromage, le décret de M. Guizot interdisant aux missionnaires catholiques de prêcher leur religion à Tahiti.

Il semblait désormais qu'il n'y eût plu rien à faire dans ces parages qui se montraient si inhospitaliers pour nos missionnaires, mais 1848 arriva, et le décret de Guizot tomba avec lui.

Cette même année 1848, Mgr Jaussen, sacré par l'archevêque de Santiago sortait de l'Almendral, ordonnait prêtres le Pères Clair el Nicolas, et s'embarquait pour Tahiti, où il prenait pied en février 1849.

 


 

 

1  Pour l'intelligence de cet acte prépondérant de Pritchard, sur lequel il nous est impossible de revenir dans ce récit, voir la biographie de Pomaré IV, n° 202 des Contemporains, et celle de Mgr Maigret. n°38.

2 Voir aussi sa biographie, n° 213 des Comtemporains. 

III. Comment Mgr Jaussen et les missionnaires catholiques arrivèrent à se faire accepter à Tahiti

Comme on a pu le voir par les lignes qui précèdent, après la réception manquant totalement d'enthousiasme dont avaient été l'objet les PP. Caret et Laval, et les impossibilités contre lesquelles s'étaient heurtés leurs successeurs, rien ne semblait moins réjouissant que de recueillir leur héritage. Mais les pionniers de l'Église ne se rebutèrent pas pour si peu, et lorsque M. le capitaine de vaisseau Lavaud, étant gouverneur de Tahiti sous le titre de Commissaire de la République, Mgr Jaussen et les deux missionnaires qui l'accompagnaient débarquèrent dans l'ile, en 1848, les nouveaux venus furent tolérés simplement, mais ne durent compter que sur eux-mêmes pour réaliser le but qu'ils avaient à y remplir.

Ne pouvant heurter de front les idée préconçues de la race indigène, idées semées et soigneusement entretenues par les misions anglaises, qui dans un livre populaire, dépeignaient le pape et les papiste comme des anthropophages, Mgr Jaussen résolut de faire d'abord la conquête de enfants en leur enseignant le français, et, pour réaliser ce rêve, il se mit à étudier avec ardeur l'idiome du pays.

C'était un long détour pour arriver au but et la lettre suivante, adressée le 10 novembre 1849, par le premier vicaire apostolique de Tahiti au Supérieur général de sa Congrégation, à Paris, montre un peu les obstacles de la première heure.

« 10 novembre 1849.

Nos progrès à Tahiti ont été nuls jusqu'ici. Le habitants, peu instruits de leur religion ne nous connaissent que sous le nom de papistes et nous regardent comme des idolâtres. Toute tentative a été arrêtée jusqu'ici par l'influence despotique des ministres protestants et puis par la guerre. Tout se présente aujourd'hui sous un aspect plus favorable. On nous souffre comme maîtres d'école. Depuis un mois, je donne des leçons d'arithmétique et de français à Haapape, à deux lieues à l'est de Papeete, et deux de nos prêtres en font autant. l'un à Papeete et l'autre à Mairipehe. Le gouverneur, M. Lavaud, désireux de voir les indigènes parler français, favorise nos écoles il la condition que, durant la classe même, nous ne parlerons pas de religion. Cependant les préjugés tombent, et le désir vient de connaître la différence qu'il y a entre un papiste et un orometua anglais.

Mais, ajoute mélancoliquement l'illustre prélat, tous mes beaux discours restaient sans effet. Ce qui en produisait, en revanche, bien plus, c'est mon anneau pastoral, dont les facettes brillaient à la lumière, car la pauvreté est un vice chez le incivilisés. »

Et, de fait, l'anneau de Mgr Jaussen n'a pas été étranger aux succès de son école d'Haapape.

Cette école, qui a été le point de départ des conquêtes de la mission, était située au lieu dit la Pointe Vénus, dans le district d'Haapape, à l'endroit même où accostèrent les premiers navires européens venus dans ces parages, et où l'on montre encore l'arbre de Cook, sous l'ombrage duquel l'illustre navigateur aimait à se reposer.

Mgr Jaussen allait à pied de Papeete à ce district, à travers la montagne Tahara. Il partait le lundi et revenait le vendredi. Là-bas, il vivait de féï et de maïoré, fruit à pain, qui constituent la base de la nourriture des indigènes, et faisait sa classe dans la petite case en pandanus (palétuvier) à la place de laquelle s'élèvent aujourd'hui l'église et le presbytère.

Mgr Jaussen raconte quelque part comment il faisait le catéchisme aux enfants en dehors des heures de classe.

Il était possesseur de trois images représentant l'une Notre-Seigneur donnant à saint Pierre les clés du paradis, l'autre, les protestants donnant un démenti aux paroles de Jésus-Christ : « Les portes de l'enfer ne prévaudront point contre mon Église », et enfin, la troisième, les protestants discutant avec Jésus-Christ le sens des paroles eucharistiques.

Cette manière d'instruire en parlant aux yeux des enfants était plus efficace que des considérations sur la morale ou le dogme. Aussi, les protestants en prirent-ils ombrage, et plainte fut portée à M. Bonard, commandant la colonie, qui eut le bon esprit de n'en tenir aucun compte, sans se préoccuper des procédés du Synode, l'évêque et ses missionnaires continuaient à enseigner les enfants et à remplir leurs offices de prêtres, qui consistaient uniquement dans le service d'aumôniers de la flotte. Malgré le soin qu'ils mettaient à l'instruction des enfants, les progrès religieux étaient d'une lenteur désespérante.

Depuis 1841, date de la première arrivée des missionnaires, jusqu'à la fin de 1854, il avait été célébré 143 baptêmes seulement, soit 11 par an.3

Mais l'année 1855 s'ouvrait sous des auspices favorables. Un renfort de deux missionnaires arrivait dans l'ile : c'étaient les PP, Colette et Montiton.

En 1857 arrivait dans la colonie le P. Bruno Schouten ; en 1860, trois autres Pères arrivaient à leur tour. C'étaient les PP. Germain Fierens, Ortaire Orvain et Ignace Oursel.

En quelques années, cette phalange d'apôtres allait, après les débuts si pénibles que nous nous sommes efforcé de retracer, conquérir à la religion catholique la moitié exactement du royaume de Pomaré.

 


 

3 Cette gravure est extraite (p.85) d'un livre imprimé à Londres en 1847 par les soins de The religious tract society et sous ce titre : Te Tere o pererina, traduction tahitienne du Pelgrim's Progress de Bunyan. Ce dernier est une sorte de livre de piété que les protestants opposent à l'Imitation de J.-C. et dans lequel ils n'ont pas rougi de représenter un pape dans une caverne dévorant des cadavres.

IV. Mgr Jaussen et le paganisme

À l'époque où les premiers Européens débarquèrent à Tahiti, les indigènes étaient idolâtres et polythéistes. Ils croyaient à une immortalité relative de l'âme, qui, au sortir du corps, allait aveuglément toucher, au hasard, l'une des deux pierres situées sur le promontoire de Taataa, et continuait à vivre ou était anéantie selon qu'elle s'était heurtée à la pierre de vie ou à la pierre de mort. Dans le cas de survie, l'âme pouvait être récompensée ; dans le cas contraire, elle était absorbée dans le grand Tout. Si c'était une âme de prince, elle devenait divinité, et l'âme d'un guerrier fréquentait les champs de bataille où il s'était le plus particulièrement distingué.

En somme, le fétichisme tahitien était un composé de matérialisme, de fanatisme, de croyance à une vie future et de panthéisme. Quant aux dieux, ils descendaient tous d'un ancêtre commun appelé Taaroa qui, de son mariage avec Hina ou la Terre, avait eu un fils, Oro, le Souverain du monde.

Il y a également le dieu Raa, ou Soleil le dieu Hiro, protecteur des voleurs, et une quantité considérable de dieux secondaires, adorés dans les iles où ils s'étaient distingués. C'est ainsi que Borabora, Raïatea, les îles Sous-le-Vent, Mooréa, etc., etc., ont un dieu distinct.

Certains animaux, oiseaux ou poissons, comme le coucou, le otua ou crabier, le raro, martin-pécheur, le requin, ont également des droits à la divinité.

Le culte était rendu dans un marae ou temple en plein vent, dont les murs avaient un mètre d'élévation, et qui était divisé par cases, comme un damier, dans lesquelles prenaient place les différents personnages du marae, selon leur rang officiel.

Le grand-prêtre, dépositaire de l'idole locale, la portait au marae aux jours d'offices, et des offrandes lui étaient consacrées sur une claie déposée au pied de l'autel.

Ces offrandes consistaient en fruits. On immolait des animaux, principalement des porcs, avant d'entreprendre une guerre, et on sacrifiait un homme quand la divinité avait besoin d'expiation.

En dehors de l'ile même, aux Pomotous, aux iles Sous-le-Vent, les sacrifices humains étaient encore fréquents, et aux Gambier, en particulier, où nul missionnaire, à quelque culte qu'il appartînt, n'avait mis les pieds avant les PP. Caret et Laval, le paganisme régnait en maitre.

On sait comment, aujourd'hui, par suite des efforts de nos missionnaires, ces populations des iles Gambier, absolument catholiques, sont arrivées à un point relativement élevé de civilisation : comment les îles Pomotou ; où l'on pratiquait l'anthropophagie, sont aujourd'hui en grande partie catholiques, et comment, depuis longtemps aussi, à Tahiti, les sacrifices humains ont été abolis.

Mais Ia chose ne s'est pas faite toute seule, et certaines concessions ont dû être consenties, certaines transactions acceptées pour déraciner le culte des anciens dieux4.

 


 

4 Nous avons connu dans un village tahitien un diacre protestant, âgé d'une soixantaine d'années, qui portait. tous les dimanches un jambon à un requin, hôte d'une grotte sous-marine, avant d'aller lire l'office au temple. Ce requin incarnait l'âme d'un grand-père, et les plus grands malheurs pouvaient fondre sur la famille si l’on oubliait le jambon dominical. Elle plus fort, c'est que l'évènement confirmait cette superstition.

V. La Cathédrale de Papeete - Difficultés de Mgr Jaussen avec le Gouvernement

Ce n'était pas tout d'avoir abattu les idoles, il fallait remplacer les maraes du paganisme par le temple du vrai Dieu, et ce n'était pas commode dans un pays où la pierre et le fer, en un mot les matériaux de construction autres que le bois, font absolument défaut.

Depuis son arrivée dans l'île jusqu'en 1855, Mgr Jaussen avait célébré la messe surtout à bord des navires.

Nommé aumônier de la division navale du Pacifique en 1851, il s'était embarqué sur la goélette la Papeete, commandant de Bovis. En 1852, il avait pris passage sur la Thisbé, puis sur l'Artémise.

À bord de ces différents navires, l'évêque visitait les diverses stations où il avait des missionnaires et creusait toujours l'idée invraisemblable de construire une cathédrale à Papeete.

C'est au cours d'un de ses voyages aux Gambier, où il venait de décider de faire construire une chapelle en bois, qu'étant appuyé un soir, avec le P. Laval, sur la clôture en palissade d'un Portugais, une femme vint se mettre à genoux de l'autre coté de l'enclos : « Laval, dit-elle, je voudrais me confesser. - Mais tu n'es pas catholique, répondit le Père. - Non, mais tes disciples disent que l'on est si heureux après s'être confessé que je voudrais essayer de goûter ce bonheur. »

C'est sur ces indigènes des Gambier que Mgr Jaussen comptait surtout pour trouver les ouvriers de sa future cathédrale.

En 1855, il venait d'acheter la vallée qui s'appelle aujourd'hui vallée de la Mission, et avait installé ses missionnaires à Papeete, ce qui rendait de plus en plus indispensable l'érection d'une église.

Le prélat, après avoir longuement mûri son plan, écrivit en Australie et commanda à Sydney les pierres, les briques, le fer, en un mot tous les matériaux nécessaires à la construction de son église cathédrale.

Pour peu qu'on réfléchisse à la distance qui sépare Sydney de Tahiti et à ce qu'il faut de matières premières pour édifier une cathédrale, on comprendra quelle était la folie apparente d'une entreprise de ce genre.

Cependant, Mgr Jaussen, qui était de ceux qui réfléchissent mûrement avant de prendre un parti, et l'exécutent ensuite malgré vents et marées, avait décidé sa cathédrale, et il aurait sa cathédrale.

Pendant que les moëllons se chargeaient en Australie, l'évêque venait en France soumettre ses plans et devis à ses supérieurs. Puis il retournait à Papeete, où il apprenait que le navire apportant ses précieux matériaux avait fait naufrage, et que pas une pierre n'était arrivée à Tahiti.

Tout était à recommencer.

Sans se décourager l'évêque fit une nouvelle commande de matériaux, puis il s'embarqua à bord de la goélette Kameamea, capitaine Hardy, et alla aux lies Gambier chercher des ouvriers.

En 1856, il revenait, conduisant soixante hommes HABILLÉS en tailleurs de pierres et marchant au pas sur deux rangs, chose que n'avaient jamais vue les Tahitiens.

Le Fr. Gilbert Soulié, des Frères de Picpus, avait été élevé au grade d'architecte ; les Gambier abattaient des arbres dans la vallée de la Mission, préparaient les poutres et les charpentes, et en même temps des fours se creusaient, dans lesquels le corail des récifs donnait une chaux excellente. Mais tout cela n'allait pas, comme on le pense, sans l'opposition du Synode, qui, furieux de voir les succès catholiques, répandait ce bruit que « les fours à chaux étaient faits pour faire cuire les enfants ! »

En attendant, la messe était célébrée le dimanche dans une chapelle provisoire, et, l'après-midi, des simulacres de combats et des danses appelées péi avaient lieu sur la place en l'honneur de l'évêque.

En 1857, la première pierre de l'église fut solennellement posée en présence du gouverneur, M. du Bouzet, de l'état-major et de toute la population, sans distinction de cultes.

Ce fut l'une des grandes joies du premier vicaire apostolique de Tahiti de prendre ainsi officiellement possession de cette terre jadis païenne, puis protestante, et d'y poser les premières assises de sa cathédrale sur la plus belle place de la capitale des Établissements français de l'Océanie.

Cependant, ce premier succès obtenu, les indigènes des Gambier éprouvaient la nostalgie de leur pays, l'impérieux besoin de revoir Mangareva, leur patrie. Il fallut leur accorder le voyage, et ils partirent sous la conduite du Fr. Gilbert, emportant les pierres qu'ils devaient tailler chez eux pendant les deux années de congé.

Dans l'Intervalle, Mgr Jaussen, resté à Tahiti, faisait la classe aux enfants, s'occupant de ses recherches sur les origine de la race maori, sur les idiomes tahitiens, encourageant l'agriculture et s'essayant à l'élevage du bétail.

Le service du culte ne l'occupait guère que le dimanche, jour où il célébrait deux messes, en présence de quelques rare Européens, et du gouverneur, M. du Bouzet, qui, avec ses officiers, assistait parfois aux cérémonies. Le 1er septembre 1858, Saisset, capitaine de vaisseau, remplaçait M. du Bouzet, et alors, sous l'influence du Synode, les calomnies recommençaient à marcher leur train à Tahiti, et la bonne harmonie entre le gouvernement et la mission fut gravement troublée.

Voyant combien cet état de choses pouvait compromettre les intérêts de la mission, Mgr Jaussen n'hésita pas un seul instant à se sacrifier. Il fit venir le P. Colette, desservant de Papeuriri, à Papeete, le substitua en son lieu et place et alla modestement prendre celle de son missionnaire dans l'obscur village.

M. de la Richerie étant venu à remplacer M. Saisset, les relations restèrent aussi tendues que par le passé, et Mgr Janssen qui avait déjà dépensé 70 000 francs pour sa cathédrale et était à court d'argent ne savait quel parti prendre pour ne pas laisser inutilisés tant de labeurs.

Ce fut le gouverneur qui apporta la solution au problème, dans un but que nous n'avons pas à rechercher ici.

Un jour, M. de la Richerie dit au P. Colette : « Que diriez-vous si, en moins de deux ans, vous aviez une église en pierre mais plus petite que celle qu'on a entreprise ? »

Celte parole était alors une énigme, car on ne supposait pas qu'on voulût détruire ce qui avait été si laborieusement commencé. On comprit, lorsque M. de la Roncière, successeur de M. de la Richerie, avec l'aide de l'administration du génie, eut démoli la cathédrale et l'eut remplacée par la modeste église en pierre qui existe encore aujourd'hui à Papeete et dont nous plaçons ici le dessin fidèle. Ce fut l'une des grandes peines de Mgr Jaussen.

Malgré cette épreuve et peut-être à cause d'elle, la mission était en pleine prospérité. Pendant deux mois, vers la fin de 1859, l'affluence des catholiques était telle que la chapelle provisoire était trop petite. Le P. Colette, curé de Papeete, était tellement surmené, qu'il disait son bréviaire la nuit, avec une lanterne.

Mgr Jaussen venait quelquefois constater et encourager les progrès de sa mission de Papeete, mais se hâtait de retourner ensuite à Papeuriri, pour ne pas porter ombrage et troubler l'harmonie des pouvoirs, indispensable au succès de la mission.

Ce ne fut qu'à la fin de 1860 qu’il revint définitivement à Papeete.

VI. L'œuvre religieuse et civilisatrice de Mgr Jaussen

Nous n'avons pas la prétention de suivre pas à pas le développement des Mission catholiques à Tahiti, pendant le demi siècle qu'y dura l’apostolat de Mgr Jaussen.

Le vaillant évêque eut souvent maille à partir avec les gouverneurs, jaloux de l'énorme influence qu'il exerçait sur les populations, alors qu'ils étaient, au contraire, fort heureux de se servir de cette influence à leur profit, quand besoin était. Mgr Jaussen continuait avec le P. Laval à visiter son immense vicariat eu cherchant à élever de modestes chapelles, dont il laissait le terrain aux propriétaires.

L'affaire n'était pas toujours facile.

« À notre arrivée dans une peuplade, écrit Mgr Jaussen, dans un long mémoire adressé à Mgr l'archevêque de Santiago (Chili), le 15 février 1851, on s'asseyait après le premier salut, et l'on gardait un profond silence pendant quelques minutes ; puis la conversation s'engageait peu à peu. Telle est la coutume de ces peuples à l'égard des visiteurs qui viennent de loin.

À Tepipi, Petania, homme d'une taille gigantesque et d'un caractère fort original, rompit le silence général en disant brusquement : “Laval, tu étais à Mangaréva lorsqu'eut lieu un combat entre les habitants de cette îIe et les Touamotus, toi et Caret vous nous avez trahis !...

- Comment vous avons-nous trahis ? répondit le P. Laval, vous vous disiez chrétiens, et vous prétendiez que vous pouviez tout prendre aux Mangaréviens encore païens. Deux fois nous apaisâmes leur colère excitée par vos vols. Comme vous continuiez toujours à les voler, malgré nos protestations, leur patience fut poussée à bout, et, dans le combat qu'ils vous livrèrent, nous nous jetâmes entre les deux partis, en grand danger d'être tués. L'un d'entre vous tomba dans une fosse, et un Mangarévien allait le percer de sa lance, lorsque le P. Caret tombe sur lui, le couvre de son corps, et, parce que le Mangarévien ne voulut pas tuer un homme inoffensif, le Pomotou fut sauvé.

- Cet homme, c'est moi, dit Petania, interrompant le P. Laval.

- Un autre d'entre vous, continua le Père, fut fait prisonnier. Deux Mangaréviens le serraient étroitement et l'entrainaient vers la montagne où il aurait été, sans nul doute, rôti et mangé. Je joignis mes efforts à ceux du prisonnier, et il fut dégagé des bras vigoureux qui l'étreignaient. Plusieurs d'entre vous furent blessés grièvement, mais sans notre interposition, c'en était fait de vos vies.”

Petania ne répliqua pas.

Le lendemain, on apportait de toutes part des présents à Jaussen et à Laval, et Petania se distinguait en offrant un “cochon” (nous citons le texte) d'une taille colossale. »

Mais la conquête spirituelle de ces îles Pomotous fut longue et pénible. En général, c'était la force d'inertie qu'ils opposaient, faisant, avec le plus grand sérieux, semblant de ne pas comprendre, notamment quand il s'agissait de travailler.

Au cours d'un de ses voyages dans ces iles, Mgr Jaussen raconte certaine distribution d'habits qui eut un grand succès au point de vue des conversions : l'un reçut un chapeau, l'autre un paréo5, l'autre un pantalon, un autre une chemise. Une femme se pavanait avec une veste, et un mari passait sa redingote à sa femme pour qu'elle pût approcher dignement de la Sainte Table.

Aujourd'hui, le paganisme n'existe plus dans aucun des archipels océaniens ; partout, sauf à Tahiti même, les catholiques sont en grande majorité, et dans certaines îles ils sont L'unanimité de la population.

À mesure que le catholicisme s'implantait sous j'effort persévérant de Mgr Jaussen, la civilisation se développait parallèlement, avec l'usage de la langue française.

C'est ainsi qu'en 1884, lorsque le gouvernement voulut annexer les îles Gambier, le terrain était si bien préparé, qu'il suffit an gouverneur de se montrer pour que les chefs et la population vinssent d'eux-mêmes se placer sous le protectorat de la France.

Le gouvernement français en a, du reste, su le meilleur gré à Mgr Jaussen.

Ce qu'on peut affirmer sans crainte, c'est que l'immense majorité des indigènes océaniens qui parlent aujourd'hui le français le doivent aux efforts de Mgr Jaussen et de sa mission, grâce à laquelle les Frères et les Sœurs 'ont pu venir à Tahiti; et que l'œuvre du grand évêque dans ces contrées a été caractérisée par ce fait, qu'il n'a jamais séparé la cause de la France de celle de l'Église ; il a été, en même temps que le vaillant apôtre de l'une et de l'autre, le premier champion de la civilisation.

 


 

5 Paréo, bande d'étoffe de couleur très voyante que les Indiens s'attachent à la ceinture en guise du pantalon.

VII. Mgr Jaussen agriculteur

En convertissant à la foi les insulaires des diverses iles Pomotous, il fallait pourvoir autant aux besoins de leurs corps qu’à ceux de leurs âmes.

L'archipel des Iles Pomotous (tua motus, îles dangereuses) se compose actuellement de 82 îlots de formation madréporique. Nous disons actuellement, car des îles nouvelles surgissent de l'eau dans des endroit que la mer recouvrait autrefois, alors que des ilots existants s'affaissent et disparaissent dans les profondeurs de l'Océan.

Le sol de ces îles se compose uniquement de coraux qui fleurissent à certaines époques, et qui, écrasés par la marche des insulaires, forment une poussière blanche, quelque chose comme des coquilles qu'on aurait pilées, et qui est naturellement impropre à toute culture. Quelques rares pandanus y végétaient péniblement, le pied dans la mer, et constituaient le morceau de résistance de l'alimentation indigène.

Ce serait sortir du cadre qui nous est tracé que de raconter ici comment avait été opérée la conversion de ces insulaires anthropophages et comment les apôtres des Pomotous avaient déraciné les idoles et semé les germes de là toi catholique.

Mgr Jaussen, dont le but constant était de moraliser, par le travail, des brutes en enfance, entreprit l'œuvre invraisemblable de mettre en culture les pâtés de récifs de l'archipel dangereux.

La mission de Papeete possédait un petit navire, le Vatican. On le chargea de cocos et de barriques remplies de terre végétale et on l'envoya à l'un des Pères qui évangélisait là-bas. Comme la noix de coco germe avec une extrême, facilité, l'évêque pensait qu'en étendant une mince couche de terre sur les rivages humides, le cocotier prendrait racine et croîtrait en abondance.

Malheureusement, il n'en fut pas ainsi. Habitués à de longs jeûnes, les Canaques se précipitèrent sur le premier chargement et dévorèrent les cocos destinés à la plantation. En vain les missionnaires essayèrent ils de leur faire comprendre le but poursuivi : vivre encore deux ans avec le régime du passé, puis ramasser d'abondantes récoltes qui leur permettraient d'opérer de fructueux échanges avec les goëlettes qui commençaient à sillonner ces parages.

C'était peine perdue.

Loin de se décourager, Mgr Jaussen, qui possédait à un rare degré l'esprit de persévérance, fit faire un second chargement et l'accompagna aux Pomotous avec son navire le Vatican. Ce second envoi n'eut guère un sort plus heureux.

Ce ne fut qu'à grand peine que l'ardent colonisateur parvint à sauver quelques fruits de sa cargaison et à les faire planter dans de bonnes conditions de réussite.

Encore l'entreprenant évêque était-il en butte aux exactions des indigènes à raison même de l'obstination qu'il mettait à ne pas laisser dévorer les précieux cocos qui allaient devenir pour ces îles une source inépuisable de richesses.

Ayant pénétré, un soir, au cours de ce voyage, dans une hutte abandonnée, pour passer la nuit étendu sur le sol, il reçut le lendemain, de grand matin, la visite du soi-disant propriétaire de l'immeuble qui venait lui réclamer une forte somme. « - Ton chien y a couché également, répondit sans se troubler le prélat ; veux-tu le faire payer aussi ? » L'indigène se mit à rire et l'incident fut clos.

Cependant en voyant les premières feuilles de cocotier sortir de la noix plantée en terre, les Pomotous commencèrent à comprendre que la mission poursuivait un but avantageux pour eux.

Ils cessèrent en partie leur opposition en même temps que Mgr Jaussen continuait à faire naviguer son petit navire entre Tahiti et leurs iles, portant chaque fois des cargaisons nouvelles du fruit précieux et de terre végétale.

Les arbres croissaient rapidement, le pied dans l'eau, exposés à la torride chaleur des tropiques. Les feuilles desséchées formaient sur le sol un humus abondant, très propre à la culture. Ces îles désolées commençaient à former comme des corbeilles de verdure piquées au sein du Pacifique.

Les premières récoltes donnèrent des résultats inespérés. Au bout de quelques années, le gouvernement de Tahiti, suivant l'exemple du vicaire apostolique de ces îles, se prenait à envoyer aussi à ses divers agents de la terre et des graines, et ces rivages, jadis désolés, aujourd'hui sauvés par la généreuse initiative de Mgr Jaussen, sont devenus un sol habitable, d'où l'anthropophagie a disparu, et où se fait, en terre catholique, un important commerce de noix de coco.

Des goëlettes, chargées de farine, d'outils, de vêtements, aussi d'alcool et d'absinthe, hélas visitent chaque jour ces îles éparses, échangeant leurs marchandises pour la noix de coco séchée au soleil, laquelle, sous le nom de coprah, est ensuite envoyée à Liverpool et à Marseille, où on la transforme en huile et savon6.

Les indigènes des Pomotous sont aujourd'hui civilisés : ils sont même électeurs ! Ils sont pêcheurs de nacre, agriculteurs ou négociants.

Parfois, chez les anciens des vieilles tribus, se réveille encore comme un vague regret des bonnes années d'anthropophagie.

- Ah ! me disait un jour une vieille mormone convertie au catholicisme, si tu avais mangé de la viande humaine, tu ne voudrais plus manger autre chose.

- Mais tu n'en manges plus, toi !

- Non, parce que Tepano (Tepano c'était le nom donné à Mgr Jaussen par les indigènes) l'a défendu, mais… Et ce « mais » était plein de réticences perfides.

*

* *

En dehors de l'invraisemblable prodige de l'ensemencement des coraux du Pacifique, de façon à leur faire produire pour un demi-million de coprah par an, Tepano Jaussen rêva de faire de Tahiti une colonie d'élevage et d'exportation de bestiaux.

À son arrivée dans l'île, les indigènes se nourrissaient exclusivement de fruit à pain, de poisson, du porc sauvage, qui, race mixte entre le sanglier et l'animal privé européen, parait originaire de ces parages, et des poules acclimatées par Cook et Bougainville.

Pour y élever des moutons et des bœuf, il fallait, avant tout, des pâturages, et si le sol vierge de la Nouvelle-Cythère n'avait besoin que de recevoir une semence pour rendre mille fois ce qu'il aurait reçu, encore fallait-il le débarrasser d'abord de la brousse qui, entre les forêts d'arbres séculaires, ne laisse pas un pouce de sol inoccupé.

L'évêque entreprit vaillamment de se faire colon et débrousseur, et, à mesure que ses missionnaires et lui avaient défriché quelques arpents, l'herbe de Guinée, dont quelques échantillons avaient été importés d'Amérique, y croissait avec vigueur.

En même temps que l'ile devenait productive de fourrages, l'évêque y importait les premiers couples qui devaient faire la base du troupeau qu'il nous a été donné de voir si florissant dans la plantation d'Arue.

Ce modeste village, sis à 5 kilomètres du chef-lieu, et dont Mgr Jaussen s'était fait l'humble desservant, était devenu, pendant ses dernières années, sa résidence favorite, et c'est dans les terrains, jadis incultes de ce district, que croissaient et prospéraient les taureaux et les génisses de la mission.

Sur un autre point de l'ile, le riche domaine d' Atimaono, exploité par un Américain qui occupait quelques milliers de Chinois, s'essayait aussi à l'élève du bétail.

Mais, malgré l'exemple, malgré les encouragements donnés par le gouvernement local, rien n'a pu vaincre l'apathie naturelle de indigènes, et les efforts individuels de Mgr Jaussen et de ceux qui, comme lui, ont cherché à faire produire à Tahiti la viande nécessaire à sa consommation n'ont pas été couronnés d'un entier succès. On importe encore aujourd'hui pour 319 000 francs de bœufs à Tahiti, presque tous en provenance de la Nouvelle-Zélande.

Quoi qu'il en soit, l'œuvre admirable de Mgr Janssen, au point de vue spécial de l’agriculture, lui a survécu, et c'est à son active initiative que les iles Pomotous sont, en grande partie, redevables de ce qui fait aujourd'hui le principal élément de leur richesse et l'objet de leurs transactions avec les Européens.

 


 

6  Il a été exporté des établissements français de l'Océanie, d'après les dernières statistiques publiées pour 855 590 fr., 30 de coprah, et 30 142 francs de noix de coco en coques, provenant en grande partie des Tuamotus.

VIII. Mgr Jaussen et la langue maori

Toutes les iles comprises dans un polygone dont les sommets seraient la Nouvelle-Zélande, les îles Wallis, l'archipel des Navigateurs, les iles Sandwich, l'ile de Pâques et les Pomotous orientales sont peuplées d'une race cuivrée absolument distincte des populations sauvages limitrophe.

Ces indigènes se reconnaissent tous à première vue et à la moindre parole comme appartenant à une même race qu'ils désignent sous le nom de Maori ou Maohi, suivant leurs divers idiomes.

Nous n'avons pas à rechercher ici les origines de la race tahitienne, au sujet de laquelle plusieurs théories ont été émise avec une égale autorité.

Le fait que l'on trouve dans la langue tahitienne deux et même trois ou quatre mots très dissemblables, signifiant exactement la même chose, laisse à penser que l'hypothèse d'émigrations successives, venant de l'Ouest, à raison des vents régnant constamment, doit être acceptée7.

Quoi qu'il en soit, et sans entrer dans des considérations qui nous entraîneraient très loin, le fait que nous désirons signaler est celui de la corruption du langage tahitien à l'époque même où Tepano Jaussen débutait à Tahiti.

Comme nous l'avons dit dans un autre endroit, le vaillant évêque s'était improvisé instituteur, et, grâce à une extraordinaire facilité d'assimilation jointe à un labeur incessant, il était arrivé à posséder la langue tahitienne d'une façon merveilleuse en même temps qu'il enseignait l'A B C aux petits Canaques8.

Il n'eut aucune peine à s'apercevoir de la dégénérescence du langage primitif des indigènes, et, comme cette question de langage était intimement liée à celle des origines de la race maori, qu'il importait, par conséquent, au point de vue historique, de fixer les bases de ce langage avant qu'il n'ait absolument disparu, Tepano Jaussen entreprit ce travail, quelles que pussent en être les invraisemblables difficultés.

À cet effet, il écrivait au Supérieur général de Picpus, en novembre 1849, la lettre dont nous extrayons les passages suivants :

« L'idiome de Tahiti et du reste de l'archipel est déjà corrompu par les néologismes. Les Pomotous ont un autre idiome, mais chaque jour le Tahitien gagne chez eux. L'archipel de Cook a aussi son dialecte, Mangaréva conserve purement le sien. Faut-il conserver ces divers dialectes avec d'énormes dépenses d'impression, ou laisser le Tahitien les remplacer tous et favoriser ses progrès ? Ayez la bonté de me faire connaître votre décision ; vous y êtes bien intéressés ! Je sacrifierais à l'unité les idées des linguistes. »

Cette disparition du langage, et par suite de la possibilité de fixer les origines maoris, était également constatée quelques année plus tard par M. de Bovis, lieutenant de vaisseau, qui écrivait dans la Revue coloniale,année 1855 :

« Il ne restera bientôt plus de ces peuples que le nom. Les vieillards disparaissent ; la génération actuelle ne sait plus rien de ses ancêtres ; deux vieillards peuvent parler entre eux, sans crainte d'être compris des jeunes gens qui les entourent. Tout s'altère, tout s'efface dans ces archipels, la population, la langue, les souvenirs et les coutumes, et il n'y a aucune espérance qu'on puisse tirer quelques lumières de la génération actuelle. »

C'est pourtant ce que songeait à faire Mgr Tepano Jaussen. À force de patience, de pénibles recherches, d'acuité dans l'esprit d'investigation, il était arrivé à recueillir un grand nombre de mots primitifs, il démêler les règles d'une syntaxe originaire et bientôt il dotait la France et la colonie d'une grammaire et d'un dictionnaire, qui

sont les seuls existant encore aujourd'hui.

« C'est la première fois qu'est édité un vocabulaire de quelque étendue, traduisant une langue européenne en tahitien, écrit Mgr Jaussen, au sujet de ce dictionnaire.

Nous ne connaissons en ce genre que 20 pages du célèbre Guillaume de Humbold, éditées par M. Buschmann. Elles sont très exactes. »

Plus tard, Tepano Jaussen donna, en effet, un catéchisme tahitien, une traduction des principaux passages de l'Ancien Testament, et finalement une étude des plus savantes sur l'ethnographie de l'ile d Pâques.

Ce dernier ouvrage, dont nous ne pouvons parler ici, émet une théorie des plus curieuses sur les origines et les population de cette ile mystérieuse. S'il est un jour possible de fixer irrévocablement la Genèse de la race tahitienne, c'est au vaillant et savant évêque que reviendra la gloire d'avoir saisi et fixé les seuls vestiges qui restent actuellement d'un peuple à peu près disparu et d'avoir enrichi la Science et l'Histoire d'impérissables monuments qu'il serait impossible de reconstituer aujourd'hui.

 


 

 

7  Certains mots se prolongent comme un vieil écho des générations passées, depuis les confins de la Polynésie jusqu'à la Nouvelle-Calédonie, à la Nouvelle-Hollande et même à Madagascar. Ex. : arii, ariki, akariki, kariki, qui veulent dire roi dans ces différents pays.

 

8  En 1893, le R.P. Alazard secrétaire général des RR PP. des Sacrés-Cœurs de Picpus, publiait un ouvrage posthume de Mgr Jaussen. C'est une plaquette de 32 pages intitulée : L'Ile de Pâques, Historique, écriture et répertoire des signes des tablettes en bois d'hibiscus intelligents, Paris, Ernest Leroux éditeur. C'est à cette brochure que nous empruntons les signatures ci-dessus en caractères Maoris.

IX. Dernières années de Mgr Jaussen - La mort - Les funérailles

En 1884, Mgr Tepano Jaussen, fatigué par son long ministère, crut devoir demander à son Ordre un remplaçant pour la direction des intérêts catholiques dans la circonscription religieuse de Tahiti.

Mgr Verdier, évêque in partibus de Mégare, fut appelé à lui succéder avec le titre de vicaire apostolique de Tahiti.

Mgr Jaussen put consacrer alors ses dernières années à ses études ethnographiques sur l'ile de Pâques.

Habitant tantôt sa modeste retraite d'Arue, tantôt sa cellule de la maison de mission de Papeete, le vénérable prélat, laissa dès lors à son successeur le soin de l'administration.

Toujours vif et sémillant, les yeux pétillant d'intelligence, simplement vêtu d'une robe noire d'étoffe légère, aux plis flottants, ne portant comme signe distinctif de sa haute dignité que la croix d'or sur sa poitrine, l'infatigable vieillard, était l'âme de cette mission si laborieusement fondée.

Levé avant le jour, il célébrait sa messe dans la petite chapelle de la mission, à Papeete, ou dans son église d'Arue, pour laquelle il semblait avoir une prédilection particulière.

Sentant combien serait peut-être difficile pour les autres, lui disparu, la gérance de biens importants que sa sage administration avait pu acquérir à sa mission, il vendit, quelque temps avant sa mort, le magnifique troupeau de l'ile de Pâques et aussi celui de Tahiti qui était de nature à susciter des désagréments, des taureaux vivant à l'état sauvage et n'étant capturés qu'à la suite de chasses aussi mouvementées que périlleuses.

Un singulier procès que subit notre héros vers 1887 l'amena à débarrasser la mission de ses dangereux et insubordonnés élèves.

Les animaux du troupeau de Mgr Jaussen, comme ceux des autres propriétaires, vivaient en liberté dans la montagne, et chaque année, à une époque déterminée, des chasseurs indigènes s'emparaient du croit survenu pendant les douze derniers mois, le conduisaient au village, et là, chaque petit animal recevait une marque spéciale qui permettrait plus tard à son propriétaire de le reconnaître.

Mais il y avait là une difficulté.

Au moment de la marque, on supposait les origines de chaque animal d'après les performances ancestrales qu'il pouvait présenter ; ce mode était fort sujet à caution, le animaux des différents propriétaires vivant à l'état de communauté, et les règles de I'atavisme n'étant rien moins que prouvées en ce qui concerne les particularités que peut présenter le poil d'un bœuf.

Si plusieurs individus revendiquent la propriété du même animal, le tribunal de district, composé des hui-raatira, gros propriétaires fonciers, statue en dernier ressort par suite d'un usage qui a prévalu contre la loi fixant les attributions de cette juridiction d'exception.

C'est à la suite d'une opération de ce genre faite en son absence, qu'un individu du district d'Arue prétendit que des taureaux lui appartenant auraient été capturés et marqués par les chasseurs de Mgr Jaussen.

D'enquêtes en enquêtes, d'auditions de témoins en expertises, d'appels en appels, l'affaire se traîna pendant de longs mois devant les tribunaux de la colonie, et quand près de deux ans après la première audience, Mgr Jaussen fut définitivement maintenu en possession des animaux litigieux, il emporta de l'audience, avec le bénéfice de ses conclusions, l'intention très arrêtée de se défaire au plus tôt d'un trésor trop onéreux à conserver et aussi trop susceptible de faire naître des désagréments à la mission.

En dehors de ses occupations épiscopales, des soucis de ses plantations et de ses troupeaux, de ses études ethnographiques et historiques, Mgr Jaussen trouvait le moyen d'être toujours à la disposition de ceux qui désiraient conférer avec lui.

Malgré son âge avancé, son affabilité était demeurée extrême, et sa conversation, des plus instructives, était recherchée par tous ceux qui, appelés à habiter la colonie, avaient quelque curiosité de ses origines et de son histoire. Il n'est pas un haut, fonctionnaire, ni un officier de marine qui n'ait revendiqué l'honneur d'être reçu par Mgr Jaussen à son arrivée à Tahiti et n'ait conservé de lui le plus affectueux souvenir.

Aux distributions de prix, aux fêtes scolaires que les Frères de Ploërmel et les Sœurs de Saint-Joseph de Cluny organisent avec succès, l'évêque assistait le plus souvent possible, portant, avec le charme de sa parole, l'autorité de son enseignement.

Moraliser par le travail la race la plus indépendante et la plus amollie de l'univers fut toujours son but le plus cher ; aussi partout où l'on aperçoit une culture dans cette ile de Tahiti si prodigieusement fertile et si délaissée par ses habitants, on est certain de trouver l'œuvre de Tepano et celle des Pères de sa mission.

Ils sont bien âgés aujourd'hui, ceux qui furent ses collaborateurs de la première heure et qui étaient si universellement aimés dans le pays, les Barnabé, les Nicolas, les Bruno et autres vénérables pionniers de la foi chrétienne et de la civilisation évangélique, sans parler des Montiton et autres modestes héros qui ont précédé les autres membres de la phalange dans l'éternité9.

Le mercredi 9 septembre 1891, à 4 heures du matin, Mgr Jaussen rendait l'âme dans la maison de la mission de Papeete, dans la soixante-dix-septième année de son âge, après cinquante et un ans de sacerdoce et trente-trois d'épiscopat.

Le même jour, au moment où le Conseil général des établissements français de l'Océanie, réuni en session ordinaire, venait d'entrer en séance, le Directeur de l'Intérieur, représentant l' Administration, prenait la parole en ces termes que nous empruntons au procès-verbal :

« Vous avez sans doute appris, Messieurs, la mort de Mgr Tepano Jaussen, décédé ce matin à l'évêché.

L'administration vous propose, en témoignage de reconnaissance pour les services rendus par l'éminent prélat à la cause française dans ce pays, de décider que ses funérailles auront lieu aux frais de la colonie. »

À ces paroles traduisant fidèlement les sentiments du pays entier, ses mandataires levaient leur séance en signe de deuil. Les pavillons de tous les monuments, de tous les bâtiments en rade et de toutes les maisons particulières, étaient mis en berne, et l'Éden du Pacifique, la poétique et riante Tahiti tout entière s'associait. malgré ses divergences de croyances et d'opinion, au deuil des catholiques et de la mission, parce que celui qui venait de mourir, après plus d'un demi-siècle d'apostolat, avait bien mérité tout à la fois de la France, de la Civilisation, de la Science et de l'Humanité.

Ce n'était pas seulement au prêtre, au dignitaire de l'Église que la colonie voulait faire les funérailles que la France réserve à ses grands hommes, c'était aussi au pionnier de la civilisation qui avait arraché les îles Tuamotus au cannibalisme, qui avait, pour ainsi dire, doté la France du magnifique archipel des Gambier ; c'était au savant qui avait recueilli les origines de la race maori, qui avait fixé, le premier, les règles et les éléments de la langue canaque, enrichi l'histoire d'ouvrages uniques et précieux ; c'était enfin au soldat de l'humanité qui avait aboli les sacrifices humains, et, en renversant les idoles du paganisme, avait conquis des peuplades barbares à la cause de la France et de l'Église.

Le corps du vénéré prélat fut exposé revêtu de ses habits sacerdotaux, sur un lit de parade dressé dans le salon de la mission tendu de draperies noires, et pendant les deux jours que la colonie resta spontanément en deuil, tout Tahiti, sans distinction de races, de couleurs, de religion, de position sociale, vint contempler une dernière fois les traits de l'homme de bien auquel la mort n'avait rien pu enlever de leur sérénité.

Le jeudi soir, le corps fut mis en bière par les soins des soldats de l'artillerie, en présence du personnel de la mission et d'une nombreuse foule de fidèles émus comme par la mort d'un père.

À Tahiti, où l'on est tout aussi divisé d'opinions, sinon plus, que dans la mère-patrie, on sait cependant rendre hommage à ceux qui ont consacré leur vie à faire le bien, et, dans un article nécrologique paru au Journal officiel de la colonie, encadré de noir, le gouvernement s'associait au deuil des catholiques.

« Voulant rendre, disait-il, un dernier hommage à celui qui fut pendant si longtemps le chef respecté du clergé catholique dans les “établissement français de l'Océanie”, nous invitons les chefs d'administration, de service et de corps, à se joindre au gouverneur pour assister aux obsèques de Mgr d'Axiéri avec le personnel placé sous leurs ordres. »

Cet appel fut entendu.

En tète du cortège, la fanfare municipale jouait des marches funèbres ; puis venaient les enfants de toutes les écoles, laïques aussi bien que congréganistes ; enfin, le clergé, précédant le corbillard.

Les cordons du poële étaient tenus par le directeur de l'Intérieur, le chef du service judiciaire, le commandant des troupes, le chef du service administratif de la Marine, le président du Conseil général et le Président du Conseil de Fabrique.

Derrière le corps venaient le personnel de la mission, puis le gouverneur, entouré de membres du Conseil privé, l'évêque protestant, président du Conseil supérieur de églises tahitiennes, le Conseil général, le Conseil municipal, les officiers et fonctionnaires de tous grades, les militaires d'infanterie et d'artillerie de marine, la police municipale, toute la population française et étrangère, et enfin les rangs serrés des indigènes venus en foule de tous les points de l'ile et des iles voisines.

Que de chemin parcouru si l'on rapproche ces obsèques triomphales de l'expulsion des PP. Caret et Laval, garrottés par ordre de Pritchard en 1837 ; et chassés ignominieusement parce qu'ils apportaient la foi et la civilisation dans les plis de leurs robes de moines !

À la cathédrale, un service très solennel fut célébré. Puis le P. Nicolas Blanc, fidèle compagnon du vénéré défunt, monta en chaire et prononça l'oraison funèbre de celui dont il avait longtemps partagé les labeurs, les déceptions parfois cruelles et les souffrances.

Après ce discours, le P. Privat Delpuech desservant de la paroisse, parla longuement en langue tahitienne, arrachant des larmes à ses nombreux auditeurs.

Il était dix heures lorsque le cortège, sous un soleil de feu, reprit le chemin du cimetière de la mission, situé à un kilomètre environ de la cathédrale.

Sur le bord de la fosse, le président du Conseil général, puis le gouverneur de la colonie, dans un langage patriotique, envoyaient un dernier adieu au défunt.

« Puissent l'esprit de charité chrétienne, disait le gouverneur, les idées d'humanité et les sentiment de patriotisme qui l'ont guidé dans son long apostolat inspirer les actes de ceux qui sont désigné pour être les continuateurs de l'œuvre de civilisation à laquelle il s'était consacré, œuvre pour laquelle je viens, au nom de la colonie et au nom de la France, lui dire une dernière fois : Monseigneur, merci et adieu ! »

À onze heures, tout était terminé, et l'évêque regretté reposait debout, comme il avait vécu, dans sa dernière demeure.

Papeete.

J. Tepito.


 

Albert Montiton, missionnaire desservant de Punauia, où il avait installé une léproserie dans la montagne, est venu mourir en Espagne, ces temps derniers, d'une fluxion de poitrine, au moment où il prenait la plume pour raconter l'histoire de ses travaux en Océanie.

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