Regards en arrière
Plus d'un siècle et demi plus tard
par Sr Mary Dolorine PIRES, s.s.c.c. - Hawaii
Quand nous regardons aujourd'hui l'histoire du Marie-Joseph, nous ne pouvons qu'être impressionnés par le remarquable zèle missionnaire dont ont fait preuve les successeurs immédiats des Fondateurs, à un moment où les tensions intérieures étaient très fortes dans la Congrégation. Les opinions différentes qui conduiront au « schisme » de 1856 étaient déjà très tranchées.
L'histoire de nos Missions dans le Pacifique remonte à presque 20 ans plus tôt. Pendant l'été 1825, le Bon Père avait demandé à Rome l'attribution d'une mission à l'étranger, et au mois de septembre suivant, les Iles Sandwich (appelées plus tard Hawaii) nous avaient été confiées. Le 20 novembre 1826, les premiers missionnaires étaient partis vers ce lointain royaume. Ils étaient arrivés en juillet 1827, mais pour y rencontrer une farouche opposition de la part du souverain, influencé par l'hostilité des missionnaires protestants des États-Unis. Cependant, grâce à l'intervention du gouvernement français, l'Église avait obtenu une certaine liberté, les missionnaires des Sacrés Cœurs étaient revenus de Californie et la mission s'était développée. L'évangélisation dans les Iles Gambier avait connu un succès remarquable. Le Vicariat de l'Océan indien, fondé le 20 mai 1833, avait érigé les Iles Sandwich et l’Océanie du sud-est en Préfectures Apostoliques. Étienne Rouchouze était devenu Vicaire Apostolique et les deux Préfectures eurent à leur tête Bachelot et Liasu comme Préfets Apostoliques.
En mars 1837, le Bon Père était décédé (avec le mot « Gambier » d'une manière significative sur les lèvres) et Mgr Bonamie, dont le zèle missionnaire était bien connu, l'avait remplacé. Il était donc profondément intéressé par les missions en Océanie. La Mère Générale, Françoise de Viart, désirait engager aussi les Sœurs dans cette entreprise. Nos Missions dans le Pacifique étaient bien établies, et seules les communications entre les Iles du sud du Pacifique, Hawaii et l'Europe devaient être améliorées.
Nous pouvons donc facilement comprendre pourquoi Mgr Rouchouze rêvait que la Congrégation ait son propre bateau qui favoriserait l'unité et une majeure efficacité. Nous pouvons admirer la volonté de la Congrégation de tout investir en personnel et en finances. Nous devons certainement admirer les Supérieurs Généraux qui décidèrent si généreusement d'envoyer un groupe d'une telle importance: 6 prêtres, un sous-diacre, 7 Frères convers, 10 Sœurs pour composer le groupe; quoiqu'il y ait eu des départs de la Congrégation et des décès prématurés parmi les religieux, le nombre des religieux des Sacrés Cœurs avait augmenté, c'est vrai, mais tous étaient très nécessaires en France pour la ré-évangélisation du pays. De plus, le groupe était très jeune, la plupart avait moins de trente ans.
Il est vrai que, du point de vue missionnaire, un catéchiste d'Océanie, était sur le bateau - 9 ans après que le Vicariat de l'Océanie de l'est ait été fondé, le Vicaire Apostolique se préoccupait déjà de donner une formation, en Europe, à ses collaborateurs laïques du pays qu'il espérait former en un clergé indigène.
Quiconque lit le récit de ce voyage fatal, est frappé par le fait que des détails de peu d'importance y sont mentionnés, alors que des dates et des événements d'une importance historique n'y apparaissent pas. Contradictions et hypothèses y abondent. Il est possible que ceux qui prirent part au voyage n'étaient pas particulièrement intéressés à donner des renseignements exacts; peut-être que leurs archives disparurent avec eux ; peut-être enfin pensaient-ils qu'une fois le voyage définitivement terminé, ils pourraient écrire ce qui était arrivé, où et pourquoi c'était arrivé. Ils ne pouvaient pas deviner qu'il n'y aurait jamais d'arrivée.
Les années écoulées depuis l'événement, ainsi que la difficulté d'accès aux premiers documents, rendent presque impossible un récit complet et exact de ce qui s’est passé. Voici les sources dont je dispose à Hawaii.
- Cabral, Oswaldo : « Un destin inconnu pour l'éternité ».
- Cools : « Archives de la Maison Généralice »
- Mouly Dalmas, ss.cc. : « Navire en détresse », œuvre des lectures missionnaires, 3, rue Rapin - Tours, (traduit par les Sœurs des Sacrés Cœurs d'Hawaii). Aucune date n'est donnée dans la version anglaise.
- Yzendoorn, Réginald ss.cc. « Histoire de la Mission Catholique dans les Iles Hawaii, Honolulu ». The Star Bulletin, 1927.
Ces articles par Cabral et Cools sont écrits en Portugais et répètent les mêmes choses. Il est intéressant de noter que l'historien Cabral a 18 renvois et l'archiviste Cools, en a 35. Yzendoorn se réfère aux Annales des Sacrés Cœurs et aux Annales de la Propagation de la Foi, autant qu'à « Auf den Marshall Inselm » par A. Linckens. Mauly ajoute des Nouvelles aux deux Annales. Malheureusement je n'ai eu accès à aucune de ces références.
Considérant que nous n'avons que peu de place, il nous semble que la meilleure manière de nous rappeler le Marie-Joseph, serait d'indiquer brièvement les points principaux que nous connaissons, ainsi que ceux que nous ne connaissons pas.
Des quatre sources principales dont nous venons de parler, prises ensemble, nous pouvons apprendre ce qui suit :
- Où et quand le navire fut construit, d'où il partit, qu'elle était sa taille et sa cargaison, l'impressionnante cérémonie de la bénédiction, le nom du Capitaine, le nombre des membres d'équipage, la liste des Religieux qui y embarquèrent, la date et le lieu de leur naissance, la date de leur Profession, leur âge au moment du départ, la date et l'heure du départ.
- Quelques détails du voyage avant l'arrivée au Brésil - le bateau était en mer depuis son départ d’Irlande - description de la vie en mer - fragments de lettres écrites pendant la première partie de la traversée - aperçu de Madère en janvier - arrêt aux Iles du Cap Vert - traversée mouvementée vers le Sud - décès de Sœur Calixte Le Gris - comment son corps fut conservé - décision de partir vers le Brésil pour l'enterrement à terre.
- Décès du jeune indigène à Desterro (maintenant Florianopolis dans l'Ile de Ste Catherine au Brésil), son enterrement sur place au cimetière public ; détails des funérailles de Sœur Calixte, place au Nord, coté Nord du continent, nom du prêtre qui autorisa cet enterrement dans la « capela-mor », comment Évariste Pochmann, ss.cc. établit l'identité de la Sœur en 1952, réplique du Président de Brito de Ste Catherine à la lettre de remerciement de Mgr Rouchouze - rumeurs de naufrage et massacres - hypothèses de tous genres.
Ce que nous tenons pour certain :
- Le nom du jeune indigène et le lieu de sa naissance (certains rapports disent « Loheolé », d'autres disent « Mataercina » ou « Matalercy » quelques rapports disent qu'il était un « Mangarewan », un Polynésien. On dit aussi qu'il venait de l'archipel Hawaïen ou des Iles Sandwich ; d'autres disent qu'il était de « Mongaraiba ». Les historiens pensent qu'il venait probablement de Mamgareva dans les Iles Gambier. Quelques-uns disent qu'il était en France, étudiant pour devenir prêtre; d'autres affirment qu'il étudiait à Louvain. Une lettre relatant l'arrivée du bateau au Brésil est datée de Mars 1842, mais le Marie-Joseph ne quitte la France qu'en décembre de cette même année. Le registre du cimetière de Desterro le mentionne comme « un jeune Français de 20 ans ». Le registre de l'hôpital affirme qu'il y fut admis le 16 février 1843 et mourut le 21.
- Maintenant la date et le lieu du décès de la Sœur (date dans le Nécrologe des Sœurs) ; quelques-uns disent : « le même jour qu'Évariste », d'autres disent : après sa mort. Certains disent qu'elle est décédée en haute mer ; un autre dit que c'était au port, près de l'île. Curieusement le registre des décès explique que la note fut rédigée une année après la sépulture. La plupart des commentateurs pensent que la date de janvier est fausse.
- La tuberculose fut la cause du décès d'Évariste; la cause du décès de la Sœur n'est mentionnée nulle part; on nous dit seulement que, tout à coup, elle tomba malade et mourut en quelques heures, à l'âge de 24 ans.
- Date de l'arrivée du bateau au Brésil. Le Père Mouly la situe le 12 février, mais Cabral et Cools disent que la date et le motif ne sont pas clairs; ils la placent « entre la fin de janvier et le 11 février ». Ils suggèrent que le bateau ait pu avoir besoin de se réapprovisionner et qu'il pourrait y avoir eu des malades à bord. Tous deux affirment que deux passagers moururent pendant le bref séjour du bateau au port.
- La longueur de la halte au Brésil, la date du départ pour le Cap Horn et le Pacifique ? Une indication se trouve peut-être dans une lettre découverte dans les archives du palais présidentiel à Ste Catherine. À la lettre de remerciement et d'adieu écrite par Rouchouze la veille du départ, le Président de Brito y répondit le 16 février. Il semble donc que le navire ait quitté le Brésil à peu près à cette date, mais Cabral dit que ce ne peut pas avoir eu lieu si tôt car le registre du cimetière de Desterro prouve qu'Évariste fut inhumé le 21. La date du départ est donc incertaine.
- Le Père Mouly donne une information sur les quatre Polynésiens qui quittèrent les Iles Gambier et les Iles Sandwich pour venir en Europe afin d'être les premiers piliers d'une École Apostolique dans la Congrégation. Il affirme que l'un d'eux mourut à Paris le 14 Août 1842, Évariste repartit sur le Marie-Joseph, mais on ignore ce qu'il advint des deux autres.
- L'endroit du naufrage. Izendoorn dit que le navire fut aperçu pour la dernière fois près des Iles Falkland et probablement se perdit dans le détroit de Magellan. S'appuyant sur le même renseignement, Cabral et Cools affirment que, très probablement, le Marie-Joseph disparut quand il était encore dans l'Océan Atlantique.
- Rumeurs de naufrage et de massacres sur les plages tropicales. Ceci n'a pas été vérifié, mais fortement réfuté. La vérité est que la plupart des faits concernant ce malheureux navire missionnaire reste un mystère. Le registre du port de Saint Malo d'où était parti le navire en 1842 note ces simples mots : Marie-Joseph N 679 - Capitaine O'Sullivan - Aucune nouvelle - Doit être perdu avec ses passagers et sa cargaison.
Et donc, le mystère demeure. Cependant ce n'est pas de l'ironie d'essayer de savoir ce que le bateau transportait en plus de la nourriture. Il y avait des milliers de kilos de fil de fer dont on avait tant besoin en Océanie, une chèvre, un porc, des lapins, des pigeons, des perdrix, et 63 poulets. Mais pendant plus d'un siècle on ne sut jamais quelle Sœur était décédée sur le bateau ! Cependant, ce que nous savons c'est que l'énorme cuisinière pouvait produire 5 kilos de pain par heure et aussi distiller de l'eau de mer pendant la cuisson des plats ; mais ce que nous ne savons toujours pas, c'est quand le navire quitta le Brésil. Nous avons des détails intéressants, mais les importantes lacunes qui demeurent nous déçoivent beaucoup.
Malgré le mystère qui continu à environner ces morts, ce que nous savons du but, de l'esprit, du courage, du zèle et de la générosité de ce groupe missionnaire continue à être une inspiration pour nous.
Cette année marque le 155ème anniversaire de leur don total et au moment où la Congrégation intensifie ses efforts missionnaires, cette commémoration nous rappelle notre admirable histoire d'évangélisation souvent effectuée malgré bien des difficultés. Notre tradition nous montre que, malgré de durs revers, nous avons persisté à répandre le message de l'Évangile jusqu’au bout du monde. En vérité, la vision du Bon Père à la Motte d'Usseau continue à s'accomplir, souvent au prix d'héroïques sacrifices. Adveniat !