Située au centre de l'Océan Pacifique, à l'extrémité orientale de l'Océanie et peuplée d'autochtones maohi, il est naturel que le premier cercle de communion universelle soit avec les archipels océaniens. Le Concile Vatican II dans le décret sur « la charge pastorale des évêques » a institué une solidarité nouvelle entre les diocèses : les Conférences Épiscopales[8]. Dispersées au milieu du Pacifique entre les continents de l'Asie et de l'Amérique ainsi que des vastes « îles continentales », les 10 diocèses des archipels océaniens constituent, en 1968, la « Conférence des Évêques du Pacifique », dont l'abréviation est C.E.P.A.C. Cette conférence est officiellement bilingue : anglais et français ; mais la prédominance massive du monde anglophone fait que l'anglais est la langue habituelle des échanges et des documents. En 1983, la C.E.P.A.C. compte douze diocèses.
Les diocèses anglophones sont les suivants :
- Tarawa (Kiribati [ex-Gilbert], Nauru) : Mgr Paul Mea.
- Suva (Fidji) : Mgr Petero Mataca.
- Nuku'Alofa (Tonga) : Mgr Patelesio Finau.
- Apia (Samoa occidentales, Tokelau) : Cardinal Pio Taofina'u, Mgr Hurley, auxiliaire.
- Pago-Pago (Samoa américaines-diocèse érigé en 1982 et Tuvalu) : administré par Apia.
- Rarotonga (îles Cook) : Mgr Denis Browne.
- Ponape (îles Carolines, Marshall et Truk) : Mgr John Neylon.
Les diocèses francophones comprennent :
- Nouméa (Nouvelle-Calédonie et îles Loyauté) : Mgr Michel Calvet.
- Lano (Wallis et Futuna) : Mgr Lolesio Fuahea.
- Papeete (Tahiti et 4 archipels de Polynésie Française) : Mgr Michel Coppenrath.
- Taioha'e (archipel des îles Marquises, Polynésie française) : Mgr Hervé Le Cléac'h.
Un diocèse est bilingue avec une évolution vers l'anglais:
- Port-Vila (Vanuatu, ex-Nouvelles-Hébrides) : Mgr Francis Lambert.
Cette seule énumération des douze participants à la C.E.P.A.C. montre la complexité de cette conférence épiscopale. La dispersion géographique n'arrange rien. Si la seule Polynésie française a la taille de l'Europe et s'étend sur un espace grand comme dix fois la France, que dire de la surface recouverte par les douze diocèses de la C.E.P.A.C. Ils vont du 130e méridien Est au 130e méridien Ouest de Greenwich avec la ligne de changement de date en plein milieu et d'un Tropique à l'autre ; cela représente un rectangle de 11 000 km de long sur 5 000 km de large, soit 55 millions de km2 : 100 fois la France, 3 fois l'Amérique du Nord tout entière !
Une telle immensité est un désert d'eau parsemé de milliers d'îles et d'atolls disséminés, représentant au total environ un millième de terres émergées. Le chapitre 1 a décrit cette géographie et la difficile question des communications. La population totale de ces archipels en 1978 est appréciée à 1 500 000 habitants dont 350 000 catholiques (24 %). La moitié de la population catholique se trouve dans les diocèses de langue française et dans le Vanuatu francophone. Dans les diocèses de' langue anglaise, le Kiribati et les Carolines ont près de 50 % de catholiques ; dans tous les autres, le catholicisme est minoritaire, comme à Tahiti. Aux Fidji et en Nouvelle-Calédonie, il existe une minorité musulmane de l'ordre de 5 %. Aux Fidji, près de la moitié de la population pratique l'hindouisme. Enfin il faut souligner que le monde protestant est éclaté en de nombreuses dénominations mais rassemblé au sein du P.C.C. (Pacifie Council of Churches). Voici un tableau de la situation en 1978[9].
Diocèses
|
Population
|
Catholiques
|
Protestants
(Tous)
|
Tarawa
|
63 870
|
26 442
|
34 975
|
Suva
|
558 068
|
49 826
|
250 134
|
Nuku'Alofa
|
90 085
|
14 514
|
74 525
|
Apia
|
153 558
|
33 525
|
115 778
|
Pago-Pago
|
29 190
|
5 897
|
21 458
|
Rarotonga
|
18 127
|
2 544
|
14 773
|
Ponape
|
115 251
|
51 890
|
56 287
|
Port- Vila
|
110 000
|
14 000
|
80 000
|
Nouméa
|
135 000
|
90 000
|
35 000
|
Lano
|
9 200
|
9 200
|
?
|
Papeete
|
153 000
|
50 000
|
80 000
|
Taioha'e
|
5 500
|
5 000
|
500
|
N'oublions pas que les statuts politiques de ces divers diocèses sont fort variés : États indépendants, État associé (Cook), Territoires américains et français. Les diocèses de Tarawa et d'Apia comprennent chacun plusieurs États indépendants.
En plus de recouvrir sans doute la plus vaste zone du monde, la C.E.P.A.C. doit faire face à des situations socio-culturelles et politiques très variées ; l'héritage des passés anglais, américain et français, le poids des traditions protestantes anglaises sont très forts. L'influence actuelle de la Nouvelle-Zélande et de l'Australie est puissante. De par la géographie, la Polynésie française est le territoire le plus isolé à l'extrême-Orient de l'Océanie ; l'histoire lui donne plus de relations nord-sud avec l'Amérique et l'Europe qu'est-ouest avec le Pacifique.
La première session de la C.E.P.A.C. a eu lieu à Suva du 26 au 29 mars 1968. Une quinzaine de sujets étaient à l'ordre du jour, à commencer par les statuts et l'organisation de la Conférence elle-même. Les questions dominantes étaient celles concernant la famille, la liturgie, l'œcuménisme et les vocations sacerdotales et religieuses. Lediaconat fut présenté par Mgr Coppenrath dès cette première assemblée. Le sujet des Mass Média, si important, surtout par les émissions Radio, fut aussi traité.
En raison du caractère dispendieux et du temps à prendre pour venir aux assemblées, certains proposent que la C.E.P.A.C. ne se réunisse que tous les deux ans. La majorité souhaite une rencontre annuelle et à tour de rôle dans chacun des diocèses pour apprendre à se connaître. C'est ce qui se fait depuis 1969. En plus des sujets de la première session, le problème des migrants, les relations entre congrégations religieuses et diocèses, les Séminaires, la participation au Synode des Évêques à Rome, la catéchèse sont à l'ordre du jour. L'assemblée de 1970 se tient à Sydney à l'occasion de la visite de Paul VI en Australie. Cette session constitue le premier Symposium des quatre Conférences épiscopales d'Océanie ; désormais il y en aura un tous les trois ans. Le souhait du diaconat permanent, la formation des catéchistes autour du P. Tournaire, l'organisation des études dans les grands séminaires de Nouméa et de Suva avec la question d'une culture orale sans traditions écrites ni habitude de lire sont des points importants étudiés par les évêques. De même la C.E.P.A.C. souhaite établir des liens avec la Commission du Pacifique Sud, sise à Nouméa, qui travaille pour le développement des populations des îles par des programmes éducatifs et sanitaires adaptés.
La session de 1971 se déroule à Papeete. Les thèmes des catéchistes, du diaconat permanent, des Séminaires, de la Justice dans le monde sont les plus approfondis. À partir de 1973, où l'assemblée se tient à Tonga, les documents sont uniquement en anglais. À cette session, le Grand Séminaire Régional de Suva est constitué comme Séminaire de la C.E.P.A.C. par suite de la fermeture du Séminaire Saint-Paul de Nouméa. Il est sous la responsabilité d'un « sénat » d'évêques qui contrôle l'organisation des études et nomme le corps professoral. Les divers mandats sont de trois ans. Les aspects variés du « développement » commencent à prendre de l'importance dans les travaux de la C.E.P.A.C. La session de 1975 à Nouméa approfondit les mêmes sujets. Celle de 1976 se déroule à Randwick, près de Sydney. La participation au P.C.C. : Pacific Council of Churches qui regroupe les diverses confessions protestantes des îles du Pacifique, est discutée et approuvée. Mais ce n'est pas chaque diocèse comme Église locale qui en sera membre, mais seulement la C.E.P.A.C. qui y participe comme telle depuis 1973.
L'assemblée de 1978 aux Samoa Occidentales, en plus des sujets habituels, approfondit le développement sous forme d'une entraide à promouvoir dans le Pacifique ; c'est le Pacific Partnership for Human Development : P.P.H.D. Ce sujet est appelé, sous toutes ses formes, à prendre de plus en plus d'extension, Les implications en sont nombreuses en tous les domaines. En particulier les grandes différences économiques, sociales et politiques entre les divers archipels, la présence française ressentie par le monde anglophone comme colonisatrice et provocatrice en raison des essais atomiques de Moruroa, sont souvent au centre des débats sur cette question du développement dans les îles du Pacifique, bien plus d'ailleurs au P.C.C. qu'à la C.E.P.A.C.
La C.E.P.A.C., à la fois très vaste géographiquement et fort modeste humainement, entretient des relations avec les autres Conférences Episcopales de la région : Papouasie-Nouvelle-Guinée, Nouvelle-Zélande et Australie depuis le premier Symposium de 1970, renouvelé depuis tous les trois ans. Ces deux dernières sont à l'évidence d'un grand poids et l'Australie exerce un leadership incontestable dans la région. Pour assurer une meilleure entraide au service du développement global des îles du Pacifique, faut-il envisager une coordination plus étroite et structurée entre les quatre Conférences Épiscopales de l'Océanie ? La question se pose de plus en plus. Certains envisagent même une nouvelle organisation de type « Fédération ». Que l'Océanie se veuille solidaire et soit à la recherche de son unité régionale, est une aspiration profonde et déjà une réalité. Mais jusqu'où aller ? Que met-on exactement dans ce projet et sous les termes qui l'expriment ?
Dans la conception et la pratique anglo-saxone, religion et politique sont étroitement imbriquées dans une vision globale de la société. Ce n'est pas du tout le cas des conceptions américaines et françaises, fondées sur la séparation des Églises et de l'État, mais avec un regard assez bienveillant en Amérique et une attitude plus critique en France. Or il se trouve que les Territoires américains et français dans le Pacifique sont les seuls qui ne sont pas des États indépendants sans oublier Pitcairn qui est anglais. Ces archipels jouissent d'un niveau de vie nettement supérieur aux autres îles par les transferts monétaires et les relations privilégiées qu'ils ont avec leurs Métropoles respectives[10]. La fixation anti-nucléaire de l'ensemble de l'Océanie complique encore la question. Théologie de l'Église locale, collégialité au niveau des Conférences Épiscopales et au niveau des grandes régions géo-politiques à problèmes communs (Océanie, Europe, Amérique latine, etc.), Communion catholique autour du Successeur de Pierre, autant de questions neuves ouvertes par le Concile Vatican II.Elles se posent d'une manière spécifique et fort complexe dans une Océanie en pleine recherche d'identité socio-culturelle tant au niveau local de chaque archipel qu'au plan de la grande région océanienne. Ce n'est pas une nouvelle Église qui est à construire ; mais dans un monde qui évolue, c'est une nouvelle manière de vivre la solidarité et l'entraide entre les Églises locales qui se veulent au service du développement humain global des océaniens. Sur ce plan) l'École Pastorale et catéchétique de Manille aux Philippines (E.A.P.I.) joue un rôle de plus en plus important et apprécié des diocèses de la C.E.P.A.C.
Cette situation pose au diocèse de Papeete particulièrement des questions difficiles en raison de la double solidarité de la Polynésie française. La vie économique, sociale, politique du Territoire est directement branchée sur Paris ; les liens sont très faibles et les communications très modestes avec les autres îles du Pacifique. La vie culturelle et religieuse de la Polynésie se joue en Océanie et non en Europe. Les diocèses de Tahiti et des Marquises ne font pas partie de la Conférence Épiscopale de France où ils ne sont qu'observateurs et non membres de plein droit. Le Concile n'a pas prévu l'appartenance à deux Conférences Épiscopales en même temps. L'Église catholique à Papeete est d'abord océanienne et polynésienne sans cesser d'avoir une ouverture privilégiée à ce qui se vit dans l'ensemble français où la Polynésie évolue. Position inconfortable s'il en est ; situation inévitable par le poids des choses et les nécessités géo-politiques qui ne sont pas de la responsabilité propre de l'Église. Nous sommes toujours des héritiers. Aucun bourgeon porteur d'avenir ne peut s'épanouir s'il est déraciné ; mais il peut fructifier davantage s'il est émondé. Tahiti est au carrefour de relations nord-sud établies et faciles, est-ouest neuves et difficiles.
Avec la C.E.P.A.C. qui est le cadre essentiel, les deux diocèses de la Polynésie sont solidaires du Pacifique par la participation au P.C.C. dont nous parlerons avec l'œcuménisme. Un lien de travail commun important pour les diocèses iliens est le Grand Séminaire Régional de Suva. Depuis 1973, après la fermeture du Séminaire francophone de Nouméa, il reste le seul pour préparer au sacerdoce dans les douze diocèses de la C.E.P.A.C. La fermeture du Séminaire Saint Paul pour des raisons graves propres à la Nouvelle-Calédonie, fut un rude coup pour les autres diocèses francophones, Papeete spécialement. Non pas, malheureusement, parce que les vocations étaient nombreuses ; mais pour des questions de langue et de culture. Déjà les maohi ont de la difficulté à bien maîtriser la langue française. Pour être prêtre, il faut désormais en plus être capable de suivre des cours de théologie, d'étudier des ouvrages d'Écriture Sainte ou de rédiger des travaux personnels en anglais. Entre se débrouiller en anglais pour la vie courante et faire des études universitaires, il y a un monde. De plus, les références culturelles, les styles pastoraux, les modes de vie entre monde britannique et univers français sont parfois bien différents. Non pas que l'un soit meilleur ou plus mauvais que l'autre. C'est à l'évidence, comme le P. Gérard Leymang le défend sans cesse pour le Vanuatu, une grande richesse que d'être trilingue : langue océanienne, français, anglais. Est-ce que tous les séminaristes le peuvent ? N'est-ce pas demander l'impossible pour être prêtre ? N'est-ce pas exiger des polynésiens ce qu'on ne demande nulle part ailleurs ?
Le diocèse de Papeete est partie prenante et co-fondateur du Séminaire Régional de Suva. Gérald Mahai, ordonné prêtre le 25 mars 1983, y a fait toutes ses études. Deux autres tahitiens le suivent. C'est une richesse pour eux ; c'est un grand bienfait pour le diocèse, même s'ils doivent en redécouvrir la vie concrète et l'évolution pastorale rapide qu'ils n'ont pu suivre que de loin à 3 500 km et d'un ailleurs anglophone. Nous avons déjà parlé plus haut des besoins nombreux du diocèse de Tahiti en formation de tous niveaux. La nouvelle École Théologique s'ouvre d'abord pour y répondre et en complément du Séminaire Régional de Suva auquel Papeete désire envoyer le maximum de vocations locales susceptibles de s'y épanouir pour le service de l'Église.
Un dernier point à signaler est celui de l'entraide caritative et fraternelle entre les diocèses du Pacifique. Avec les îles Cook, elle est régulière par une association permanente. Avec les autres, le Secours Catholique apporte son soutien au fur et à mesure des besoins. En 1981 les îles du royaume de Tonga ont été dévastées par un terrible cyclone. Des Tongiens sont venus à Tahiti faire connaître leurs îles par les chants, les danses de façon à reconstruire la cathédrale ; des tahitiens sont allés à Tonga apporter des secours et rencontrer la population. Si le Secours Catholique n'est pas particulier à la Polynésie, fort heureusement, et s'il n'est pas le seul mouvement de solidarité pratique et efficace - Rotary, Lion's, le groupement de solidarité des femmes de Tahiti, Caravane du bonheur, Physigma, et bien d'autres groupes sont actifs sur Tahiti - il faut souligner son rôle de partage et de sensibilisation aux besoins des autres îles du Pacifique.
[8] Vatican II. Décret Christus Dominus du 28-10-1965, n°36 à 41.
[9] Population par religion. Commission du Pacifique Sud. Population 1978, tableau 9, pp.35-37. Les chiffres pour les Territoires français sont estimés à la date de 1980.
[10] Voir les tableaux à l'Annexe X.