Le 25 mars 1983, Gérald Mahai de Faaa est ordonné prêtre. C'est le septième prêtre autochtone depuis la fondation de la Mission catholique le 7 août 1834. Le premier fut Tryphon (Tiripone) Mama Taira Putairi, mangarévien ordonné le 24 décembre 1873 ; il est décédé à Valparaiso le 27 décembre 1881. Le second est Michel Coppenrath, « demi » de Papeete ordonné le 29 juin 1954 ; son frère Hubert l'est à son tour le 26 juin 1957. Le cinquième, Lucien Law, chinois de Raiatea, est ordonné le 19 décembre 1964, suivi par Norbert Holozet, maohi de Tahiti, le 21 décembre 1968. Peter Choy Chi-King, né à Swatow en Chine, est ordonné au titre du diocèse de Papeete le 18 janvier 1975. Les quatre premiers diacres permanents mariés sont ordonnés le 24 février 1979 à Maria no te Hau de Papeete par Mgr Michel Coppenrath ; une seconde ordination de trois diacres permanents a lieu le 23 octobre 1981. L'aspect actuel des vocations, priorité de la pastorale diocésaine, sera étudié au chapitre XX.
Le simple rappel ci-dessus, malheureusement exhaustif en ce qui concerne les ministères ordonnés depuis 150 ans de mission, montre que nous sommes là au cœur de la plus grande difficulté de l'Église catholique en Polynésie. Des archipels, comme les Tuamotu, les lIes-sous-le-Vent, les Australes, les Marquises n'ont encore fourni aucun prêtre à leur Eglise locale. Avant d'éclairer par divers témoignages cette grave question, qui est pour tous une épreuve et une interrogation, retraçons les étapes des essais successifs de séminaires en Polynésie.
Dès 1839, Monsieur Urbain ouvre le petit collège destiné « à préparer les élèves du sanctuaire » à Anaotiki (île d'Aukena) aux Gambier. En 1851, Monsieur Henry apporte son concours à cette école apostolique. En 1869, le petit séminaire, suite aux épreuves de Mangareva, est transféré à Tahiti ; il s'implante d'abord dans la vallée de la Mission avant d'ouvrir, en 1871, à Pamatai. Mgr Tepano Jaussen, découragé par les épreuves, déçu par le comportement de l'abbé Tryphon et l'absence de persévérance, ferme le séminaire de Pamatai le 30 mai 1874. Mgr Verdier demande au P. Nicolas Blanc qui avait déjà en charge le séminaire de Mangareva, d'ouvrir une « école apostolique » en 1890 à Varari (île de Moorea). Surtout faute d'envoi de pères formés par le Supérieur Général de la Congrégation des Sacrés-Cœurs - il ne reste que sept missionnaires valides dans tout le Vicariat de Tahiti à cette époque - Mgr Verdier, la mort dans l'âme, se voit contraint d'arrêter ce second essai de séminaire en janvier 1897.
Il faut attendre le 27 mars 1940 pour voir Mgr Mazé lancer le troisième séminaire avec le P. Chesneau à l'évêché. En novembre 1951, le P. Jean-Louis Ledoux ouvre le petit séminaire à Miti-Rapa ; le séminaire Sainte-Thérèse sera transféré à Taravao, dans l'ancien foyer des Filles de Jésus-Sauveur, en 1981. Le 12 janvier 1976, le P. Hubert Coppenrath ouvre l'école des diacres permanents. Pour les séminaristes qui suivent des formations professionnelles ou des études de second cycle, le séminaire Jean XXIII, confié aux pères Oblats de Marie Immaculée, ouvre en septembre 1979. En janvier 1983, l'École Théologique commence ses actions de formation au service des divers ministères.
Ces divers essais montrent l'enracinement des séminaires dans les origines de la mission à Mangareva par la volonté de Mgr Rouchouze et l'aide active de deux universitaires, laïcs missionnaires : Messieurs Urbain et Henry. La persévérance a été évidente pour développer un « clergé indigène », selon l'expression de cette époque des missions. A-t-elle été suffisante ? A-t-elle été adaptée ? Divers témoignages nous permettent d'y réfléchir. Il faut constater une grave interruption de 43 ans (1897-1940) ; elle correspond à l'époque des retombées de l'affaire Collette et à la crise majeure des luttes anti-religieuses où Mgr Verdier s'efforça de sauver l'essentiel de la mission catholique. C'est aussi le moment des épiscopats de « maintenance » et sans grands projets de NN.SS. Hermel et Nouailles. Les Établissements français de l'Océanie ne se relèvent pas encore d'une chute démographique vertigineuse, à peine stoppée.
Ecoutons d'abord Mgr Paul Mazé qui a relancé les séminaires en 1940. L'interruption de son voyage « ad limina » en septembre 1939 à Hawaii, lui permet de visiter d'autres missions d'Océanie, maristes en particulier ; il s'interroge et il interroge la congrégation des Pères des Sacrés-Cœurs[14]. « L'occasion était bonne pour examiner soigneusement ce que font les autres. Les Maristes sont arrivés un peu après nous... Le Vicariat de Fidji a environ 17 000 catholiques sur 200 000 habitants. C'est peu pour vous. Ce n'est pas mal du tout quand on considère les difficultés. Mais ce qui doit gonfler le cœur des maristes d'espérance, c'est leur admirable organisation, rendue possible par leur nombreux personnel :
- une soixantaine de prêtres,
- une centaine de religieuses européennes,
- une centaine de sœurs indigènes,
- une quarantaine de frères indigènes,
- sept grands séminaristes et 48 petits séminaristes.
Presque tous les missionnaires ont de petits côtres ; ils sont presque tous deux par deux... Les îles sont relativement rapprochées... Le Gouvernement Impérial anglais se montre à l'égard de leurs écoles - tenues souvent par des français - d'une générosité qui suffoquerait nos purs laïques de France... (Suva, 18 octobre 1939).
« Dans votre dernière lettre, vous me faites remarquer que nous ne sommes pas maristes ; et dès lors nous n'avons pas à leur emprunter tout ce qu'ils font. Ceci est certainement juste. Mais, néanmoins, il faut reconnaître qu'ils peuvent nous servir de modèles en bien des points... En ce qui concerne le clergé indigène, ils sont certainement nos devanciers. Ainsi, ce qu'ils obtiennent avec des éléments maoris, somme toute identiques à ceux que nous avons, est pour nous un stimulant. Et on va commencer. Après tout, on ne fait qu'obéir au Saint-Siège et j'aime à croire que le Sacré-Cœur de Jésus bénira nos efforts... (29 novembre 1939) ».
En 1931, le P. Vincent-Ferrier Janeau, en poste à Mangareva et un des meilleurs connaisseurs de l'histoire de la mission catholique, écrit au Supérieur Général sur les vocations[15]. « Quand je lis “Missions Catholiques”, j'ai vraiment honte de voir que nous n'avons pas d'établissement pour élèves ecclésiastiques, alors que ce serait possible. J'ai connu trois élèves du P. Nicolas (Blanc), condisciples de l'abbé Tryphon qui seul fut prêtre. Ils ont été de braves gens, chefs et interprètes ; ils ont rendu bien des services à la Mission et à l'administration. Si nous les avions aujourd'hui, ils nous seraient bien utiles, ne serait-ce que comme instituteurs. Le Gouvernement lui-même a récompensé le P. Nicolas en lui donnant 2 000 F pour les bons interprètes qu'il avait formés.
Mangareva a eu ses sœurs et son prêtre. Tahiti fournit quelques sœurs. Serait-il imposible d'avoir aussi des prêtres avec les précautions qu'on pourrait prendre ?... Si nous abordons l'article des mœurs, nous avons à rougir nous-mêmes des défections de Papeete[16] ; des prêtres indigènes n'eûssent pas fait pire, car la bonhommie indigène n'eût pas eu l'opiniâtreté que nous connaissons... Ils s'oublient parfois et le Bon Dieu, comme nous-mêmes, eûssions passé l'éponge là-dessus et c'est tout. La base qui manque c'est l'instruction. Que n'avons-nous une maison pour instruire les jeunes gens qui viennent dans ce cas ? »
Dans sa lettre du 13 mars 1940, Mgr Mazé écrit au P. Ildefonse AIazard : « vous voulez bien me faire part de votre sentiment intime : “on n'a peut-être pas fait tout ce qu'on aurait pu chez nous”. Cette phrase traduit parfaitement bien ma pensée personnelle et m'a consolé en me montrant que je ne suis pas le seul de mon avis. D'ailleurs autour de moi plusieurs pensent de même. Dès lors vous ne serez pas étonné que j'essaye de réaliser ce que je juge raisonnable. Au fond, partant pour Rome, j'espérais y recevoir un ordre formel de faire un essai loyal. Je n'ai pas pu atteindre Rome. Mais en lisant les encycliques de Benoît XV et de Pie XI sur la question, l'ordre de Rome à tous les Vicaires Apostoliques du monde entier m'a paru assez formel, volonté authentique de Dieu... Parmi les missionnaires, il y a, comme toujours, divergence de vue ; les uns approuvent simplement, d'autres trouvent que c'est prématuré.
Parmi la population, les vieilles familles approuvent hautement... Mes deux quêteuses... sont ravies du bon accueil… étonnées de voir la docilité avec laquelle certains, qu'elles auraient jugé presque mécréants, promettent une bonne prière pour le séminaire tahitien. Grâce à elles, le tiers de nos dépenses a été couvert... J'ai fait venir le P. Joseph Chesneau de Raiatea... Je n'ai que des vieillards. Jamais Tahiti ne fut aussi réduit en personnel. »
Ces trois lettres nous font bien sentir les difficultés propres à la Mission et aux pères des Sacré-Cœurs, spécialement le manque de personnel qualifié que le Supérieur Général n'a pas envoyé à temps ; elles soulignent les incidences de la lutte anti-religieuse. Les difficultés de la mentalité maohi par rapport à l’engagement chrétien, déjà vues pour le mariage, sont suggérées. Nous reviendrons sur ces facteurs. En 1958, après l'ordination de Michel et d'Hubert Coppenrath et avant leur retour, le P. Coquin écrivait : « Il y a beaucoup d'avenir à Tahiti pour les vocations : 4 grands séminaristes à Nouméa, 16 à 17 petits à Miiti-Rapa, quelques filles entrées chez les sœurs et quelques garçons chez les frères. »[17] Toutes ces promesses de printemps ne donneront pas si aisément des fruits et les « ouvriers sont toujours peu nombreux pour la moisson », même si l'espérance est en marche.
Après avoir vu le réveil de l'espérance sur les vocations locales depuis 45 ans à partir d'une sorte de « revision apostolique » courageuse prise à bras-le-corps par Mgr Paul Mazé, efforçons-nous de comprendre pourquoi les essais initiaux n'ont pas abouti, à la seule exception, un peu décevante, de l'abbé Tryphon.
Dix ans après la fondation de l'école apostolique d'Aukena, le P. Nicolas Blanc écrit, en 1849 et 1850, à Mgr Tepano Jaussen :[18]
« Il convient de mieux organiser Mangareva... Avec l'école, en 10 à 15 ans avec un homme capable, on peut vous présenter des sujets propres aux Ordres... L'endroit le plus propre à cela et pour qu'ils puissent se suffire c'est Rouru... On formerait en même temps des novices pour Picpus et des prêtres pour le diocèse (30 octobre 1849). »
« Le P. Cyprien regarde comme une chimère de vouloir former des prêtres à Mangareva ; je ne suis pas de cet avis. Il voudrait qu'on les forme à Tahiti au milieu de la corruption et du grand monde pour éprouver leur persévérance. Mais, s'il y a du bon à cela, le Concile de Trente demande aussi des maisons de retraite pour préparer au sacerdoce... Une école ici n'empêche pas d'en faire une à Tahiti... Il vaut mieux commencer avec les enfants...
Les jeunes gens que vous avez appelés à l'école ont abandonné ; les uns pensaient qu'on peut devenir savant sans rien faire, d'autres ne voulaient plus du travail des mains, d'autres manquaient de fermeté. La famille et le contact avec les gens du dehors n'a rien arrangé... (8 février 1850). »
« M. Henry dit que les enfants ici promettent beaucoup... Ils commencent le latin. Les difficultés viendront du côté des mœurs et du caractère... (27 mai 1851). »
En 1860, le P. Nicolas devant tout faire seul, « demandait deux aides, au Supérieur Général. Si je devais être longtemps seul, notre œuvre pourrait se ressentir de ce manque d'aides et tomber faute de monde suffisant ».
M. Henry Mayne qui a consacré sa vie, avec M. Urbain, au service de l'éducation des Mangaréviens, écrit à Mgr Tepano Jaussen en 1851 et en 1864 sur cette espérance de vocations[19].
« Si le tableau (scolaire) n'est pas séduisant, cependant tous les jours je conçois les plus fortes espérances pour l'avenir de ces enfants, tous les jours je me confirme davantage dans l'opinion qu'ils sont aptes à acquérir les connaissances nécessaires à l'état ecclésiastique (14 mai 1851) ».
« Le but que votre Grandeur s'est proposée en fondant cette école, ne me paraît pas impossible à atteindre. De tous les élèves qui étudieront le latin, peu probablement parviendront au sacerdoce ; mais ceux qui resteront en deçà de ce but que nous devons viser, pourront faire des instituteurs ou d'excellents catéchistes... (30 mai 1851) ».
« Je suis extrêmement satisfait de la conduite de mes petits écoliers... Maintenant y a-t-il chez eux l'étoffe pour faire des prêtres ? Je n'oserais l'affirmer et même je n'ose guère l'espérer ; l'avenir en décidera... (1864). » Nous savons la réponse.
Voici ce qu'écrit au Supérieur Général de la Congrégation des Sacrés-Cœurs Mgr Tepano Jaussen sur la fermeture du séminaire[20].
« Les élèves du Séminaire (de Pamatai) nous ont abandonnés. Ils m'ont déclaré franchement ne pas se sentir la vertu nécessaire pour faire des prêtres. Ce fait a été pour moi une grande déception. C'est aussi un indice que Gambier n'a pas gagné et ne gagnera pas avec nos compatriotes. Je renonce complètement à un nouvel essai. »
Rappelons-nous, pour saisir ce découragement, les oppositions terribles de ces années 1871 ; Mgr Jaussen avait supplié que les missionnaires des Sacrés-Cœurs abandonnent une mission si difficile et si persécutée. Revenant sur « les difficultés invincibles de la Mission de Tahiti », Mgr Tepano écrit au Supérieur Général dans une lettre particulièrement grave : « Ce qui manque le plus en ce Vicariat et qui tend le plus à y disparaître, c'est ce que le prêtre vient y chercher : l'homme. Cette superficie n'a pas plus de 30 000 âmes... Nous avons renoncé, après expérience, à former un clergé indigène. »[21]
Mgr Verdier relancera le séminaire comme « école apostolique » à Varari de 1890 à 1897 « dans le but de former le clergé indigène et de bons catéchistes ». Lui et le P. Eich ne cesseront de réclamer, au Supérieur Général, mais en vain, du personnel missionnaire formé. L'un et l'autre seront sévères sur la politique de la congrégation, infidèle aux dernières volontés de son fondateur : le T.R.P. Coudrin ; elle n'envoyait à Tahiti que du « personnel au rebut » après avoir pourvu les collèges et le Chili.[22]
Le contexte du temps avec la laïcisation des écoles tenues par les frères de Ploërmel à Papeete et à Mataiea (1882 et 1887), les difficultés pour lancer l'école libre sur le terrain de la Mission à Papeete, ne permirent pas à cette école catholique de jouer pleinement le rôle actif espéré dans ce domaine primordial des vocations. NN. SS. Jaussen et Verdier s'en plaignent parfois amèrement ; ce qui crée un certain malaise entre les frères et la Mission[23]. De leur coté et à leur point de vue, les frères de Ploërmel sont bien conscients du fait que « jusqu'à une période récente, Tahiti n'a donné ni prêtre ni religieux à l'Eglise... Que de difficultés : absence de consentement des parents, la séparation de la famille, le séjour dans un pays lointain, les situations irrégulières, les religions différentes »[24]. Le premier frère de Ploërmel d'origine locale est le frère Maxime Chiu en 1958.
En retraçant l'histoire des Gambier nous avons vu le lancement de la « communauté des Sacrés-Cœurs » au couvent de Rouru. L'épanouissement des vocations de religieuses, difficile aussi, a été plus fructueux. Dès 1851, Mgr Jaussen y autorise des vœux temporaires pour une durée de trois mois ; ils deviendront annuels en 1860. L'absence des religieuses expérimentées et désirées dès le début empêche le développement et la structuration de cette première congrégation religieuse locale ; c'était un essai original et prometteur. La reprise tentée par les sœurs de Cluny en octobre 1892, arrive trop tard. Après toutes les épreuves des Gambier, il ne reste que quelques survivantes âgées du couvent de Rouru. Après la fermeture de leur école par le gouverneur en 1905, les sœurs de Saint-Joseph de Cluny quittent Mangareva en 1909. Il faudra attendre 1962 pour que Mgr Mazé relance la vie religieuse féminine locale par la fondation des Filles de Jésus-Sauveur avec l'aide des sœurs Missionnaires de Notre-Dame des Anges.
Depuis leur arrivée jusqu'à la période actuelle (1982) qui sera étudiée au chapitre XX, les sœurs de Saint-Joseph de Cluny ont eu vingt vocations religieuses locales.
C'est donc un bilan fort modeste que la Mission catholique présente pour ses 150 premières années en ce qui concerne les vocations locales. Depuis 1970 un heureux réveil se manifeste. Les événements rapportés et les témoignages cités laissent entrevoir des causes multiples ; à titre de suggestions pour une recherche plus approfondie, nous pouvons les regrouper en trois principales sources convergentes qui ont abouti à stériliser les germes de vocations, principalement chez les garçons durant cette période de 1834 à 1950.
D'abord divers facteurs extérieurs à l'Église catholique ont eu un effet négatif Les tracasseries administratives, les variations d'attitude des autorités, la lutte anti-religieuse, les préjugés profonds contre les « papistes », ont découragé un certain nombre de maohi qui ne comprenaient pas la violence de ces conflits entre européens et français venus les « civiliser ». L'attrait des « bonnes places » dans l'administration et les « convoitises » de la société de consommation ne sont pas négligeables non plus. N'oublions pas la dispersion géographique et la petitesse d'une population inférieure à 30 000 personnes jusqu'en 1925. Les catholiques n'étaient que quelques milliers, principalement aux Gambier, aux Tuamotu et aux Marquises.
Ensuite la mentalité polynésienne présente des aspects qui lui rendent plus difficiles l'engagement définitif dans les vocations religieuses et les ministères ordonnés exigeant le célibat consacré. L'amoralisme sexuel, la difficulté de prononcer un « oui » qui engage et qui dure, la priorité accordée à ce qui est affectif et émotionnel dont les entrailles sont le centre et le symbole, l'immersion dans l'instant présent à cueillir, autant de points qui demandent réflexion pour faire mûrir les vocations. L'inexistence de solides familles chrétiennes jusqu'à un passé récent, le peu d'éducation sérieuse des garçons, assez rapidement petits sauvageons spontanés vivant en bande, une certaine fierté ambitieuse, attirée par la réussite sociale et financière, autant d'éléments qui ne favorisent pas de suivre le Christ en abandonnant tout le reste.
Enfin il faut souligner les difficultés venant de l'Église elle-même, de ses prêtres et religieux. Elles ne sont pas négligeables. Un certain « jansénisme moral », dénoncé par Mgr Verdier, un style de vie austère, un travail incessant et minuté ont souvent fait dire aux Polynésiens : « Cela n'est pas pour nous. » Le dénigrement des « jésuites à robe noire », le caractère malcommode et l'aspect souvent malpropre de la soutane des missionnaires dans ce climat éprouvant et vis-à-vis d'une population soignée, ont éloigné des jeunes et rebuté des familles. L'étrangeté liturgique, malgré les efforts d'adaptation dès l'origine, certaines querelles et raideurs entre missionnaires, le caractère exclusivement « popaa » (blanc) des missionnaires, le manque de réflexion approfondie sur les divers ministères et l'ignorance de l'expérience missionnaire d'autres régions à cause du terrible isolement océanien, autant de facteurs propres à l'Église qui n'ont pas facilité l'éclosion des vocations consacrées. Avec Mgr Mazé, il convient de rappeler surtout le manque de confiance trop général des prêtres et des religieux dans les vocations polynésiennes ainsi que l'absence de sensibilisation du peuple chrétien à cette réalité première pour l'implantation de l'Église locale. Missionnaires et familles s'imaginaient que la Providence y pourvoierait indéfiniment par les congrégations religieuses venues d'ailleurs. Cette conception d'une Église assistée et assistante, le manque de persévérance dans les projets, l'absence de personnel compétent en ce domaine malgré les appels de la Mission sont, malheureusement, de la responsabilité propre de l'Église en Polynésie.
Bien évidemment, il ne s'agit pas d'accusation et encore moins de « cracher dans la soupe » de ceux et celles qui nous ont précédé. Ils ont planté l'Église dont nous vivons au prix de leur vie ; mépriser ses vieux parents n'est un signe ni d'intelligence ni de cœur. Ces pistes de réflexion sur les vocations nous montrent la complexité et les difficultés de l'évangélisation en Église à Tahiti, carrefour de multiples contradictions, à l'image de la Corinthe du temps de saint Paul. Cet ouvrage se propose d'abord une « révision de vie, une révision apostolique ». La délicate question des vocations sacerdotales et religieuses, par son caractère essentiel pour construire une Église locale avec son visage particulier, nous a amené à le faire grâce au témoignage des principaux acteurs de la pastorale missionnaire à Tahiti.
[14] Mgr MAZÉ à I. ALAZARD (18-10-1939, Suva ; 29-12-1939 et 13-3-1940, Papeete), Ar. SS.CC. 59,1.
[15] V.F. JANEAU au T.R.P. (21-11-1931), Ar. SS.CC. 70,2.
[16] V.F. JANEAU fait allusion aux deux défections encore récentes du P. Alain JOUETTE et du Fr. Michel IZAL, qui avaient fondé famille sur place. Les missionnaires en étaient d'autant plus marqués que ce sont les deux seuls cas en 150 ans. Les 13 autres qui ont quitté la congrégation des Sacrés-Cœurs ont aussi quitté l'Océanie.
[17] A. COQUIN au T.R.P. (11-6·1958), Ar. SS.Cc. 61,3.
[18] N. BLANC à Mgr JAUSSEN (30-10-1849 ; 8-2-1850 ; 27-5-1851) ; 27-3-1860 au T.R.P., Ar. SS.CC. 60,2.
[19] H. MAYNE à Mgr JAUSSEN (14-5-1851 ; 30-5-1851 ; 1864 [?]), Ar. SS.CC. 64,1.
[20] Mgr T. JAUSSEN au T.R.P. (3-6-1873). Ar. SS.CC. 58, 1 (lettre 4 jours après la fermeture).
[21] Mgr JAUSSEN au T.R.P. (7-10-1885). Ar. SS.CC. 58, 1 - Voir aussi Annexes VlII et IX.
[22] Mgr VERDIER au T.R.P. (27-2-1894 ; 8-9-1894), Ar. SS.CC. 58,2 - G. EICH au T.R.P. (10-4-1899). Ar. SS.CC. 60,2.
[23] Mgr JAUSSEN au T.R.P. (10-3-1882 ; 4-3-1883), Ar. SS.CC. 58,1 - Mgr VERDIER au T.R.P. (18-4-1884), Ar. SS.CC. 58,2.
[24] C.E. RULON : Centenaire des Ecoles des F.I.C. à Tahiti, manuscrit pp.142-143.