Tahiti 1834-1984 - Chap. VIII

 

DEUXIÈME PARTIE

L'APPEL DES ÎLES LOINTAINES

 

 [pp.109-228]

 


 

Chapitre 8

Mission catholique en Océanie Orientale et à Tahiti

[pp.161-187]

 

Nous venons de situer l'environnement géographique et historique, le contexte culturel et religieux de l'Église en Polynésie. Avant de pénétrer à l'intérieur de l'édifice pour en découvrir le style et y vivre avec les chrétiens rassemblés - ce qui est l'objet des parties III et IV - les chapitres qui suivent se proposent de dégager les principales étapes de la construction depuis les premières prospections et fondations. L'annexe III fournit un tableau chronologique par archipel des « événements-fondateurs », petits et grands[1]. Il convient de s'y reporter.

Par souci de clarté, il est possible de les regarder en deux grands ensembles :

- les étapes générales de l'évangélisation, rythmées principalement par la personnalité des Vicaires Apostoliques et commandées par le développement accéléré de Tahiti (chapitre VIII) ;

- le rayonnement progressif de l'Église Catholique dans les divers archipels (chapitre IX).

 


[1] La chronologie est surtout fondée sur les importantes archives des Pères des SS.CC. de Rome, classées et répertoriées par le R.P. Amerigo Cools, archiviste général. Il y a environ 8 mètres linéaires de manuscrits originaux et documents photographiques ainsi que 78 cartons de lettres et rapports sur l'Océanie orientale : Tahiti 19, Marquises 14, Gambier 11, Tuamotu 4, Hawaii 18, Cook 5, Pâques 4, Océanie orientale 3. Avec les autres dossiers qui recoupent le Pacifique, cela représente une documentation exceptionnelle d'environ 50 000 pages manuscrites. Tous les documents cités dans cet ouvrage se trouvent aux archives de l'Archevêché de Papeete soit en photocopies, soit en résumés de lecture.

 

 

Fondation de l'Eglise en Océanie Orientale

 

Humbles essais (1595-1775)

Il serait injuste de ne pas saluer les modestes essais des missionnaires franciscains espagnols, même si leur entreprise réalisée dans la survivance d'un style dépassé, a échoué par manque de préparation, de hardiesse et surtout de persévérance. Nous sommes d'autant moins fondés à leur jeter la pierre que l'expérience de la L.M.S. nous a montré l'extrême difficulté de l'entreprise. Ces passages ne préparaient-ils pas providentiellement l'action discrète et décisive du franciscain André Caro qui accueillera et formera la première équipe des Picpuciens en 1834 à Valparaiso ?

S'il est difficile de donner un caractère missionnaire au passage par trop belliqueux de Mendana à Vaitahu (Marquises) du 27 juillet au 5 août 1595, par contre il n'est pas douteux que l'expédition de Quiros (1605-1606) était avant tout une œuvre d'évangélisation de la « Terre Australe ». La croix plantée à Hao le 10 février 1606 le fut dans cet esprit, de même que l'appellation de « Terra Australia del Espiritu Santo » donné à ce qu'il croyait être le bord septentrional du Continent Austral, à l'île actuelle de Santo au Vanuatu[2].

Cette magnifique entreprise apostolique, fruit de l'Année Sainte de 1600, ne fut qu'un rêve grandiose sans lendemains. Il faut près de deux siècles et la découverte de Tahiti par Wallis, Bougainville et Cook, de 1767 à 1769, pour que l'Espagne retrouve sa vocation missionnaire en Océanie. Don Manuel de Amat, Vice-Roi du Pérou, envoie en exploration en Polynésie le capitaine basque Domingo de Boenechea à bord de l'« Aguila » basé à Callao. Il touche Tahiti à Tautira le 19 novembre 1772. Sur son rapport favorable et celui des franciscains qui l'accompagnent : Juan Bonamo et José Amich, une tentative d'implantation sérieuse est mise sur pied. Le 27 novembre 1774, Boenechea est de retour à Tautira avec les P. franciscains Geronimo Clota, Narciso Gonzalez aidés de l'interprète Mâximo Rodriguez et du matelot François Pérez. Ils arrivent avec deux tahitiens, embarqués au premier voyage de 1772 et formés au Pérou : Thomas Pautu et Manuel Tetuanui ; les missionnaires comptent sur ces néophytes pour prendre contact avec la population.

Après un mois de travail pour monter la maison préfabriquée apportée par l’« Aguila » et clôturer le terrain offert par le chef Vehiatua, les missionnaires débarquent le 31 décembre. Le 1er janvier 1775 ils célèbrent la première messe au pied de la grande croix où est inscrit : « Christus vincit ; Carolus III imperat : 1774 ». Le capitaine Boenechea meurt le 26 janvier ; il est enterré au pied de la croix. Le navire repart le 1er février. Restés seuls, les difficultés assaillent les deux franciscains plus habitués à la régularité de la vie conventuelle qu'aux imprévus terribles de la vie missionnaire en pays neuf. Le sans-gêne et la débauche des Tahitiens, l'abandon rapide des deux néophytes, la grossièreté frustre du marin Pérez, l'indépendance de Rodriguez de plus en plus hostile aux deux franciscains, tout cela, additionné à leur impréparation, fait qu'ils prennent peur pour leur vie même. Leur incompréhension des Tahitiens est totale. Ils demandent à être rapatriés lors du passage de l'« Aguila » le 30 octobre 1775. Le 12 novembre, ce premier essai missionnaire catholique à Tahiti se termine par un abandon aussi regrettable que compréhensible. Bien d'autres, protestants comme catholiques, feront l'expérience des difficultés insoupçonnées de l'évangélisation à Tahiti et en Océanie.

 


 

[2] L. JORE : Océan Pacifique. T. I, pp. 67-68. - D. MAUER: Aimer Tahiti, p. I 17.
- Mémorial polynésien. T. I, pp. 48-57, etc.
- O'REILLY : Tahitiens, art. Clota, Gonzâles, Rodriguez.

Grains de blé jetés en mer (1825-1848)

C'est le 15 juillet 1825 que le « Bon Père » Marie-Joseph Coudrin, fondateur et Supérieur Général de la Congrégation des Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie - dite de Picpus ou Picpuciens - donne corps à sa « saisie » missionnaire de l'automne 1792. La clandestinité de la Révolution et de l'Empire était terminée. Sans doute la reconnaissance civile se fait attendre ; mais l'authentification par l'Église est désormais acquise depuis 1817 et le P. Coudrin a porté lui-même le texte définitif des Constitutions et Statuts au Saint-Siège en 1825. Alors pourquoi attendre davantage pour « avancer au large et y jeter les filets » ? Le 10 septembre, en réponse à la demande déposée le 15 juillet 1825, le Pape offre de commencer la Mission aux îles Sandwich (Hawaii). C'est accepté le 6 octobre. Le 12 novembre le P. Coudrin propose A. Bachelot comme Préfet Apostolique. Le 27 novembre, « Propaganda Fide » crée la Préfecture Apostolique des îles Sandwich ; Alexis Bachelot est nommé Préfet Apostolique le 3 décembre et le Nonce à Paris remet personnellement au P. Coudrin tous les documents correspondants le 1er février 1826. Les pouvoirs spirituels les plus larges étaient accordés aux « missionnaires apostoliques »[3]. Dans une lettre-circulaire à sa congrégation, le fondateur exprimait sa grande joie « d'aller porter le flambeau de la foi aux habitants des îles Sandwich... et ainsi d'imiter plus parfaitement la vie évangélique de notre divin Sauveur. Nous commençons l'œuvre importante des Missions étrangères, l'une des principales fins de notre Institut et qui nous a été recommandée spécialement par le Successeur de Pierre ».

Les longues démarches pour obtenir le passage sur un navire allant à Hawaii, les multiples préparatifs à faire dans la discrétion pour ne pas effaroucher les anglais demandent une année. Enfin, le 21 novembre 1826, sur le trois-mâts bordelais « La Comète », les P. Alexis Bachelot (30 ans), Préfet Apostolique et supérieur religieux, Abraham Armand (50 ans), et Patrice Short (irlandais de 34 ans), s'embarquent pour le Pacifique. Après une escale à Valparaiso du 8 au 24 février 1827, ils arrivent à l'île d'Oahu le 7 juillet et débarquent le 13. La mission progresse rapidement, les premiers baptêmes ont lieu le 2 février 1829. Après une année ils commencent à prêcher en langue hawaïenne. Enjuin 1829, Alexis Bachelot donne les premières confirmations. Ce succès déplaît fortement au Révérend Bingham et aux missionnaires de l'American Board ofCommissioners for Foreign Missions américains. La persécution contre les catholiques commence en août 1829; elle sera parfois violente et fera un certain nombre de victimes. Elle durera jusqu'au 17 juillet 1839, jour où la liberté de conscience et de culte sera promulguée par le traité signé entre le capitaine Laplace et les autorités d'Hawaii[4].

Les missionnaires sont expulsés le 24 décembre 1831 ; ils sont recueillis en Californie le 25 janvier 1832 à la mission Saint-Gabriel. Le P. Armand et le Fr. Boissier avaient déjà quitté Honolulu en 1829. Les Fr. Bondu et Portal ne sont pas inclus dans l'ordre d'expulsion. Seul Fr. Bondu reste sur place ; L. Portal avait reçu mission de rentrer en France par la première occasion (15-12-1831).

Pendant ce temps, l'organisation missionnaire catholique s'était modifiée en raison de l'interférence de l'abbé de Solages, Préfet Apostolique de l'île Bourbon (La Réunion) depuis le 17 août 1829. Ce prêtre diocésain d'Albi nourrit de « grands desseins missionnaires ». Il est lié au capitaine irlandais Peter Dillon, grand connaisseur du Pacifique et bien introduit auprès du Gouvernement français depuis qu'il a retrouvé les restes de l'expédition de La Pérouse à Vanikoro. Ses multiples tractations à Paris et à Rome compliquent la situation des Missions dans le Pacifique ; il veut faire de La Réunion le centre missionnaire unique pour les Océans Indien et Pacifique. Aussi Rome crée le 10 janvier 1830 la Préfecture Apostolique de l'Océanie Orientale, théoriquement sous la juridiction de l'abbé de Solages et pratiquement confiée aux P. des Sacrés-Cœurs. Devant l'impossibilité d'une telle gestion, le Vicariat Apostolique d'Océanie est érigé le 3 juin 1833 et confié à la Congrégation des Sacrés-Cœurs. Le 8 décembre 1832, l'abbé de Solages meurt héroïquement à Madagascar[5].

Ce Vicariat représente un triangle dont les pointes sont Hawaii, l'île de Pâques et le groupe Nord des îles Cook (Roggewein). Le 14 juillet 1833, le P. Etienne Rouchouze (35 ans), proposé par le P. Coudrin depuis le 31 août 1832, est élu comme évêque titulaire de Nilopolis et premier Vicaire Apostolique. Le 22 décembre, il est sacré à Rome, en l'église de la Trinité-des-Monts par le cardinal Pedecini, Préfet de « Propaganda Fide ». Désormais, après huit années de recherches et d'essais variés, la Mission catholique en Océanie a trouvé sa structure ecclésiale, son équipe missionnaire et son évêque, libre à l'égard des pouvoirs politiques et dépendant directement de Rome[6]. L'Océanie Occidentale, confiée aux P. Maristes, sous la direction de Mgr Pompallier, est érigée en Vicariat Apostolique le 10 janvier 1836. La première équipe mariste, avec Pierre Chanel, passe à Mangareva le 13 septembre 1837.

Mgr Rouchouze a une vue ample et prospective de sa Mission. Il y envoie dès le 22 novembre 1833 les P. François d'Assise Caret, Honoré Laval, Chrysostome Liausu - désigné Préfet Apostolique sous l'autorité de Mgr Rouchouze - et le Fr. Columban Murphy. Partis de Bordeaux sur le « Sylphide », ils arrivent à Valparaiso le 13 mai 1834. Ils ont la bonne fortune d'être pris en charge par le P. André Caro, franciscain et ancien Préfet Apostolique dans les Andes. Celui-ci les aide et les forme de toutes manières jusqu'à leur départ pour les Gambier, le 16 juillet, à bord du « Peruviana », commandé par le Capitaine Sweetland. Ce choix a été fait pour éviter tout heurt avec les « méthodistes anglais », Le P. Liausu reste à Valparaiso.

Ils arrivent dans le lagon des Gambier le 7 août 1834. Après un premier contact difficile à Mangareva, ils célèbrent la première messe à bord du bateau le dimanche 10 août, fête du diacre Laurent. Ayant trouvé une cabane et un terrain à Akamaru, ils descendent à terre et y célèbrent, le 15 août, leur première Eucharistie sur une île.

Pendant ce temps, le Vicaire Apostolique s'est rendu en Angleterre pour avoir une meilleure connaissance de sa Mission du point de vue anglais et protestant ; le résultat n'est guère encourageant. Il s'occupe de tout ce qui est indispensable pour la vie de son vicariat. Il quitte Le Havre sur la « Delphine » le 29 octobre 1834 avec les P. Maigret, Cyprien Liausu, Frédéric Pagès et les Fr. Gilbert Soulié, Fabien Costes et le « catéchiste » Urbain, vicomte de la Tour de Clamouze. L'escale d'un mois et demi à Valparaiso lui permet de nombreux contacts utiles. Enfin il arrive aux Gambier le 9 mai 1835. L'évangélisation est déjà très avancée : « Ce que Dieu fait ici tient du prodige », constate l'évêque. Les missionnaires avaient attendu son arrivée pour célébrer les baptêmes. Le roi Maputeoa est baptisé le 25 août 1836. Le 24 octobre, Mgr Rouchouze bénit la première pierre de l'église Saint-Raphaël d'Aukena, première église en pierre de l'Océanie, bâtie par les Frères des Sacrés-Cœurs.

Nous avons déjà signalé (chapitre I, communications) que le Vicaire Apostolique a une vive conscience de l'immensité du territoire qui lui est confié, des difficultés des communications, de la nécessité de saisir les occasions. En novembre 1836, en réponse aux appels de certains chefs et du Fr. Columban Murphy, il envoie les P. Caret et Laval faire un essai à Tahiti. Nous en savons les conséquences en raison de l'ostracisme de Georges Pritchard.

Préoccupé de l'aggravation de la persécution à Hawaii, il ordonne prêtre secrètement le 15 septembre 1837 le Fr. Murphy qu'il a déjà envoyé en mission exploratoire à Tahiti et à Honolulu en 1835. En octobre 1836, le capitaine Vaillant sur la « Bonite » découvre les expulsions des P. Bachelot et Short datant de 1831. Le capitaine, accompagné du consul anglais Charlton, fait des représentations au roi Kaméhaméha. En octobre 1836, le navire anglais « Actæon » commandé par Lord E. Russell, puis en juillet 1837 le « Sulphur » aux ordres de Belcher et la « Vénus » de Dupetit-Thouars arrivent à Honolulu et exigent les explications du Révérend Bingham, instigateur des expulsions et des persécutions. Le nouvel essai des P. Bachelot et Short le 18 avril 1837, l'arrivée des P. Maigret et Murphy le 2 novembre ne sont pas meilleurs. Si Short et Murphy, comme citoyens britanniques, sont protégés par le consul britannique Charlton et tolérés par le Roi, Bingham fait détenir le P. Bachelot. Le 23 novembre, les PP. Maigret et Bachelot quittent Honolulu ; le P. Alexis Bachelot, premier Préfet Apostolique, meurt en mer le 5 décembre et est enterré dans l'île de Naha (Ascension) le 14 décembre.

La liberté de culte ayant été accordée aux catholiques le 13 juillet 1839, Mgr Rouchouze se rend à Honolulu le 13 mai 1840 avec le P. Maigret, nommé Préfet Apostolique des Sandwich le 25 juillet 1839, à bord de la « Clémentine ». À partir de cette époque, la mission catholique, sous la direction du P. Maigret, se développe aux îles Hawaii. Le 18 juillet 1844, les îles Sandwich sont détachées du Vicariat Apostolique d'Océanie Orientale ; elles deviennent un Vicariat Apostolique indépendant, dont Mgr Maigret fut le premier titulaire en 1847.

Selon les directives de Mgr E. Rouchouze, le P. Chrysostome Liausu, Préfet Apostolique en résidence à Valparaiso, profite du passage de Dupetit-Thouars sur la « Vénus » et de la demande du Consul de France à Valparaiso, pour envoyer les P. Dosithée Desvault et Louis de Gonzague Borgella, accompagnés du Fr. Nil Laval, à Vaitahu aux Marquises ; ils y arrivèrent le 4 août 1838. Dès le mois de février 1839, Mgr Rouchouze en personne s'y rend avec six nouveaux missionnaires ; ils renforcent l'équipe de Vaitahu et fondent la mission à Taiohae.

Le 23 mai 1840, le P. Caret est nommé Préfet Apostolique du secteur Sud du Vicariat. Au même moment Mgr Rouchouze part relancer la mission de Hawaii ; il y reste six mois avant de s'embarquer vers l'Europe pour y faire le point et chercher du renfort. À cette époque, l'immense Vicariat Apostolique de l'Océanie Orientale est organisé de la façon suivante : sous l'autorité épiscopale du Vicaire Apostolique, Etienne Rouchouze, nous avons trois Préfets Apostoliques:

- Chrysostome Liausu, en résidence à Valparaiso, « base arrière » et procure de la Mission ;

- Désiré Maigret, en résidence à Honolulu et chargé des Hawaii ;

- François d'Assise Caret, chargé des Gambier, Marquises, Tahiti.

Le Vicaire Apostolique quitte son territoire le 3 janvier 1841. Il déploie en Europe une intense activité au service de sa mission. Il obtient de Mgr Bonamie, successeur du P. Coudrin décédé en 1837, 25 pères, frères et sœurs pour l'Océanie. Il fait construire un brick-goélette à Saint-Malo, le « Marie-Joseph ». L'équipe missionnaire au complet quitte la Bretagne le 15 décembre 1842. Ils font escale en février 1843 à l'île Sainte-Catherine sur la côte brésilienne. Un navire les aperçoit en mars dans une tempête au large des Malouines (Falkland) où le « Marie-Joseph » disparaît corps et biens. Ce fut le plus grand drame de toute l'histoire de la mission. En 1843, il n'y avait que 18 missionnaires dans la Préfecture Apostolique du P. Caret : 9 aux Marquises, 9 à Tahiti-Gambier. 25 étaient engloutis en mer, dont le Vicaire Apostolique et 10 religieuses qui venaient donner une dimension nouvelle à cette mission, jusqu'alors uniquement masculine. Pour la Congrégation encore naissante des frères et sœurs des Sacrés-Cœurs ce fut une très rude épreuve ; jusqu'à notre époque, un tel effort en personnel missionnaire ne sera plus possible d'un seul coup.

Cette catastrophe maritime, cet anéantissement missionnaire dans la tempête, ne fut pas rapidement connu. Ni la Congrégation des Sacrés-Cœurs, ni « Propaganda Fide » ne purent réagir aussitôt. Or Tahiti est à l'époque du Protectorat français (9-9-1842) et des troubles prolongés qui y firent suite. Les Marquises deviennent colonie française en mai et juin 1842. L'absence prolongée de Vicaire Apostolique, malgré tout le zèle du P. Caret, se fait fortement sentir auprès des autorités.

Croyant bien faire et pour saisir les circonstances, le P. Caret envoie le 9 août 1841, pour fonder la mission de Tahiti, les P. A. Chausson, C. Murphy et le Fr. Nil Laval. Ils sont très mal reçus par J. A. Moerenhout qui avait promis à Pritchard que rien ne se ferait durant son voyage à Londres ; de plus le consul de France à Tahiti s'autorisait d'une promesse de Mgr Rouchouze selon laquelle le Vicaire Apostolique n'envisagerait pas de mission catholique rapide à Tahiti. Les discussions furent aigres pour obtenir le terrain promis en 1839 afin de bâtir une église à Papeete[7]. À la suite de l'intervention de du Bouzet, Pomaré IV accorde le 18 mai 1842 le fameux terrain. La mission fut totalement incendiée le 30 juin 1844 en représailles de la mort du Révérend Mac-Kean. Ce fut une perte irréparable de manuscrits.

Le 3 mars 1843, le Protectorat passe une convention avec la mission concernant le « Clergé colonial » à Tahiti ; un prêtre est accepté à Papeete comme aumônier de la Marine et de la colonie française. Les anglais étaient véhéments et le Gouverneur craignait une guerre de religion[8].

1844 est une année importante dans la situation confuse sur le plan de la Mission catholique et incertaine sur le plan politique. Le 16 mars arrivent à Papeete, les quatre premières sœurs de Saint-Joseph de Cluny, conduites par sœur Régis Fléchel ; elles étaient initialement destinées à la colonie des Marquises, alors trop troublée. Le 16 février, Dupetit-Thouars avait imposé le Protectorat aux Gambier, acte qui sera refusé en juillet par le Ministre ; le P. Cyprien Liausu, contre l'avis des missionnaires[9], était nommé représentant du Gouverneur.

Le 18 juillet, les îles Sandwich sont détachées du Vicariat d'Océanie Orientale. Le 18 juillet, le P. François de Paule Baudichon, missionnaire aux Marquises, est nommé Coadjuteur de Mgr Rouchouze disparu. Il est sacré à Valparaiso le 21 décembre 1845. Dès le 22, il rentre aux Marquises où il arrive le 23 janvier 1846 ; il fixe sa résidence habituelle à Vaitahu (Tahuata). Le P. Caret, Préfet Apostolique et Provincial, meurt à Rikitea le 26 octobre 1844.

En mai 1847, les sœurs de Cluny, après avoir soigné les blessés de la « guerre de Tahiti », ouvrent une école à Papeete.

Période difficile, troublée, où la Polynésie se construit sur des bases nouvelles. Qu'aurait fait Mgr Etienne Rouchouze ? Quelle aurait été la place des 25 nouveaux missionnaires ? On n'a pas assez souligné que la période capitale de la présence française en Polynésie s'est déroulée en l'absence de l'évêque responsable de l'Église, à qui les divers protagonistes prêtaient des intentions contradictoires. Le personnel missionnaire était dispersé et réduit, loin de l'évêque-coadjuteur fixé aux Marquises depuis son retour du Chili le 7 février 1846.


 

[3] J.V. GONZÀLEZ-CARRERA : Père Coudrin... I, 74-75.
- Lettres du P. COUDRIN : T. III, lettres n°155 et suivantes ; surtout n°204 de février 1826.
- Annales SSCC. : « Registre des matières », pp.120 à 145 ; Ar.SS.CC. 271-788.
[4] P. H. LUCAS : Histoire de la Mission des îles Sandwich ou Hawaii: 1825-1838, éditée par Amerigo Cools. Rome 1979, 317 pages.
- L. JORE : L'Océan Pacifique. T. Il, pp.9 à 67.
[5] L. JORE : Océan Pacifique. T. I, pp. 161 à 172.
- G. GOYAU : Les grands desseins missionnaires de l'abbé de Solages. Paris 1933.
- S.C. Propanganda Fide : Décret, Bulle et Facultés, Ar.SS.CC. 1-1-4 H.
- M. DESMEDT : « Centenaire du Vicariat Apostolique d'Océanie orientale ». Annales SSCC. 1933.
[6] Les « Vicaires Apostoliques » étaient reliés directement au Pape, tandis que les « Préfets Apostoliques », selon le Concordat de 1801, étaient désignés par le Gouvernement français avec l'accord de Rome.
[7] Dossier F. CARET, Ar.SS.CC. 59,2.
[8] F. A. Caret à Mgr Bonamie : 21-11-1843, Ar.SS.CC. 59,2.
[9] Fr. Z. Pratoursy au T .R.P. : 14-12-1849. Ar.SS.CC. 62,2.

Tahiti

 

Difficiles fondations dans l'espérance (1848-1884)

Le 9 mai 1848 est une date majeure dans l'histoire de la mission catholique. Les Vicariats Apostoliques des îles Marquises et de Tahiti sont érigés par un Bref de Pie IX, suite à sa décision du 9 avril précédent. Le premier est confié à Mgr Baudichon qui y réside déjà ; celui de Tahiti et de ses dépendances est confié à Mgr Etienne (Tepano) Jaussen, nommé évêque titulaire d'Axiéri le même jour. Il est professeur et maître des novices au Collège de Valparaiso ; il est âgé de 33 ans. Mgr Magloire Doumer, Provincial des missionnaires des Sacrés-Cœurs en Océanie, en résidence à Valparaiso, lui est donné comme Coadjuteur ; il est âgé de 42 ans. Cette répartition des archipels constitue l'organisation actuelle des diocèses de Taioha'e (Marquises) et de Papeete (Tahiti), créés en 1966. Ce dernier verra se détacher de sa juridiction l'île de Pâques en 1921 et les îles Cook en 1922.

Il est utile d'expliciter les raisons et la méthode qui sont à la base de la décision du Pape Pie IX par l'intermédiaire de Propaganda Fide. En effet la décision romaine arrive au terme d'un long processus de consultations. L'initiative vient du Supérieur Général des Sacrés-Cœurs et de son Conseil à partir des rapports et des lettres des missionnaires. Dans le cas présent, Mgr Bonamie, le Supérieur Général, écrit à Rome le 1er février 1848[10].

« J'ai eu l'honneur, dans le temps, de proposer à Votre Éminence la formation d'un troisième Vicariat Apostolique dans l'Océanie Orientale, à cause des grandes distances qui séparent les divers archipels et de la difficulté des communications. Votre Éminence me répondit qu'elle désirait connaître quelles seraient les îles qui dépendraient de ce Vicariat et quelle est à peu près leur position. Dans la supposition que ce troisième Vicariat serait créé, les deux autres Vicaires Apostoliques seraient restreints l'un à l'archipel des Marquises et l'autre à celui des Sandwich, et l'un et l'autre auraient encore assez de quoi exercer leur zèle : car ces archipels se composent de plusieurs îles assez distantes les unes des autres. »

Le 7 mars, suite à la réponse affirmative sur le principe et à la demande de proposition d'un sujet digne, le Supérieur Général écrit :

« Tous les membres de mon Conseil ont été d'avis, et je partage leur manière de voir, que le meilleur choix à faire serait celui de nommer Florentin Etienne Jaussen... J'aurais encore à soumettre une demande qui me paraît vivement intéresser le succès de nos missions de l'Océanie et des établissements que nous avons dans le Chili ; ce serait l'élévation à l'Épiscopat, en qualité de Coadjuteur du nouveau Vicaire Apostolique, du Supérieur de notre maison de Valparaiso, qui continuerait cependant à résider dans cette vill ... Voici les principaux motifs... en faveur de ma proposition.

1)     Le supérieur de notre maison de Valparaiso allant être nommé Provincial de toutes nos missions d'Océanie... jouirait d'une plus grande influence... pour maintenir l'unité de vues, de sentiments et d'administration.

2)     Il aurait plus de latitude et de facilité... pour faire recevoir et suivre les instructions et avis de la S.C. de la Propagande et du Supérieur Général.

3)     Il pourrait remplacer le nouveau Vicaire Apostolique pour les fonctions épiscopales dans l'île de Pâques (plus proche de Valparaiso).

4)     Nous allons avoir à Valparaiso un grand nombre de jeunes profès... à admettre aux ordres ; il n'y a pas d'évêque à Valparaiso... (il faut aller à Santiago pour les ordinations, ce qui occasionne des frais de voyage).

5)     Valparaiso a 40 000 âmes et reçoit rarement la visite de l'Ordinaire... L'Archevêque de Santiago... serait enchanté de la présence d'un évêque à Valparaiso ; il en a exprimé le désir aussi bien que le clergé...

6)     Plusieurs évêques de l'Amérique du Sud s'adressent au supérieur de notre maison pour avoir des sujets...

7)     Valparaiso étant point de relâche pour les navires... l'évêque qui serait là pourrait facilement tenir Votre Éminence au courant de ce qui se passe dans cette partie de l'Amérique et dans l'Océanie Orientale...

Dans le cas où ma proposition serait acceptée, j'ajoute le nom du supérieur qui dirige notre maison de Valparaiso et qui nous paraît digne à tous égards... il se nomme Antoine Doumer ».

La Congrégation Générale de Propaganda Fide, réunie le 3 avril 1848, approuve toutes ces propositions ; le 9 avril, le Cardinal-préfet les soumet au Pape qui les confirme et en ordonne l'exécution. Le tout est publié le 9 mai. Mgr Doumer en informe aussitôt le Gouverneur Lavaud à Papeete et le Père Heurtel, alors Provicaire et supérieur religieux ; celui-ci décéda le 18 octobre 1850 à peine deux ans après l'arrivée de Mgr Tepano Jaussen. Ce dernier était sacré à Valparaiso, en compagnie de son coadjuteur, le 27 août 1848.

Ces documents montrent que la part prépondérante et l'initiative reviennent à la Congrégation des missionnaires picpuciens. Avec des délais plus ou moins longs et des modalités diverses selon les circonstances, il en sera de même pour toutes les autres interventions romaines dans la mission d'Océanie Orientale. Rome avait toute confiance dans les missionnaires ; ces derniers vivaient en profonde communion avec le Pape, « successeur de Pierre, centre de l'unité catholique »[11].

On est frappé de la lucidité de Mgr Tepano Jaussen, de la conscience large et précise que le tout jeune Vicaire Apostolique exprime dans une lettre à sa sœur Félicité, un mois après son sacre, alors qu'il n'a encore jamais été en Polynésie[12].

« Si j'avais le désir d'aller en mission, ce n'était pas avec l'immense responsabilité d'un évêque. Je suis loin de me réjouir, surtout en considérant les difficultés qu'offrent les îles qui me sont confiées... Le nouveau Vicariat se compose d'une foule d'îles et d'îlots disséminés sur une étendue d'environ mille lieues et qui ont peu ou point de relations les unes avec les autres.

Tahiti... est loin d'avoir un gouvernement constitutionnel et libéral comme celui de Hawaii...

Les ministres protestants, arrivés en 1797... eurent un succès complet en 1815... Ils ont reçu des terrains des insulaires, terrains qui ne se donnent pas à la mission, mais au missionnaire lui-même, accompagnée d'une femme et d'enfants. Ils sont aujourd'hui riches, puissants et redoutés...

M. Guizot avait donné ordre de ne souffrir à Tahiti qu'un prêtre catholique pour la colonie française, sans permettre aucune prédication pour les indigènes. Il voulait remplacer successivement les ministres protestants anglais par des ministres français : Dieu veuille que ce projet ne soit pas suivi. Jusqu'ici le Gouverneur actuel n'y a été que trop fidèle. Il a consenti à la présence de deux prêtres, ayant compris qu'un prêtre aussi pouvait désirer se confesser... Il leur a bien défendu de travailler à la conversion des Tahitiens...

Humainement parlant, Tahiti nous offre peu d'espoir ; on peut en dire autant des îles qui l'entourent... Les Paumotu ou Tuamotu offrent plus d'espoir... Mais elles sont trop pauvres... elles promettent à nos missionnaires, sinon le succès qui appartient à Dieu seul, au moins une abondante récolte de privations.

L'île de Pâques et les îles Penrhyn, les deux extrémités de mon diocèse… la première a été exaspérée par les vexations... des baleiniers.

Dans cette vaste mission, l'œil ne se repose avec joie que sur ce petit archipel des Gambier dont la conversion a fait la joie de l'univers catholique et dont la ferveur édifie encore aujourd'hui... »

Le 27 décembre 1848, Mgr Tepano Jaussen s'embarque à Valparaiso avec les P. Louis Borgella, Nicolas Blanc et Clair Fouqué. Ils arrivent à Papeete par l'« Alcmène » le 16 février 1849 où le P. Heurtel les accueille. Mgr Baudichon était reparti définitivement pour la France sur l'« Arche d'Alliance » le 28 janvier précédent ; le trois-mâts était au port depuis le 6 décembre.

Juste le temps de saluer les autorités et Mgr Tepano Jaussen part aux Gambier sur l'« Alcmène », Il y reste trois mois ; il y remplace le P. Laval qu'il envoie avec le P. Clair Fouqué fonder la mission catholique aux Tuamotu. L'évêque s'initie à la langue et se lance dans l'agriculture, deux points qui lui tiendront à cœur tout au long de sa vie[13]. Après avoir appelé le P. Nicolas Blanc pour le remplacer aux Gambier, il rentre à Tahiti en visitant la mission débutante des Tuamotu. Dès le mois d'octobre, il commence son ministère en ouvrant une école primaire à Haapape comme « apprivoisement pour faire tomber les préjugés »[14] ; il y passe la semaine, ne rentrant à Papeete que le samedi. En 1850, la mission de Mataiea, fondée en 1844 par le P. Armand Chausson, voit les premiers baptêmes ; l'église y est inaugurée en 1858. C'est la doyenne des églises de Tahiti.

Sous la direction d'un jeune évêque, les missionnaires, jeunes eux aussi, se dévouent avec zèle à l'évangélisation. Si ce zèle ardent est une qualité fondamentale aux yeux de Mgr Jaussen et des P. des Sacrés-Cœurs, s'il est parfois loué par tel Gouverneur, la plupart de ceux-ci le trouvent « gênant, imprudent, excessif, à modérer ».

À la fois pour occuper l'unique poste reconnu par le gouvernement et profiter des voyages des navires d'État, Tepano Jaussen accepte en 1851 d'être aumônier de la Marine[15]. Il fait quatre tournées pastorales aux Tuamotu en 1850, 1852, 1856 et 1858.

Pour répondre aux besoins de la mission, par conviction personnelle et grâce à sa bonne formation littéraire, le Vicaire Apostolique se met rapidement à l'étude de la langue tahitienne. Sa grammaire et son dictionnaire, qui font toujours autorité, sont édités à Paris en 1861. A la fin de sa vie, il étudie les « bois parlants de l'île de Pâques ». Dès 1851, il rédige le premier catéchisme en tahitien du diocèse. Cette activité des pères comme instituteurs bilingues s'avère être la plus efficace porte d'entrée auprès des populations polynésiennes. Elle fait tomber les puissants préjugés antipapistes ; elle est appréciée par la population, y compris à Tahiti, et soutenue par divers Gouverneurs[16]. Dès 1849, le P. Heurtel, supérieur de la mission, demande que la Maison-Mère de Picpus « envoie 4 Pères pour les écoles, car il est seul à Tahiti », Le 7 novembre 1857, les sœurs de Saint-Joseph de Cluny ouvrent la première école publique à Papeete, suivie d'une autre à Papeuriri (Mataiea) en 1867. Les frères de Ploërmel, arrivés en 1860 à la demande du Gouvernement, en accord avec l'évêque, pour fonder les écoles publiques françaises, ouvrent leur première école le 5 décembre à Papeete dans des conditions très difficiles[17]. Le 31 mars 1864, trois frères ouvrent une école à Papeuriri. La laïcisation décidée le 5 février 1881 entraîne l'expulsion des frères des écoles publiques de Papeete en 1882 et de Papeuriri en 1887. Aussi Mgr Jaussen, avec son Conseil et les frères, décide que la mission catholique prendrait à sa charge l'école libre de Papeete que les frères de Ploërmel ouvrent le 10 octobre 1882[18]. Nous étudierons en détail l'action éducative et scolaire de la mission au chapitre XII.

L'action scolaire des pères des Sacrés-Cœurs leur permet d'implanter peu à peu quelques paroisses catholiques dans les districts de Tahiti : Mataiea en 1844, Haapape en 1849, Paea et Parapa en 1855, Hitiaa et Faaone 1856, Punaauia en 1857, Tautira en 1858, Faaa en 1865, Papaoa (Arue) en 1867, Papenoo en 1872, Papeari en 1876.

Ce développement progressif des communautés catholiques nécessite l'acquisition des terrains nécessaires et la construction des bâtiments pour réunir les fidèles : églises, presbytères, locaux scolaires ou de réunions. Mgr Tepano Jaussen voit grand ; il prépare l'avenir et saisit les occasions pour doter la mission de l'infrastructure dont elle vit encore aujourd'hui. Il possède le génie de l'organisation et a un sens administratif très averti[19]. Le 8 décembre 1855 il fait l'acquisition de la « vallée de la Mission », alors zone de brousse et de marécage entourant la rivière Papeava ; elle est située côté montagne, en retrait de Papeete qui se développe autour de sa rade. La capitale n'est encore qu'une petite agglomération de quelques milliers d'habitants. Le chapitre XVI explicite ce sujet important et délicat des terrains de la mission.

Sur ces terrains, l'action persévérante du Vicaire Apostolique se déploie dans deux directions qu'il explique clairement à ses sœurs Félicité et Sophie[20] : le développement agricole et floral, la construction des églises. « Depuis mon arrivée ici, nous avons construit 25 églises en pierres. Nous allons plus vite maintenant et si Dieu me conserve la santé, on comptera autant d'églises que d'années d'administration. » Il se situe dans la ligne tracée par Mgr Tepano Rouchouze et la première mission de Mangareva où la première église d'Aukena avait été fondée en 1836 et la cathédrale Saint-Michel de Rikitea bénite le 15 août 1841. La mission catholique en Polynésie, principalement sous l'impulsion de Tepano Jaussen, a réalisé une importante œuvre architecturale, étudiée au chapitre XV[21]. De 1855 à 1880, le personnel missionnaire des Sacrés-Cœurs comprend presque le même effectif de frères convers bâtisseurs que de prêtres : 12 frères et 13 prêtres en 1860[22].

Dès son arrivée en 1849 à Mangareva et jusqu'à la fin de sa vie à la vallée de la Papenoo où il se retire, Mgr Jaussen se préoccupe activement du développement agricole et de l'élevage. La mise en valeur de la vallée de la mission fut exemplaire à ce titre, comme une commission officielle le constate en 1879. Tepano Jaussen est fier de ses plantations et de son élevage qui font vivre en partie la mission ; cela montrait ce qu'il est possible de faire dans les îles polynésiennes, y compris dans les atolls des Tuamotu où il développe les cocoteraies. En plus de l'initiation aux métiers du bâtiment assurée dans les chantiers par les frères bâtisseurs, l'évêque fonde en 1869, avec le P. Collette, les « ateliers de Saint-Joseph » dans la vallée de la mission à Papeete. Cette entreprise, toujours si actuelle et urgente, du développement en lien avec l'évangélisation, fera l'objet du chapitre XIV.

L'histoire rappelée sommairement dans la première partie, laisse deviner que la fondation de l'Église catholique à Tahiti se réalise dans un contexte d'affrontements difficiles avec l'administration d'État et les Protestants dont le chapitre XVII parlera. Diverses difficultés internes venant de sa propre Congrégation - « schisme », affaire Collette, personnel peu préparé... - compliqueront, pour Mgr Jaussen, cette longue période d'implantation. La révolte d'Anaa où Clair Fouqué est laissé pour mort, la dévastation de la mission par le gouverneur Page l'amènent à un premier voyage en Europe du 6 avril 1853 au 15 novembre 1854. Les difficultés concernant la construction de la cathédrale - commencée en 1856 et qui sera démolie en 1870, avant d'être reconstruite, mais beaucoup plus petite, par le Gouvernement en 1875 -, les tracasseries concernant les Gambier, la demande de pasteurs protestants français, les discussions sur les écoles, etc., obligent l'évêque, poussé par ses missionnaires, à repartir en Europe de janvier 1861 à février 1864. Plusieurs fois il suggère d'abandonner une mission si difficile pour la confier aux Spiritains.

Le souci des vocations locales fut pour lui une préoccupation constante. Le modeste collège d'Aukena, ouvert en 1840 par M. Urbain, est renforcé en 1850 par la venue de M. Henri Mayne qui s'y dévoue sans compter, mais aussi sans grande illusion, sous la direction du P. Nicolas Blanc. Le petit séminaire est transféré à Papeete en 1870, puis à Pamatai en 1872. Le 24 décembre 1873, Mgr Tepano Jaussen ordonne le premier prêtre polynésien, Tiripone Mama Taira (abbé Tryphon), de la famille royale de Mangareva. Après un petit ministère à Faaone où il ne répond pas aux espoirs mis en lui, il part à Valparaiso en 1879 ; il y meurt le 27 décembre 1881. Mgr Jaussen doit fermer le séminaire faute de sujets capables, le 30 mai 1874. La formation des catéchistes, surtout aux Tuamotu avec les P. Montiton et Fierens, l'évangélisation des travailleurs Gilbertins d'Atimaono par le P. Latuin Lévesque en 1875 reçoivent tout son soutien.

Devant les événements difficiles et sa santé qui s'affaiblissait - un tremblement croissant rendait son écriture pénible - Mgr Jaussen donne « sa démission à Rome à titre prudentiel » en 1874. Ne voyant aucun successeur sur place, il laisse carte blanche au Supérieur Général, le T.R.P. Bousquet. Celui-ci propose le P. Gilles Collette. Mais il commet l'imprudence de le dire à l'intéressé ; il le met trop en valeur au grand mécontentement des missionnaires, fort réservés devant son autoritarisme ambitieux comme provincial[23]. Ce sera la source de la crise qui éclatera avec Mgr Verdier. Celui-ci est nommé en 1882 coadjuteur de Tepano Jaussen dont la démission avait été acceptée l'année précédente. Mgr Verdier arrive à Papeete incognito, selon son désir, le soir du 4 novembre 1883 après son sacre à Quito à la Pentecôte précédente. Mgr Tepano Jaussen se retire en février 1884 dans la vallée de la Papenoo. Il décède le 9 septembre 1891, peu après le roi Pomaré V. La colonie lui fit des funérailles officielles à titre de reconnaissance (voir introduction). L'époque des fondateurs s'achève. Par sa bonté rayonnante, son zèle persévérant, son talent d'organisateur, il a posé les fondations, « espérant contre toute espérance ».


[10]Acta Propaganda Fide, 1848, vol. 211, pp.151-161. - Annales SS.CC. : « Registre des matières », pp.136 à 141, Ar.SS.CC. 271-788.
[11] P. COUDRIN : Lettres. T. III, n°155 du 16-5-1825 et n°202 de fevrier 1826.
[12] Mgr T. JAUSSEN à sa sœur Félicité à Alençon, lettre de Valparaiso (25-9-1848). Ar.SS.CC. 58,1. - V. PRAT : Mgr T. Jaussen. T. I, pp.49-52.
[13] H. LAVAL : Mémoires pour histoire de Mangareva, pp.272-274.
[14] E. HEURTEL au T.R.P., lettre (15-11-1849), Ar.SS.CC. 59,3.
[15] E. HEURTEL au T.R.P. (24-6-1849), Ar.SS.CC. 59,3. - V. PRAT, op. cit., pp.150-153.
[16] DU BOUZET au Ministre (9-9-1855 et 10-10-1855). F.O.M. Océanie C 13, A 71.
[17] Mgr T. JAUSSEN à J. M. DE LAMENNAIS (25-12-1860).
- Fr. ALPERT et T.C.F. CYPRIEN aux Autorités (1861), Ar. F.I.C.
- Ch. RULLON, Centenaire, pp.4 à 26.
[18] T. JAUSSEN au T.R.P. (10-3-1882), Ar.SS.CC. 58,1.
[19] T. JAUSSEN au T.R.P. (12-6-1882) avec liste des terrains copiée par le P. Martin, Ar.SS.CC. 58,1.
[20] T. JAUSSEN à ses sœurs (1-2-1877), Ar.SS.CC. 58,1.
[21] H. LAVAL, Mémoires, Introduction sur l'œuvre architecturale de la mission, pp. CIX et sq, Se reporter à l'annexe III pour la chronologie des constructions des églises.
[22] Voir annexe IX et A. COOLS : Evêché de Papeete et Frères bâtisseurs. Rome 1981, 48 pages.
[23] T. JAUSSEN au T.R.P. (5-8-1874 ; 4-1-1875 ; 9-1-1876), Ar.SS.CC. 58,1.

Le temps des cyclones (1884-1908)

L'époque qui s'ouvre avec l'épiscopat de Mgr Marie-Joseph Verdier sera sur tous les plans le temps des cyclones ; du dedans et du dehors, la mission catholique sera durement éprouvée. Il y a la série des trois cyclones du début du siècle : celui du 11 au 17 janvier 1903 qui ravage les Tuamotu, rasant les missions et faisant 515 morts ; celui du 23 mars 1905 sur Tahiti et Makatea et celui du 8 février 1906 qui se déchaîne à nouveau aux Tuamotu où périt le Père Vincent de Paul Terlijn.

Sur le plan administratif et légal, c'est l'époque des lois anticongréganistes, de la laïcisation de l'enseignement et de la séparation de l'Église et de l'État. Pendant que la forte personnalité de Charles Viénot domine la scène et que le Conseil Supérieur des églises protestantes reçoit son statut officielle 23 janvier 1884, la mission catholique se voit refuser par Jauréguiberry toute personnalité civile ou existence légale. Seule la paroisse de Papeete, par décret du 16 juin 1892, sera reconnue légalement en application du décret du 30 décembre 1809 concernant les Fabriques. Les missionnaires, « appartenant à une congrégation non reconnue » par l'État, vivent sous la menace permanente d'une expulsion, semblable à celle qui chasse leurs frères de France en 1903 en application de la loi du 1er juillet 1901. Le décret était arrivé à Papeete ; les prêtres ne sont tolérés que comme « clergé séculier ». L'administration fait procéder aux inventaires[24]. Mgr Verdier sauve les biens de la Mission par la constitution, le 25 avril 1906, de la « Corporation Catholique d'Océanie » sise à Honolulu. C'était l'archevêque de San Francisco qui lui avait suggéré cette idée en 1905[25].

Les frères de Ploërmel et les sœurs de Cluny sont chassés des écoles publiques et de l'hôpital durant cette période de laïcisation : Papeete en 1882, Mataiea en 1887 pour les frères ; Mataiea en 1902 et l'hôpital le 14 juin 1904 pour les sœurs de Cluny. Il en sera de même pour les écoles de Mangareva et des Marquises[26].

Dans une ambiance aussi incertaine, Mgr Verdier comme le P. Georges Eich, son Provicaire et provincial picpucien, maintiennent de bonnes relations personnelles avec les autorités. Ils vivent en bonne entente avec l'administration ; ils ne mêlent pas la mission catholique aux intrigues politiques et se tiennent en dehors des partis locaux. « L'esprit conciliant et le tact parfait du P. Eich étaient appréciés » de la population, écrit le « Messager de Tahiti »[27]. Le 27 mai 1904, Georges Eich est nommé évêque-coadjuteur de Mgr Verdier ; il dut refuser en raison de son délabrement cardiaque. Ce missionnaire exceptionnel, peut-être le plus remarquable de toute l'histoire de la mission catholique, décède le 6 mars 1905. Devant « les tracasseries incessantes et les jugements iniques des administrateurs soupçonneux » de cette époque d'anticléricalisme militant, il sut relativiser avec calme et patience les tempêtes ; il explique que « les articles violents des journaux d'ici le sont pour Paris, mais qu'ils font peu de mal à la mission ». Ces querelles étaient, en pratique, limitées au petit nombre des européens[28].

Bien plus graves, en réalité, sont les épreuves à l'intérieur de la mission catholique. En période de crise, tout groupe humain, surtout lorsqu'il vit intensément un idéal exigeant, ne peut qu'être secoué, interpellé. L'unité n'est pas l'uniformité ou l'unanimité, surtout dans le clergé.

C'est en raison des désunions dans la Congrégation à la suite du « schisme » qui avait secoué la Congrégation des Sacrés-Cœurs de 1853 à 1869 - Mgr Baudichon y prit une part active - et des divisions dans la mission de Tahiti que le Supérieur Général avait proposé Marie-Joseph Verdier comme Vicaire Apostolique en 1882[29]. Le P. Verdier, alors âgé de 48 ans, était un théologien polyglotte, un homme spirituel chargé de la formation des religieuses à Quito (Equateur) ; c'était un ami et l'homme de confiance du T.R.P. Bousquet qui lui demande, contre son gré, de se faire sacrer à Lima ; les missionnaires le lui reprocheront toute sa vie : « Il est arrivé déjà un évêque ! »

Le cas le plus grave de division est l'attitude du P. Gilles Collette qui vit en marge de la mission. Il a une situation privilégiée à l'égard de l'administration comme curé de Papeete ; il est officiellement « reconnu », alors que le Vicaire Apostolique est légalement inexistant et relégué à la chapelle de l'évêché. La cathédrale est considérée, non comme l'église de l'évêque, mais comme la paroisse de la colonie française. Après de multiples avertissements et démarches, le conflit éclate le 5 avril 1889. Ce jour-là, M. Holozet, président du Conseil de Fabrique, soutenu par le P. Collette, refuse de donner les clés de la cathédrale à Mgr Verdier qui ne peut y célébrer la messe : « J'ai les clés, je les garde », lui écrit-il ce jour-là, en déniant toute autorité légale et religieuse à l'évêque. Devant son refus persistant et public, le Vicaire Apostolique excommunie M. Holozet le 10 avril et suspend totalement le P. Collette. Mgr Tepano Jaussen, retiré à Papenoo, soutient entièrement son successeur. L'affaire fit grand bruit à Tahiti ; elle agita Paris et Rome. Elle se termine le 10 avril 1890, jour où le Gouverneur transmet au Vicaire Apostolique la note du cardinal Simeoni, préfet de « Propaganda Fide » ; les tensions étant alors vives entre la France et le Vatican, cette note, malgré des appels à la conciliation et à la soumission, est, en fait, un blâme en cinq points de Mgr Verdier qui en resta très affecté[30]. Cet acte d'autorité - unique dans toute l'histoire de la mission catholique - sauve son unité, approfondit son caractère spirituel et la libère des multiples intrigues politiques du P. Collette qui finit par fatiguer même l'administration dont il se croyait l'intermédiaire privilégié. L'attitude de Gilles Collette gêna la mission de 1874 à sa mort en 1899.

L'angoisse permanente de Mgr Verdier est l'achèvement de l'évangélisation des divers archipels au fur et à mesure de la levée de l'interdiction de séjour pour les prêtres catholiques : 1889 aux îles Cook, 1897 aux Iles-sous-Ie-Vent. C'est le P. Eich qui assure les visites de prospection[31]. Les demandes des îles sont nombreuses ; mais « la pauvreté des sujets est extrême » : en 1898 il ne reste que sept missionnaires valides dans toute la mission de Tahiti. Devant cette pénurie et l'absence de renfort - en 1900, il demande douze Pères à Paris - Mgr Verdier envisage de se décharger de la mission sur une autre Congrégation et lui-même offre d'être remplacé[32]. Beaucoup d'occasions sont ainsi perdues.

Outre le petit nombre de missionnaires, l'évêque comme le provincial ne cessent de se plaindre de leur manque de formation théologique sérieuse, du mauvais choix de certains sujets et de l'absence de préparation missionnaire. Si les pères belges et allemands sont loués pour leurs qualités apostoliques, le Supérieur Général n'envoyait-il pas « dans cette mission pénible les pères au rebut ? »[33]. Aussi la compréhension cordiale est-elle toujours difficile entre Mgr Verdier et les missionnaires ; Georges Eich sert de conciliateur universel, surtout après sa nomination comme provincial en 1894.

Si le souci des vocations, en particulier sacerdotales, fut une priorité de la mission en cette période difficile, le contexte de l'époque et la pauvreté du personnel rendent aléatoires une telle formation. Mgr Tepano Jaussen avait fermé le petit séminaire le 30 mai 1875 faute de candidats valables. Son successeur s'efforce de rouvrir divers centres : école des « katekita » en 1885, « école apostolique » à Varari en 1890 (fermée en janvier 1897). Les frères de Ploërmel ont ouvert leur école libre à Papeete sur le terrain de la mission en 1882. En plus de celle de Papeete, les sœurs de Cluny fondent une école à Rikitea en 1892 et à Faaa le 6 août 1898. Ces écoles gardent la confiance de la population polynésienne et jouissent d'une bonne réputation. Mais, malgré ces efforts d'éducation chrétienne, il n'y a aucun résultat pour les vocations autochtones à cette époque.

Terminons l'évocation rapide de ce « temps des cyclones » par quelques réalisations marquantes et divers signes d'espérance. Le plus important concerne la traduction de la Bible en tahitien. Les missionnaires catholiques utilisaient la Bible traduite par Henry Nott, éditée en 1836. Les travaux linguistiques effectués par Tepano Jaussen, les connaissances acquises par divers pasteurs amènent la mission catholique à éditer en 1888 le Nouveau Testament en tahitien. L'étonnement scandalisé des catholiques anglais apprenant que les missionnaires utilisaient sans difficulté une Bible protestante, joint à l'absence de traduction des livres deutero-canoniques font que Mgr Verdier met en chantier une traduction de toute la Bible en 1899. Ce sont les P. Clément Tourvieille et Chrétien Willemsen qui réalisent ce travail. Après sa démission le 26 février 1908, Mgr Verdier revise la totalité du travail et le P. Célestin Maurel en contrôle le style. Le P. Tourvieille la fait imprimer à Braine-le-Comte en 1914[34]. Le pape saint Pie X la bénit le 22 juin 1914.

En 1907, Mgr Verdier fait éditer un catéchisme approfondi qui s'avère très précieux. Dans cette ligne catéchétique, le P. Eich lance le projet d'une bibliothèque catholique en 1892, ancêtre de l'actuelle librairie « Pureora ».

Après la grande épreuve de 1890, diverses occasions permettent de retrouver la cordialité fraternelle et d'approfondir le sens communautaire dans la mission. Le 19 décembre 1890, les noces d'or sacerdotales de Mgr Tepano Jaussen rassemblent tous les missionnaires. Les retraites annuelles sont mieux organisées et chaque Père la donne à tour de rôle à l'évêché qui sert de vraie maison de famille. À l'Épiphanie 1892, Mgr Verdier inaugure la première « fête des missionnaires » comme journée d'amitié et de prière. Le 14 août 1895, le cercueil de Mgr Tepano Jaussen est placé dans la chapelle du cimetière des Pères, situé dans la vallée de la mission. Ces efforts s'insèrent dans l'approfondissement de la vie spirituelle centrée sur le Sacré-Cœur et l'Eucharistie ; le premier pèlerinage à l'église du Sacré-Cœur d'Arue se déroule le 1er juin 1883 et est inauguré par les sœurs de Cluny avec leurs élèves. À Pâques 1886, la mission est consacrée au Cœur de Jésus.

Le P. Athanase Hermel, nommé évêque-coadjuteur, est sacré le 27 août 1905. Après avoir réglé les dernières difficultés administratives, surtout concernant les biens de la mission, Mgr Verdier, très fatigué par un asthme chronique et 25 années éprouvantes, démissionne le 26 février 1908. À la demande de son successeur et des missionnaires, il se retire sur place ; il passe dix à douze heures chaque jour en prière devant le Saint-Sacrement dans la chapelle de l'Évêché. Cet homme de « devoir, de prière, de caractère difficile, de sereine ténacité et de foi tranquille, s'éteint dans un état de sainteté consommée » le 17 janvier 1922[35]. Si Tepano Jaussen a fondé la mission de Tahiti par son génie, Marie-Joseph Verdier, au milieu des contradictions et des tempêtes, l'a sauvée par la « force de sa foi » (1P 5,8) et sa persévérance dans la prière, avec l'aide de Georges Eich, son inséparable Provicaire.


 

[24] G. EICH au T.R.P. (18-8-1894), Ar.SS.CC. 60,2. - Mgr VERDIER au T.R.P. (29-7-1884 ; 2-3-1894 ; 15-5-1901 ; 5-11-1904), Ar.SS.CC. 58,3.
[25] Mgr VERDIER au T.R.P. (15-7-1905 ; 18-6-1906 ; 17-7-1906 ; 20-8-1906), Ar.SS.CC. 58,3.
[26] F.O.M. Océanie, C 98 dossiers H 31, H 32, H 39 sur la laïcisation en Polynésie.
[27] Messager de Tahiti (16-6-1894).
[28] G. EICH au T.R.P. (29-7-1902 ; 8-12-189 8; 20-1-1904 ; 13-6-1904 ; 18-7-1904).
[29] Le « Schisme » SS.CC. Documentation n°15, mai 1980, Rome, 52 pages. - Mgr VERDIER au T.R.P. (5-4-1881 ; 14-10-1882 ; 17-11-1882 ; 5-6-1884), Ar.SS.CC. 58,2.
[30] Mgr VERDIER au T.R.P. (4-1-1890 ; 10-3-1890 ; 10-4-1890 ; 30-4-1890 ; 8-6-1890), Ar.SS.CC. 58,2. - C. WILLEMSEN au T.R.P. (11-12-1906), Ar.SS.CC. 60,3.
[31] G. EICH au T.R.P. (10-12-1897), Ar.SS.CC. 60,2.
[32] Mgr VERDIER au T.R.P. (8-3-1896 ; 4-2-1898 ; 15-6-1898  14-11-1900 ; 25-9-1901), Ar.SS.CC. 58,3. - G. EICH au T.R.P. (16-11-1898). Ar.SS.CC. 60,2.
[33] Mgr VERDIER au T.R.P. (8-9-1894 ; 5-4-1887 ; 27-2-1894 ; 8-10-1895 ; 7-3-1899). Ar.SS.CC. 58,3. - G. EICH au T.R.P. (9-3-1896 ; 10-4-1899 ; 23-6-1902). Ar.SS.CC. 60,2.
[34] Mgr VERDIER au T.R.P. (12-9-1899 ; 6-12-1909). Ar.SS.CC. 58,3.
- C. TOURVlEILLE au T.R.P. (12-3-1914), rapport sur la mission. Ar.SS.CC. 62,3.
- C. WILLEMSEN au T.R.P. (15-2-1908). Ar.SS.CC. 62,3.
- C. MAUREL au T.R.P. (11-7-1909), Ar.SS.CC. 60,3.
[35] Mgr HERMEL : Lettre pastorale du 6-1-1923.
- C. MAUREL au T.R.P. (22-10-1916 ; 16-5-1922 ; 14-10-1922), Ar.SS.CC. 58,3.
- G. EICH au T.R.P. (13-2-1892 ; 12-9-1896), Ar.SS.CC. 60,2.

 

L'humble courage du quotidien (1908-1939)

Mgr Athanase Hermel n'a que 32 ans quand il est nommé coadjuteur de Mgr Verdier en 1905. Il était à Tahiti depuis deux ans et demi ; il était curé de Papeete. Professeur de philosophie, ses goûts sont plutôt intellectuels. Prédicateur renommé, il remplissait la cathédrale, à la grande satisfaction des missionnaires du moment. Il se considère comme « le plus jeune et le plus petit évêque du monde ». Tout en restant curé de Papeete, Mgr Verdier l'envoie en tournée pastorale dans tous les archipels pour qu'il découvre la mission. Le 26 février 1908, Mgr Hermel prend en charge le Vicariat de Tahiti, heureux de garder son prédécesseur près de lui[36].

Les événements qui chassent les religieux de France amènent les renforts tant désirés dès la fin de 1905, à l'exception des frères convers que la Congrégation ne peut plus fournir[37]. À cette époque, le 20 août 1907, une convention précise les relations entre le Vicariat Apostolique et la Congrégation des Sacrés-Cœurs qui a la charge de fournir le personnel missionnaire. Ce texte s'insère dans le cadre plus vaste du « Statut des Missions », discuté depuis quelques années avec « Propaganda Fide ».

Après la série des cyclones qui ravagent surtout les Tuamotu, après la séparation de l'Église et de l'État et la vente des biens de la mission à la « Corporation Catholique d'Océanie », la vie de l'Église catholique à Tahiti n'est pas marquée par de grands événements religieux. Dans l'humble fidélité quotidienne, à la lumière de la « petite voie d'enfance spirituelle » de Thérèse de Lisieux que Mgr Hermel fait connaître partout, c'est une période d'approfondissement de la foi et d'apaisement progressif Le bombardement de Papeete en septembre 1914, la terrible grippe espagnole de novembre 1918, font beaucoup pour rapprocher les habitants de Tahiti. L'attitude de la mission catholique, évêque en tête, est officiellement appréciée. Le 7 juin 1918, le pèlerinage au Sacré-Cœur d'Arue devient pèlerinage pour la paix.

Mgr Hermel visite souvent les écoles des frères de Ploërmel et des sœurs de Cluny auxquelles il attache une grande importance. Pour atteindre l'ensemble du Vicariat et répondre à la presse locale, il fonde la presse catholique : le « Te Ve'a Katorika » le 15 août 1909 et le « Semeur Tahitien » le 25 août. Les deux journaux, le premier en tahitien et mensuel, le second en français et bi-mensuel, existent toujours.

Dès 1908, il fonde la commission biblique diocésaine ; son premier travail est de poursuivre la traduction complète de tout l'Ancien Testament qui sera achevée le 22 juin 1914.

Selon les circonstances et la possibilité de trouver des terrains pour y implanter une église, Mgr Hermel s'efforce d'étendre la mission dans les archipels non encore touchés. Le P. Maurel va à Tubuai en 1908, à Rurutu en 1928 ; la mission de Makatea s'ouvre en 1909 et celle des Iles-sous-Ie-Vent de 1906 à 1910. Sous la direction du P. Bernardin Castanié la mission catholique se développe aux îles Cook, devenues colonie anglaise en 1900. En 1908, Mgr Hermel propose de les détacher de son trop vaste domaine missionnaire pour en faire un Vicariat indépendant à confier aux pères belges[38]. En 1925, le P. Célestin Maurel commence l'évangélisation des chinois de Tahiti. L'année suivante, l'évêque demande l'envoi d'un missionnaire des Sacrés-Cœurs de Haïnan pour s'occuper de la première communauté chinoise[39], ce qui ne pourra se réaliser qu'en 1947.

Cette époque voit l'apparition de la lèpre aux Tuamotu de l'est en 1910. Les lépreux sont progressivement soignés dans la vallée d'Orofara où la chapelle Saint-Lazare est ouverte le 27 janvier 1914. La maladie s'étend rapidement aux Tuamotu de l'Est, particulièrement dans l'île de Reao, où le P. Paul Mazé arrive en 1918 après huit années de mission aux îles Cook. Son dévouement au service des hanséniens lui vaut le titre d'« aumônier des lépreux » et la reconnaissance officielle ; celle de ses confrères est plus réservée[40].

Dès 1922, année du décès de Mgr Verdier, Mgr Hermel voit sa santé diminuer. Il est facilement déprimé et neurasthénique. Il veut démissionner ne se sentant plus la force de faire face aux « difficultés inextricables de tant d'îles disséminées ». Il meurt d'un cancer à l'estomac le 20 février 1932.

C'est le P. Amédée Nouailles, arrivé à Tahiti en 1899 et missionnaire aux Tuamotu depuis 1900, qui lui succède. Il est sacré à Papeete le 28 août 1932 par Mgr Le Cadre, Vicaire Apostolique des Marquises. Il était âgé de 57 ans. Si les missionnaires se sentaient honorés, l'intéressé se voyait comme « un pauvre Vicaire Apostolique échappé des Tuamotu et sans contact avec la civilisation ». Il apprend sa nomination au hasard d'un voyage en goélette entre Makemo et Tahiti. Son bref épiscopat de cinq années voit surtout les célébrations du centenaire de la mission de Tahiti en 1936 ; il en reste le monument élevé dans les jardins de l'évêché avec les bustes de Mgr Rouchouze et des P. Caret et Laval. Il développe l'implantation de l'église à Moorea et aux Iles-sous-Ie-Vent. C'est lors de l'inauguration de la chapelle de Bora-Bora qu'il est pris de la crise qui l'emporte à son arrivée à Papeete le 14 août 1937.

Ce décès subit explique le long temps de consultations pour choisir le successeur de Mgr Nouailles. Fallait-il continuer l'expérience commencée en choisissant un missionnaire connaissant bien la vie des îles, mais moins bien l'évolution du monde ? Fallait-il revenir à quelqu'un plus au fait des affaires du monde et intellectuel mais moins expérimenté dans la pastorale des archipels ? Les missionnaires étaient bien embarrassés pour trancher entre Henri Le Guerrannic qu'ils préféraient et Paul Mazé qu'ils craignaient un peu. Finalement, le 8 novembre 1938, c'est le P. Paul Mazé, missionnaire aux Tuamotu après l'avoir été aux îles Cook, qui est choisi. Il avait 54 ans et 29 ans d'expérience pastorale dans les îles. Il fut sacré à Papeete par Mgr Le Cadre le 30 avril 1939[41].

 


 

[36] Mgr HERMEL au T.R.P. (26-9-1905 ; 4-6-1908), Ar.SS.CC. 58,3. - C. MAUREL au T.R.P. (4-10-1903), Ar.SS.CC. 60,3.
[37] C. MAUREL au T.R.P. (30-10-1908 ; 15-2-1909), Ar.SS.CC. 60,3.
[38] Mgr HERMEL au T.R.P. (27-9-1908), Ar.SS.CC. 58,3.
[39] Mgr HERMEL au T.R.P. (8-3-1926), Ar.SS.CC. 58,3. - C. MAUREL à I. ALAZARD (25-1-1925 ; 2-6-1925;  12-11-1925), Ar.SS.CC. 60,3.
[40] P. MAZE à Ildefonse Alazard. (3-1-1938 ; 23-1-1938), Ar.SS.CC. 59,1.
[41] P. MAUREL au T.R.P. (14-10-1937 ; 20-4-193 8; 22-11-1938 ; 25-1-1939), Ar.SS.CC. 60,3.

Nouvel élan missionnaire (1939…)

« L'espoir d'un nouvel élan missionnaire » exprimé par le P. Célestin Maurel, Provincial des Pères des Sacrés-Cœurs, à l'annonce de la nomination épiscopale de Paul Mazé résume bien la nouvelle étape qui s'inaugure. Après avoir visité les divers districts de Tahiti qu'il ne connaissait pas, Mgr Mazé part pour son premier voyage « ad limina ». La déclaration de la Seconde Guerre Mondiale l'arrête à Honolulu. Il en profite pour visiter la mission de Hawaii et les réalisations des P. Maristes à Fidji ; il en revient très impressionné par l'importance des Séminaires et le développement du clergé local. Le souci des vocations, devant le « retard de Tahiti et le constat qu'on n'a pas fait tout ce qu'on a pu », sera l'axe majeur de son action pastorale[42].

Dès le 27 mars 1940, un nouveau séminaire accueille les premiers candidats à l'évêché autour du P. Joseph Chesneau. Le séminaire Sainte-Thérèse, transféré à Miti-Rapa dans la presqu'île en novembre 1951, est surtout l'œuvre du P. Jean-Louis Ledoux de 1947 à sa mort en 1981. Les deux premiers séminaristes préparés sont envoyés en 1956 au Séminaire inter-vicarial de Nouméa ; celui-ci fut fermé en 1972. Le P. Lucien Law, formé au Collège La Mennais, est ordonné prêtre le 19 décembre 1964 ; le P. Norbert Holozet, issu de Miti-Rapa, le sera le 21 décembre 1968. Entre temps les deux frères Coppenrath, Michel et Hubert, qui ont fait leur Séminaire à Issy-les-Moulineaux, sont ordonnés prêtres en France, Michelle 29 juin 1954, Hubert le 26 juin 1957. L'un et l'autre rentrent au « fenua » en 1959 à la grande joie de Mgr Paul ; sa foi dans les vocations locales et sa persévérance avaient eu raison du scepticisme de beaucoup. L'élan est donné.

Le 1er janvier 1962, Mgr Mazé fonde à Taravao, avec les sœurs missionnaires de Notre-Dame des Anges, la congrégation tahitienne des Filles de Jésus-Sauveur.

La guerre, qui a coupé la mission de l'Europe pendant près de six années, la laisse affaiblie. Trois prêtres sont décédés ; il ne reste que 16 missionnaires des Sacrés-Cœurs, dont 10 âgés et plus aucun frère convers. Les besoins sont grands[43]. Si le supérieur provincial peut envoyer trois jeunes missionnaires en 1947, la crise des vocations en France, les appels des nouvelles missions, le changement profond des mentalités entraînent de sérieuses modifications dans l'aide que peut recevoir l'Église de Tahiti. Cette mutation de l'après-guerre ne fut pas perçue rapidement par le T.R.P. d'Elbée, le Supérieur Général des Pères des Sacrés-Cœurs, pas plus que par Mgr Mazé ; Tahiti, isolée de l'Europe, avait été abritée de la guerre. Ce fut la cause d'une crise grave entre la Congrégation et le Vicariat de 1948 à 1953 ; Mgr Mazé alla jusqu'à offrir sa démission en 1948, démission acceptée et présentée par le T.R.P. d'Elbée à Rome qui la refuse en s'étonnant de cette affaire[44]. La visite de deux mois du P. Adalbert Maury, envoyé extraordinaire du P. d'Elbée en 1950, permit un apaisement ; les missionnaires étaient très unis autour de Mgr Paul. Ces tensions, fruits de l'éloignement et des préjugés, constituent surtout les premières retombées en Polynésie de la profonde crise de civilisation qui continue de secouer un « Occident en mal d'espoir »[45]. Le séjour prolongé du nouveau Supérieur Général, le T.R.P. Henri Systermans, en 1961-62, se déroula dans une grande harmonie. L'action du provincial de France, le P. Xavier Riou, par ses visites et l'envoi de jeunes missionnaires bien préparés donne un dynamisme neuf à la mission. Cela avait déjà été préparé par l'arrivée, de 1947 à 1953, de plusieurs missionnaires expulsés de Haïnan par le régime communiste chinois. Ces pères apportent une autre expérience et l'air du large venant de l'immense Chine.

Voulant diversifier en même temps que développer l'action missionnaire dans un Tahiti en pleine croissance, Mgr Mazé fait appel à des sœurs québécoises qui viennent d'être expulsées de Chine continentale. Le 30 novembre 1950, les premières sœurs missionnaires de Notre-Dame des Anges arrivent à Tahiti au service de l'éducation et des vocations locales. En 1967, des sœurs du Bon Pasteur d'Angers (Province d'Australie) ouvrent un foyer et un centre au service des jeunes filles.

Mgr Paul Mazé, qui avait été lui-même chargé des écoles aux Tuamotu de l'Est en 1929, s'efforce de développer l'enseignement catholique, malgré son « absence de résultats » sur le plan des diverses vocations jusque-là[46]. En plus du séminaire et du collège de Taravao, il bénit la première pierre du collège La Mennais le 16 décembre 1945 et l'inaugure en 1948. En février 1952, les sœurs de Notre-Dame des Anges ouvrent l'école de Faaa (fermée par les sœurs de Cluny en 1927). Ces dernières ouvrent l'école Sainte-Thérèse en 1956 et celle de la Mission en 1960. Les frères de Ploërmel fondent Saint-Paul en 1957, Fariimata en 1965 et l'école Saint-Hilaire à Faaa en 1968. Mgr Paul croit à l'action évangélisatrice de l'école chrétienne et soutient les frères, les sœurs et les enseignants laïcs qui s'y consacrent. C'est une action en profondeur et à long terme au service des familles et des vocations. Les professions religieuses de Maxime Chiu chez les frères de Ploërmel en 1958 ; de Maria et Elisabeth Winchester, Pierre-Chanel Lii chez les sœurs de Cluny ; de Thérèse Robson et Jocelyne Liu chez les sœurs de Notre-Dame des Anges ; de Marie-Thérèse Tinomoe et Louise Tepehu chez les Filles de Jésus-Sauveur, en sont des prémices encourageantes. Les autorités de la colonie reconnaissent en 1944 les services rendus par l'Enseignement catholique, actuellement sous contrat d'association avec l'État.

Divers mouvements apostoliques et spirituels prennent leur essor à cette époque. Les scouts de France sont lancés en 1947. La communauté catholique chinoise est fondée en 1948. L'aumônerie militaire s'établit en 1952. Le premier pèlerinage de Tahitiens à Lourdes se déroule du 1er au 4 août 1958 ; l'œuvre des pèlerinages en Terre sainte et en Europe prend peu à peu une grande importance pastorale. La Légion de Marie est lancée le 24 septembre 1966 par sœur Saint-Fidèle pour la formation des familles chrétiennes ; ce mouvement apostolique, en lien avec les groupes anti-alcooliques, devient un élément moteur de la pastorale familiale, de la formation de responsables laïcs et de la promotion de vocations de katekita et de diacres permanents. L'année suivante voit la rénovation du Rosaire Vivant par le P. Pierre Laporte ; c'est un mouvement de soutien spirituel et d'entraide familiale apprécié au niveau des quartiers.

L'action pastorale commencée par les deux journaux catholiques se voit amplifiée par les émissons radiodiffusées à partir de 1951 et télévisées à partir du 19 septembre 1967. La radio est très utile pour atteindre les îles éloignées.

Le développement de Tahiti, particulièrement de la zone urbaine à partir de 1961, amène la création de nouvelles paroisses et lieux de culte. La nouvelle paroisse de Papeete, Sainte-Thérèse, est fondée en 1954. 1965 voit la création de la paroisse de Pirae ; la première chapelle, dédiée à la Sainte Trinité, est inaugurée en 1966. Comme il est arrivé souvent dans l'histoire de la mission, cette étape n'a été possible que par la générosité d'une donatrice de Pirae qui a offert le terrain à l'Église.

Les relations entre l'État et l'Église catholique en Polynésie trouvent enfin leur cadre juridique par le décret Mandel du 16 janvier 1939. La personnalité civile de la mission catholique y est légalement reconnue. En 1922, Raymond Poincaré avait constaté la légalité de la Mission et l'abus de l'application des lois de 1901, 1904 et 1905[47]. Rapidement, les Vicaires Apostoliques de Tahiti et des Marquises fondent leur « Conseil d'Administration de la Mission Catholique » (C.A.M.I.C.A.), seul organisme officiel garantissant les propriétés et les biens de la mission. Ce Conseil réglait en même temps les difficultés que l'administration mettait pour les transactions avec les organismes sis à l'étranger; ce qui était le cas de la « Corporation Catholique d'Océanie » qui avait sauvé les biens de la spoliation en 1906. Notons que le décret Mandel, promulgué en Polynésie, visait à porter remède à des situations devenues extrêmement complexes dans toutes les colonies et mettait sur un pied d'égalité toutes les missions qu'elles soient protestantes ou catholiques, mormones ou juives.

La guerre de 1939-45 isole la mission et empêche Mgr Mazé de faire le voyage qu'il désire en Europe. L'armistice de juin 1940 et l'appel historique du général de Gaulle, la constitution d'un Comité Pétain le 10 août et d'un Comité France-Libre le 27, le ralliement de la Polynésie à la France-Libre le 2 septembre et la mise en résidence surveillée des pétainistes dans l'île de Maupiti posent à Mgr Paul Mazé des questions neuves et délicates. Sans informations précises et conscient de sa responsabilité ecclésiale, il était pris entre son sentiment patriotique ardent et son devoir de respecter les autorités légitimes de l'État. Il navigue avec prudence en ce début de son épiscopat, difficile et imprévu sur le plan politique. L'Église venait tout juste de recevoir son statut légal mettant fin à une longue période de tracasseries officielles pendant laquelle la mission catholique se mit résolument en dehors des querelles politiques locales dont elle fut souvent victime.

Mgr Paul Mazé participe avec assiduité à toutes les sessions du Concile œcuménique Vatican II, ouvert le 11 octobre 1962 et terminé le 8 décembre 1965. Sa vénérable barbe blanche de « patriache du Pacifique » y était célèbre. Avec sagesse et sans heurts majeurs, il sait guider l'Église catholique en Polynésie dans les mutations rapides du monde moderne ; celui-ci fait une entrée en force à Tahiti avec l'ouverture de l'aéroport de Faaa en 1961 et l'implantation du C.E.P. en 1963. Le 21 juin 1966 le Vicariat Apostolique de Tahiti devient l'Archidiocèse de Papeete, avec le diocèse de Taiohae (îles Marquises) comme suffragant. Ce jour-là, l'ère des « missions » s'achève ; l'époque de l'Église locale de Tahiti s'ouvre dans la communion catholique d'églises-sœurs rassemblées autour du Successeur de Pierre.

Agé de 81 ans, Mgr Paul sent bien que son rôle s'achève. Le 16 février 1968, Michel Coppenrath, natif de Papeete et prêtre diocésain, est nommé archevêque-coadjuteur avec droit de succession et administrateur apostolique « sede plena ». Mgr Mazé lui confere la consécration épiscopale le 3 juin suivant ; puis il se retire paisiblement au presbytère de Taravao, dans la presqu'île. Il meurt le 22 décembre 1976 à l'âge de 91 ans au terme de 66 années de vie missionnaire polynésienne. Depuis le 5 mars 1973, Mgr Michel Coppenrath était l'archevêque en titre de Papeete. L'Église catholique à Tahiti était entrée dans la phase actuelle qui fera l'objet de la dernière partie.


[42] Mgr MAZE à I. ALAZARD (2-9-1939 ; 18-10-1939 ; 29-12-1939 ; 13-3-1940), Ar.SS.CC. 59,1. - C. MAUREL au T.R.P. (21-11-1939 ; 18-2-1940 ; 1-7-1940), Ar.SS.CC. 60,3.
[43] Mgr MAZE au T.R.P. (oct. 1944) ; à Œuvre Apostolique (8-12-1945), Ar.SS.Cc. 59,1. - J. CHESNEAU au T.R.P. (23-2-1945 ; 13-3-1946), Ar.SS.CC. 60,4.
[44] Correspondance d'ELBEE-MAZE (22-2-1948 ; 11-8-1948 ; 25-10-1948 ; 29-1-1949 ; 18-9-1954 ; 15-10- 1954), Ar.SS.CC. 59,1.
[45] Gérard DEFOIS : L'Occident en mal d'espoir. Fayard, Paris 1982.
[46] Mgr MAZE à I. ALAZARD (1-8-1939), Ar.SS.CC. 59,1.
[47] M. JONNART, ambassadeur au Vatican au T.R.P. (27-11-1922), Ar.SS.CC. 50,1.

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