1851 - Lettre à Mgr Magloire

1851 - Lettre de Mr Henry MAYNE à Mgr  Magloire DOUMER – 7 mai

[Annales de la Propagation de la Foi –1852 – T.24 – pp. 280-309]

MISSIONS DE L'OCÉANIE.

MISSION DES ILES GAMBIER.

Lettre de M. Henry, catéchiste de la Congrégation des Sacrés-Cœurs, dite de Picpus, à Mgr Doumer, Évêque de Juliopolis, et Membre de la même Congrégation,

Ile d'Aukena, Archipel Gambier, 7 mai 1851.

Monseigneur

Dans mes moments de loisir et de solitude, c'est une agréable occupation pour moi que de vous retracer les impressions de ma nouvelle vie. Peut-être trouverez-vous qu'en certains endroits j'ai trop coloré mon récit ; si je suis tombé dans ce défaut, c'est par suite d'un enthousiasme dont je n'ai pu me défendre, et qui est partagé par la plupart des Français qui ont visité cet Archipel.

Nous partîmes, le Père Ferréol et moi, de Valparaiso, le 16 octobre de l'année dernière, sur la corvette française la Capricieuse. Pendant le voyage, nous n'eûmes qu'à nous louer de l'urbanité exquise du commandant, M. Roque-Morel, et de tous les officiers sans exception. Notre traversée fut des plus heureuses, elle s'accomplit par une douce brise, une mer calme et une tiède température. C'était réellement une navigation à l’eau de rose, comme disaient les marins qui venaient de passer le terrible Cap-Horn. La mer du Sud mérite bien son autre nom d'Océan Pacifique, quoiqu'elle sorte parfois de son caractère, lorsque le vent du nord-est soulève violemment ses flots. Nous arrivâmes aux Gambier, le 9 novembre, vingt-trois jours après notre départ de Valparaiso. On jeta l'ancre à trois milles environ de Mangaréva, la principale des cinq petites îles qui forment cet Archipel. Nous fûmes reçus, à notre débarquement, par le Père Cyprien, au milieu des plus vives démonstrations de joie de toute la population mangarévienne, qui était accourue pour nous voir. À peine étions-nous entrés au presbytère, que nous reçûmes la visite du roi. C'est un bel homme, très proprement habillé à la française, portant bas et souliers, ce qui est à remarquer ici, car tous les autres membres de sa famille, et même sa femme, quoique vêtus convenablement, marchent pieds nus. Au bout d'une heure, le commandant de la corvette étant arrivé pour faire sa visite au Père Cyprien, nous sortîmes tous ensemble pour aller parcourir l'île que, pour ma part, je brûlais du désir d'explorer.

Jamais je n'oublierai l'impression profonde que produisit sur moi la vue de cette terre et de ce peuple. Nous suivîmes une longue allée qui court irrégulièrement entre la montagne et la mer, dans un bois de bananiers, de cocotiers et d'arbres-à-pain, qui protègent le sentier de leur ombre. Les cases, d'une forme très gracieuse, étaient dispersées dans le bois avec un desordre charmant ; les habitants accouraient à nous de toutes parts pour nous saluer, et nous suivaient avec les démonstrations de la plus vive sympathie et d'une joie naïve. Cette scène de l'empressement des insulaires autour de nous se renouvelait toutes les fois que nous sortions, le Père Ferréol et moi : nous étions partout suivis d'une foule nombreuse d'enfants, de jeunes gens, de femmes et de jeunes filles, qui venaient nous faire une petite révérence, avec le salut ordinaire essa-koe ! (vous voilà !), ou se mettaient à genoux, demandant au Père sa bénédiction. On nous présentait sur notre passage des ananas et des cocos tout ouverts, pour nous désaltérer de leur eau. Comme ces ovations continues nous gênaient à la fin, nous quittions le sentier pour entrer dans le bois ; mais c'était en vain : la même foule nous accompagnait, et lorsque nous nous arrêtions, embarrassés et ne sachant comment nous dégager, les jeunes filles venaient s'asseoir à terre, aux pieds du Père Ferréol, en le regardant avec une curiosité enfantine. J'admirais cette simplicité, cette confiance ingénue qui annonçait tant de candeur dans les mœurs de ce peuple, et qui reproduisait à mes yeux les temps bibliques de Ruth et de Rebecca.

Comme je n'ai pas encore entièrement rompu avec les souvenirs classiques, je me figurais aussi être dans l'âge d'or, en voyant ces insulaires errer, innocents et heureux, à l'ombre de ces arbres aux formes élégantes, qui les nourrissent sans travail, sur un sol qui n'est infesté d'aucun reptile, d'aucune bête venimeuse.

Les officiers de la Capricieuse partageaient mon ravissement, quoique à un moindre degré, je l'avoue. Mais nous éprouvions une admiration égale, en voyant les Mangaréviens réunis dans l'église, à la grand' messe et aux vêpres du dimanche. Du côté droit de la nef étaient placés les hommes, et du côté gauche les femmes ; au bas, près de la porte, les mères avec leurs petits enfants. Le vêtement des hommes était un pantalon blanc de coton, avec une chemise blanche ou de couleur, une ceinture rouge ou un mouchoir autour du corps, et au cou, une petite cravate attachée sur le haut de la poitrine, à la manière de nos paysans. Les femmes étaient habillées d'une longue robe qui leur descendait du cou jusqu'aux pieds ; leurs cheveux, bien peignés, du reste, flottaient librement sur leurs épaules. Ces vêtements très simples étaient rehaussés par une extrême propreté ; et c'est là un des traits les plus saillants du caractère de ces insulaires. Les hommes étaient très-bien, ainsi vêtus. Le costume des femmes, plus sévère, manquait peut être d'élégance ; mais il était d'une décence parfaite, ce qui vaut mieux. Les enfants, revêtus simplement d’une chemise de couleur, montraient leur poitrine et leurs jambes nues, moitié brunies, moitié dorées par le soleil. Les hommes et les femmes chantaient tour-à-tour et en se répondant, quelquefois en chœur, avec une justesse et un accord qu'on rencontrerait difficilement dans nos villages d'Europe.

Le monument lui-même où nous étions ne contribuait pas peu à accroître notre surprise. Chacune des trois autres îles habitées a son temple, très proprement bâti, et ressemblant à une de nos chapelles de France ; mais l'église de Mangareva est telle que peu de nos petites villes en possèdent de pareilles. Elle est grande, haute et décorée à l'intérieur d'un double rang de colonnes. Elle a peu d'ornemenis européens ! il est vrai ; mais si ses murs ne sont pas couverts de tableaux ou de riches lambris, ils doivent à la chaux faite de corail une blancheur incomparable. La mer a fait tous les frais de la décoration des trois autels : ils sont parés de coquillages incrustés symétriquement, de magnifiques branches de corail qui s'épanouissent comme des fleurs, et de coquilles de nacre sculptées Cette nacre, la plus belle que les plongeurs aient arrachée au fond de la mer, a été prodiguée sur le grand autel : elle a été travaillée par un simple Frère, sinon avec tout le fini qu'on exigerait à Paris, du moins de manière à produire un fort bel effet, surtout les quatre grands vases de fleurs qui s'élèvent à près d'un mètre et demi au-dessus du grand-autel. C'est aussi un Frère, vous le savez, qui a bâti l'église, sans avoir jamais étudié la maçonnerie, presque sans outils, avec son seul zèle et le concours d'une population dévouée.

Une surprise d'un autre genre, et dont le sujet était pour moi d'un intérêt tout particulier, nous attendait dans une île voisine. En allant visiter la petite île d'Aukena, environ à trois milles de la grande île, nous fûmes reçus., au sortir du canot, par un double rang de jeunes enfants, nous saluant et nous complimentant en français, nous répondant en français, et parlant entre eux en français. C'étaient les élèves de l'école dirigée par M. de la Tour qui, quoique laïque, a tout le zèle d'un missionnaire, et dont l'intelligence égale le dévouement. Le Père Nicolas, qui réside dans cette île, nous expliqua que le but principal de cette école était de former des instituteurs, des catéchistes et surtout des prêtres : ces enfants, du moins les plus intelligents, devaient par conséquent étudier le latin et les parties les plus importantes de notre enseignement secondaire.

Parti de Valparaiso pour les îles Pomotou, dont je ne saurai pas de longtemps la langue, je remerciai la divine Providence de m'avoir conduit dans cette île, où je pourrais immédiatement enseigner comme dans une école de France, et mettre à profit les connaissances spéciales que j'ai pu acquérir dans ma carrière universitaire. La proposition que je fis aussitôt de m'associer à M. de la Tour ayant été agréée par le Père Nicolas, et approuvée chaudement par le commandant de la Capricieuse, je m'installai à Aukena ; et, trois jours après, le navire qui m'avait apporté levait l'ancre pour continuer son voyage de circumnavigation. Ce ne fut pas sans émotion que je le vis s'éloigner : voilà qu'une existence nouvelle commençait pour moi, dans cette petite île qui a tout au plus quarante habitants et moins d'une lieue de tour. Adieu pour toujours, parents et amis ! Adieu le monde et ses plaisirs amers ! Adieu la politique aujourd'hui si palpitante d'intérêt ! Adieu la France actuellement jetée sur l'Océan des révolutions, comme un navire qui flotte au hasard, sans boussole ni gouvernail, et menace de sombrer à chaque vague ! Je ne devais plus avoir désormais qu'une pensée, une seule préoccupation, me frayer un chemin à cette céleste demeure, où l'on goûte enfin ce bonheur que je n'ai jamais trouvé et que j'ai désespéré de rencontrer jamais sur la terre.

Voici, au moment où j'écris, six mois environ que j'habite cette île. Je n'aurais jamais espéré rencontrer une retraite si conforme à mes goûts : tous les jours je m'y affectionne davantage. Il me paraît impossible qu'il existe au monde un plus beau climat. En hiver, le thermomètre ne descend jamais plus bas que 16 degrés centigrades ; en été, il monte quelquefois jusqu'à 32 degrés ; mais, alors même, la chaleur est ici bien plus supportable qu'à Paris, on respire a l'aise, et on n'éprouve qu'une transpiration légère Dans mes moments de loisir, je puis me promener dans des sentiers ombragés, d'où je ne vois que quelques cases dont les habitants m'accueillent avec un salut et un sourire bienveillants. Vers midi, il est un lieu, sur les bords de la mer, ouvert à la brise,, où je vais me reposer tous les jours, au bruit monotone des vagues, sur un lit de feuilles sèches et sous l’ombre épaisse d'un hibiscus : … Mollesque sub arbore somni Non absunt…[1]

Le soir, à quatre heures, après la classe, je conduis notre jeune colonie exécuter quelques travaux agricoles derrière une crête de la montagne. En revenant, nous nous arrêtons sur le point le plus élevé du sentier que nous suivons, nous disons l’Angelus, les yeux fixés sur le soleil couchant, et nous nous asseyons là quelques moments pour assister à l'admitable spectacle que nous offre cet astre, au moment de disparaître dans la mer. Les enfants ne sont pas insensibles à la grandeur de ce tableau ; mais leur jeune imagination se complaît surtout à reconnaître dans les formes fantastiques qu'offrent les nuages diversement groupés et colorés, les images d'objets ou d'êtres animés qu'ils connaissent, et ils expriment leurs sentiments par des exclamations : holà! un navire ! — hola ! un requin ! — holà ! un homme avec un bâton. Ce mot holà ! qu'ils ont adopté, je ne sais comment, ils le répètent à tout propos, et hors de propos. La nuit, je vais me promener ou m'asseoir sur le débarcadère, qui se dégage des arbres du rivage pour s'avancer dans l'eau. Je respire l'air frais de la mer qui, le plus souvent calme et unie, vient doucement caresser la rive ; je contemple ce beau ciel où les étoiles scintillent d'un vif éclat, et d'où la lune verse une lumière blanche et pure, comme cela ne se voit que dans la région des tropiques. Je vois devant moi l’île de Mangaréva, couchée dans la mer comme une grande masse obscure, où brillent ordinairement un ou deux feux, semblables à de petits phares.

Puisque je vous parlais de notre école, je terminerai ici ce que j'ai encore à vous dire sur ce sujet. Ces enfants s'entretiennent toujours en français entre eux. Comme vous le pensez bien, leurs phrases ne sont pas toujours irréprochables sous le rapport de la correction grammaticale, tant s'en faut. Ils transportent dans notre langue beaucoup de tournures propres à leur idiome naturel. Mais la prononciation est excellente, Et grâce aux soins persévérants de M. de la Tour. Sous ce rapport, les résultats obtenus sont réellement étonnants : plusieurs de ces petits écoliers, de sept à huit ans seulement, peuvent réciter une quarantaine de leçons du catéchisme français, sans hésitation, et en articulant chaque syllabe avec une pureté qu'on rencontrerait difficilement dans les écoles primaires de France. Je ne fais pas d'exagération ; mais aussi vous ne sauriez croire combien il a fallu d'efforts et de patience à M. de la Tour pour en arriver là. Il a dû souvent employer plus d'un mois pour la prononciation correcte d'une seule articulation. Quant au caractère, nos jeunes Océaniens sont d'une douceur singulière : je ne puis mieux vous en donner une idée qu'en disant, par une comparaison connue, qu'ils sont comme des agneaux. Ils ont peu de vivacité : pendant les récréations, au lieu de se livrer à des jeux bruyants et passionnés comme nos écoliers français, ils préfèrent s'asseoir par terre et causer doucement entre eux. Ils ont cependant de la gaîté, mais chez eux elle est calme et sans éclat. Malgré cette indolence naturelle, ils sont extrêmement sensibles au blâme et à l'éloge, et il est très facile d'exciter leur émulation : il suffit d'en mettre deux en rivalité, pour qu'aussitôt ils se piquent d'ardeur et cherchent à se surpasser l'un l'autre. Dans ces luttes qui sont journalières, j'ai toujours vu le vaincu pleurer de sa défaite.

Ces bons insulaires conservent toute leur vie les mœurs naïves de l'enfance. Lorsqu'un étranger parcourt leur île, des hommes de tout âge se mettent à le suivre curieusement, et si cet étranger leur adresse la parole, ils repondent en baissant la tête, avec un petit rire ingénu. Pour eux ni prévoyance, ni souci de l'avenir. Ainsi, lorsqu'arrive la saison de semer ou de planter, si le Missionnaire ne les avertit pas de ce qu'ils ont à faire, ils ne s'en occuperont pas plus que les oiseaux du ciel, se reposant comme eux sur la Providence du soin de les nourrir. Dernièrement, le Père Nicolas s'étant aperçu qu'ils avaient laissé passer le printemps sans semer des giraumonts, qui sont pour eux une récolte importante ils repondirent à ses reproches : « Nous as-tu dit de le faire ? » Il y a quelques mois, le roi, par les conseils du Père Cyprien, publia une invitation aux habitants des quatre îles, de planter des bananiers. Si jamais souverain n'eut des sujets plus insouciants, il est vrai de dire aussi que jamais aucun n'en eut de plus soumis. Peu de jours après que cet ordre fut connu, je vis surgir partout, en grand nombre, de jeunes bananiers, au milieu d'une terre fraîchement remuée.

Mais où éclate le mieux la candeur admirable de ce peuple néo-chrétien, c'est aux exercices du catéchisme, qui ont lieu dans l'église, tous les dimanches, après les vêpres. Tout le monde y assiste, hommes, femmes, enfants et vieillards. Comme les chapitres les plus importants de la doctrine chrétienne sont connus depuis longtemps, il ne s'agit plus que de les repasser, tous les dimanches, afin de ne pas les oublier, et de les mieux apprendre à ceux qui ne les sauraient pas bien encore. Aussi, le prêtre ne fait que présider à cet exercice ; le dialogue par demandes et par réponses a lieu entre les femmes placées à la gauche du prêtre, et les hommes placés à sa droite. Tout se passe comme entre frères et soeurs, sous les yeux d'un père de famille. Une jeune fille se lève, et, se tournant du côté des hommes, avec une légère timidité, interpelle Pétéro (Pierre), ou Tépano (Étienne). Celui-ci se lève à son tour, et répond simplement et sans embarras, en regardant l'autel. Puis, quand il a satisfait aux questions qui lui ont été faites, il interloge à son tour telle personne qu'il veut du côté opposé. Quelquefois, c'est la femme qui questionne son mari, et quand celui-ci ne répond pas d'une manière satisfaisante, elle lui adresse publiquement une petite réprimande que le bonhomme accepte en souriant. Souvent j'ai vu de jeunes mères, qui récitaient très couramment une réponse du catéchisme, s'arrêter tout-à-coup, interrompues par leur jeune enfant qui se débattait sur leur sein, ou qui, déposé à leurs pieds, leur tiraillait le bas de leur robe. Les vieillards assistent à ces exercices, plutôt comme auditeurs que comme acteurs : leur mémoire, exercée trop tard et affaiblie par l'âge, retient mal les enseignements de la doctrine chrétienne, qu'ils n'ont connue qu'au déclin de leur vie ; mais ils ne rougissent pas d'être dépassés par leurs petits-fils : l'instruction qu'ils reçoivent ainsi de leurs enfants ne leur en paraît que plus facile et plus douce. Le catéchisme, c'est là la grande et presque l'unique affaire de ce peuple néophyte. C'est là, pour remplir ses loisirs, sa politique et sa chronique à lui. Lorsqu'ils sont plusieurs réunis quelque part, ils s'occupent presque toujours de cette étude, et, en parcourant ces îles, l'oreille est très souvent frappée de paroles du catéchisme qu'on repasse à haute voix. Pour en rendre l'étude plus attrayante en dehors de l'église, au lieu de le réciter, ils le chantent sur un rhylhme assez agréable, quoique monotone. Ils redisent les dogmes sévères du Christianisme, comme autrefois les Rapsodes chantaient les fictions d'Homère, et les pêcheurs italiens les vers du Tasse.

Afin d'entretenir leur ardeur pour l'enseignement religieux, on a établi un concours entre les quatre îles. Chaque année, aux approches de la féte du , les habitants de chacune des îles composent, à leur manière, une espèce de narration ou d'exposé des endroits de l'Évangile qui les ont le plus frappés, dans les lectures et commentaires qui en ont été faits à l'église. Tous, hommes et femmes, contribuent, pour leur part, à la rédaction de ce morceau littéraire, suivant leur degré d'intelligence ou de mémoire. Ce travail achevé, l'île entière l'apprend par coeur, au moyen de répétitions en commun, en le chantant sur un air inventé exprès ; puis, le jour de la fête du roi venu, tous les habitants de l'Archipel se réunissent à Mangaréva, et chantent leur Peï, à l'ombre des arbres à pain, et sous la présidence des anciens de chaque île. Tous les habitants, ainsi rassemblés, proclament ensuite quelle est l'île qui a remporté la victoire. Ce sont là les jeux floraux de Mangaréva.

Ce peuple qui, maintenant, par l'innocence de ses mœurs, fait l'admiration de tous nos officiers de marine, est cependant le même qui, avant l'arrivée des Missionnaires, accueillait hostilement les navires qui venaient le visiter, ainsi que nous l'a rappelé le vieux commandant de la Capricieuse, qui nous a conté plusieurs faits sur ce sujet. Les habitants étaient en guerre continuelle, et s'égorgeaient entre eux ; ils étaient anthropophages, au point qu'une fois, après une lutte sanglante entre deux partis, un énorme tas de cadavres ayant été élevé, les vainqueurs, au lieu d'enterrer ces victimes, les dévorèrent dans un grand festin qui dura huit jours. Plusieurs vieillards attestent encore ce fait, et montrent le lieu où étaient entassés les cadavres. Il n'y a que trois ans, vivait encore une femme qui avait mangé ses deux maris, morts successivement dans un temps de famine. Leurs mœurs étaient dissolues comme celles de tous les Océaniens. Ils étaient voleurs, au point qu'ils se dérobaient réciproquement leurs récoltes de fruits à pain, et qu'ils essayaient d'enlever jusqu'aux navires qui touchaient à leurs rivages. Aujourd'hui, leurs mœurs sont devenues aussi pures que celles du village de France le plus religieux ; le vol, si enraciné au cœur de tous les Océaniens, est complètement extirpé du milieu d'eux. Plusieurs capitaines de navires marchands en ont fait l'épreuve : en parcourant une île, ils laissaient tomber, comme par mégarde, des mouchoirs, des foulards ou des couteaux : toujours ces objets leur étaient fidèlement rapportés par le premier habitant qui les rencontrait. Voilà comment ce peuple a été métamorphosé par le Christianisme.

Sous le rapport physique, les Mangaréviens sont hauts de stature, vigoureux et remarquablement bien faits. Leur poitrine est proéminente ; leur taille et leur lête sont d'une rectitude admirable. J'ai fait cette expérience, quelque peu singulière, sur trois enfants pris au hasard : un fil à plomb, placé à leur nuque, venait toucher juste leurs talons, après avoir effleuré leur dos. Leur démarche est grave et pleine de dignité, c'est ainsi que devait marcher Adam dans le paradis lerrestre. La couleur de leur peau est celle des Chiliens : du jaune et du brun fondus ensemble. Il y a, du reste, autant de blonds parmi eux que dans le midi de la France : ces blonds sont tout à-fait semblables à nos paysans de cette couleur, dont le soleil a hâlé la figure. Leur face n'a d'autres caractères distinctes que des dents d'une extrême blancheur, des lèvres légèrement saillantes, et un nez un peu aplati, circonstance qu'on attribue à l'habitude qu'ont les mères d'appuyer leur nez contre celui de leurs enfants, tout de suite après leur naissance : c'est la manière d'embrasser les gens dans ce pays.

La nature a tout fait pour ces îles qui méritent bien l'épithète de régions fortunées, que les géographes appliquent aux pays Océaniens. Les habitants recueillent sur leur sol, presque sans travail, tout ce qui est nécessaire à leur vie et à leurs divers besoins. C'est d'eux que le Poète pouvait dire : Per se dabit omnia tellus[2].

Chose bien remarquable ! L'arbre à pain produit presque toute l'année : à côté des fruits mûrs se montrent déjà les fleurs de nouveaux fruits, qu'il suffit souvent de quatre mois pour mener à maturité. Cet arbre a été fait tellement pour l'homme, que là ou il prospère le plus, c'est aux lieux qu'il habite, à la porte de sa demeure, là où il est foulé par ses pieds. Il me paraît avoir de l'analogie avec notre platane, quoique ses feuilles lisses, brillantes et d'un beau vert de lézard, ressemblent plutôt à celles du figuier, par leurs découpures profondes. Son fruit, de la grosseur et de la forme d'une forte boule à jouer, est supporté par un pédoncule d'environ trois pouces de long ; il a un goût assez semblable à celui de la châtaigne. Les naturels appellent l'arbre Toumei et le fruit mei.

Quel arbre merveilleux que le cocotier ! De quelle élégance, de quelles grâces l'a paré la nature ! Que de qualités elle lui a prodiguées, et de combien de côtés elle l'a rendu utile à ces insulaires ! Quand on est en mer, à peu de distance de la côte, on le voit élever et balancer fièrement sa tête, au milieu des massifs de verdure, comme le roi des arbres de ces contrées. Rien n'égale la grâce de ses longs épis de cocos naissants, ou la beauté de ses énormes grappes de cocos mûrs et dorés comme le grain de nos moissons. Les racines du cocotier, aussi résistantes que flexibles, sont employées à faire des nasses pour la pèche ; son tronc fournit du bois pour la charpente des cases. Ce bois est très dur vers la circonférence, quoiqu'il ne soit formé que de longs filets longitudinaux, du diamètre d'une grosse épingle, juxtaposés et unis entre eux par de la moelle. Les palmes, qui se détachent d'elles-mêmes du tronc à mesure qu'il en pousse de nouvelles, composent un excellent combustible. Liées ensemble bout à bout, dans une longueur de plus de cent mètres, mises à la mer, et traînées par deux radeaux placés aux deux extrémités, elles servent à pousser !e poisson dans les filets. La toile qui embrasse les palmes au point ou elles adhèrent au tronc, est employée à faire des sacs, des tamis, et autres objets analogues ; elle est formée de grosses fibres croisées, et ressemble, sauf la solidité et le serre du tissu, à nos toiles artificielles. Lorsqu'on voit pour la première fois cette toile sur un cocotier, on est d'abord tout étonné de cet étrange appendice ; mais bientôt l'étonnement se change en admiration profonde, en reconnaissant, après un léger examen, quels ont été en cela l'intention et le but du Créateur. Les palmes, très longues et très lourdes, ne tenant au tronc que par environ deux pouces d'épaisseur, auraient été facilement arrachées par le vent, très violent quelquefois : cette toile les soutient par le pied ; elle est élastique, afin d'obeir aux mouvements de la branche, et de la ramener dans sa première position, et elle est rembourrée intérieurement, pour que le point de contact soit plus doux. Autre merveille : le noyau du coco n'est pas divisé en deux coquilles, comme celui de nos fruits., la noix ou l'amande, par exemple ; mais il est tout d'une pièce et très-dur. Comment donc le germe ainsi emprisonné pourra-t-il se produire au-dehors ? La Providence y a pourvu ; tous les cocos sont percés, à leur partie supérieure, d'un trou circulaire par ou s'échappent à la fois la plumule et la radicule. Le fruit du cocotier réunit plusieurs genres d'utilité. La bourre épaisse, qui forme la première enveloppe du coco, sert à faire une très-bonne tresse élastique : on l'emploie pour lier les charpentes bien plus solidement que nos clous qui seraient ici rapidement dévorés par la rouille ; on s'en sert encore, en la croisant comme des sangles, pour les bois de lit et les chaises, et je puis vous assurer que je me trouve mieux couche ou assis là-dessus que sur un matelas ou un fauteuil rembourré. Le noyau, vulgairement appelé coco, a mille emplois divers, depuis cel ui deseau pour tirer l'eau des puits, jusqu'à celui de bénitier dans les églises. Sous ce noyau se trouve une couche épaisse d'un demi-pouce environ, d'une matière solide et blanche comme du lait : c'est l'amande du coco : elle est d'un goût agréable, et on peut en extraire du lait et surtout de l'huite. Tout le centre du fruit est occupé par une eau limpide comme de l'eau de source, et cependant d'un goût exquis. De toutes les boissons rafraîchissantes que j'ai goûtées en France, je n'en trouve pas de préférable à celle-là. Elle ressemble assez pour le goût à de la limonade gazeuse mélangée d'un peu de lait. Les gros cocos contiennent près d'un litre de cette eau. J’aime singulièrement cette boisson, et c'est toujours un nouveau ravissement pour moi, lorsque, dans mes promenades, quelqu'un des habitants me présente un coco qu'il vient d'ouvrir, et que je vois cette belle eau transparente renfermée entre des parois d'albâtre. Vraiment, si les poètes grecs avaient connu l'eau de coco, ils n'auraient pas attribué aux dieux seuls la faculté de boire le nectar.

Les bananes, fruit farineux et d'un goût très agreable, composent encore une précieuse ressource alimentaire : il y en a abondamment dans ces iles. Les ananas sont plus rares, parce qu'ils sont importés depuis peu de temps ; mais quelle saveur ; délicieuse, quel doux parfum ils répandent ! Il suffit de les toucher pour en avoir les mains embaumées ; lorsqu'on en apporte sur notre table, notre repas nous paraît préférable aux festins d'Europe. Ces îles récoltent aussi des tubercules et des racines à fécule, tels que la patate douce, le taro, le piat, etc. La mer fournit en abondance, des coquillages et des poissons de toutes sortes, et la pêche est moins un travail qu'un amusement pour ces habitants libres de toute autre occupation.

Ils peuvent satisfaire avec la même facilité à tous leurs autres besoins. Avec les longues feuilles du Pandanus, ils construisent des cases aussi propres qu'élégantes. Ils doublent et cousent ces feuilles sur de longues baguettes ; puis, ces baguettes ayant été ainsi garnies en nombre suffisant, ils les superposent horizontalement sur la charpente de la case, comme on fait chez nous pour les tuiles. Ces mêmes feuilles, déchirées en bandes légères, leur servent à faire des nattes pour leur couche, presque aussi souples, et plus douces au toucher que nos draps de lit. Ils emploient aussi pour se couvrir la nuit, et même le jour, des tissus naturels appelés tongas, qu'ils préparent avee l'écorce de l'arbre à pain, ou d'un arbuste nommé pouri. Du reste, le cotonnier croît ici partout, sans culture, comme nos buissons, et leur fournit abondamment un fort beau coton, que les femmes filent dans leurs longs loisirs, et que des jeunes gens tissent sur des métiers fabriqués dans l'île. Pour vases de toutes sortes, ils ont les cocos et les calebasses. Ils n'ont pas besoin de poteries pour le feu, à cause de leur système de cuisine dont je parlerai plus bas. Pour vaisselle, ils se servent de grandes coquilles de nacre, ornées sans contredit d'un plus riche vernis que les porcelaines de Sèvres. La nacre, qu'ils taillent avec des pierres tranchantes, leur sert encore à faire des hameçons, des alênes recourbées, des couteaux pour les matières tendres, etc. Ils se coupent très-bien les cheveux avec le tranchant d'un bambou fendu. Ils font des filets et des cordes plus solides que les nôtres avec l'écorce de l'hibiscus. Pour écrire, nous nous servons, dans notre école, des feuilles sèches du bananier en place de papier, et nous avons une encere supérieure à la vôtre, qui nous est fournie par un mollusque appelé poulpe qu'on pêche sur les bancs de corail. Pour s'éclairer la nuit, ils emploient la noix du rama, qu'on enfile à une côte de feuille de cocotier, et qu'on fait brûler, en plaçant cette brochette sur un plan horizontal. Du reste, ils vont, au besoin, pêcher, non loin du rivage, une espèce de gros poisson appelé aaroua, dont un seul peut leur fournir plus de vingt litres d'huile. Pour obtenir du feu, ils se passent très-bien de nos moyens chimiques. Ils ont un bois blanc d'une extrême légèreté qui est éminemment propre à cette opération. Ils prennent deux morceaux bien secs de ce bois, l'un gros, l'autre plus petit. Ils placent le gros morceau à terre, en l'assujétissant, par devant, contre une pierre ; ils taillent avec les dents le petit morceau en pointe, puis, le saisissant fortement avec les deux mains, ils le frottent, par cette pointe, contre l'autre morceau de bois, passent et repassent toujours au même endroit de manière à y produire une rainure assez proionde. Les mouvements du morceau de bois qu'on promène sont d'abord doux, puis précipités, et enfin extrêmement rapides. La fumée s'échappe d'abord de la rainure, une poussière noire s'y accumule, à l'un des bouts, puis cette poussière finit par s'embraser. On la verse alors sur de la bourre de cocos sèche, qu'il est facile d'enflammer en l'agitant vivement dans l'air.

Ils font cuire tous leurs aliments par le procédé de la vapeur, ce qui n'est pas si mal pour des sauvages ; et ce qui doit étonner encore plus, c'est que, pour cette opération, ils ne se servent absolument d'aucun ustensile de cuisine. Qu'on place l'un de nos plus habiles cuisiniers en rase campagne, et qu'on lui dise : « Tenez, voilà un quartier de mouton, vous allez nous le faire cuire à la vapeur d'eau, puisque c'est le meilleur procédé pour lui conserver son jus ; vous n'avez, il est vrai, à votre disposition, que l'eau de cette source et ces broussailles sèches, mais cela suffit pour produire de la vapeur : tirez-vous d'affaire. » Comment s'y prendra le cuisinier ?

Voici comment nos Océaniens résolvent le problème. D'avance, ils enveloppent de feuilles les aliments qu'ils veulent faire cuire, tels que la pâte des fruits à pain, le poisson, la chair de cochon, etc., en ayant soin de lier chacun des paquets ; puis ils élèvent une petite voûte de pierres sur un trou creusé en terre, ordinairement de forme allongée, et quelquefois circulaire. Ce four construit, ils le chauffent fortement avec des palmes sèches, ou autre menu bois, jusqu'à ce que les pierres soient rouges ; alors ils écrasent la voûte, et jettent rapidement les divers paquets d'aliment sur les pierres ardentes ; ils couvrent tout autour ces paquets, entassés à plusieurs étages, d'une assez forte couche de feuillage humide, en ayant soin de laisser le centre à découvert ; ils recouvrent de terre cette couche de feuilles, et, prenant alors des vases pleins d'eau, ils la versent rapidement et par masse sur la partie centrale du four qui a été laissée découverte. Une épaisse vapeur s'élève aussitôt ; on entend un grand bouillonnement intérieur : on dirait un petit volcan ; mais sans perdre de temps, car l'essentiel est de ne pas laisser échapper la vapeur, on recouvre aussi de feuilles et de terre l'ouverture par où on a introduit l'eau. La vapeur, se trouvant ainsi enveloppée de toutes parts, cuit doucement les aliments qu'elle pénètre, et il n'est plus nécessaire de s'en occuper autrement que pour venir les retirer du four, au bout de quelques heures.

Pour finir cette relation, il me reste à mentionner l'établissement que le Supérieur de la Mission, le Père Cyprien, a fondé à Mangaréva. Je veux parler du couvent, c'est-à-dire d'un lieu où l'on professe volontairement et perpétuellement la chasteté, au milieu d'un peuple qui, avant l'introduction du Christianisme, ne connaissait aucun frein aux passions brutales, et sous l'influence d'un des climats les plus mous de la terre. C'est ce qui peut faire mieux comprendre quel changement profond et radical la religion a opéré dans les mœurs de ces insulaires.

Les navires qui approchent de Mangaréva, découvrent d'abord un énorme rocher volcanique taillé à pic, et presque vertical vers son sommet ; puis on voit cette montagne élargir sa base, et former un plateau légèrement incliné. C'est sur ce plateau qu'est bâti le couvent, caché par les plantations d'arbres à pain ,d'orangers, et de cocotiers. Il contient environ soixante jeunes filles qui ont renoncé volontairement au mariage, pour embrasser un état plus parfait. Elles ne font pas de vœu cependant, et sont libres de retourner chez leurs parents, si elles veulent ; mais, chose admirable ! elles persistent presque toutes dans cette sainte détermination, et, depuis douze ans que cet établissement est fondé, de toutes les jeunes filles qui y sont entrées, cent environ sont mortes par suite d’une cruelle épidémie ; mais on n'en a vu que quelques-unes en sortir vivantes. Ce qui relève encore leur mérite, c'est que, en quittant leurs familles, elles ont renoncé à une vie presque oisive, pour une vie de travail continuel. Tous les moments de la journée qu'elles ne consacrent pas à la prière et à leur instruction, elles les emploient a filer, à coudre et à travailler la terre de leurs mains. Ce sont elles qui ont défriché ce plateau, qui ont planté ces arbres, et qui ont apporté les matériaux pour bâtir leur couvent. Les constructions qui composent cet établissement religieux, le mur d'enceinte, la chapelle, la salle de travail avec ses travaux de menuiserie, le vaste dortoir si bien parqueté en planches de toumey, avec ses soixante lits recouverts chacun d'une double natte finement tressée, la maison d'école pour les petites filles, tout cela n'exciterait aucune surprise en France, parce qu'on est habitué à voir de grandes maisons, bien bâties, bien meublées et bien tenues ; mais ici on éprouve un étonnement mêlé d'admiration, parce qu'on ne comprend pas comment avec de si faibles moyens on a pu obtenir de pareils résultats. Dans le couvent sont aussi renfermées toutes les petites filles de l'île qui, placées là loin de tout péril, se forment à la piété et à la vertu par les leçons et l'exemple de leurs aînées.

En descendant du couvent au bas de la montagne, on rencontre, à peu de distance, sur le même plateau, le cimetière de l'île entouré régulièrement de grands et beaux arbres qui forment des murs de verdure. Les tombes sont surmontées çà et là de croix ; et de pierres tumulaires, très-bien taillées, et où l'on a gravé des inscriptions, tout comme en France. Les jeunes filles du couvent y ont une place distincte. Au haut du cimetière est bâtie une chapelle ornée d'une grande flèche, qu'on aperçoit de loin quand on est en mer. Du cimetière pour descendre au pied de la montagne, on suit un grand et beau chemin bien pavé, de la longueur de quinze cents mètres environ. C'est encore une une des merveilles de l'île. Pour le tracer, il a fallu vaincre des difficultés presque insurmontables, combler des ravins et raser des parties considérables du sol. Le Père Cyprien, qui a fait exécuter tous ces travaux, et d'autres encore fort importants, que je me aliguerais à détailler, vivra éternellement dans le souvenir de ces insulaires. Mais il a fait plus que bâtir des monuments de pierres ; il a profondement enraciné clans le cœur des habitants la foi et la morale chrétienne, il a constamment maintenu la pureté des mœurs, malgré la légèreté et l'incroyable faiblesse du caractère océanien. Les communications avec les navires, le voisinage avec deux foyers d'infection, les Marquises et Taiti, n'ont pas toujours été sans danger ; mais enfin, par une fermeté énergique dans les occasions, par de sages précautions et par une vigilance infatigable, le Père Cyprien a jusqu'ici triomphé du mal, et depuis seize ans qu'il dirige cette Mission, elle est toujours demeurée le modèle de toutes les Missions du monde chrétien.

Je suis, avec le plus profond respect,
Monseigneur,

Votre très-humble et très-obéissant serviteur,

J L HENRY.

 

[1] Et ses rameaux abritent le doux sommeil.
[2] La terre donne à tout d’elle même

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